J'ai honte. C'est la première fois que je commence une nouvelle par cette
petite phrase. Mais je suis respectueux des règlements et surtout d'Ava
Gardner. Cette nuit, ma muse Ava est venue me conseiller de participer au concours
de la ville de Breuillet. Conseiller est un faible mot, elle m'a ordonné
d'écrire une nouvelle histoire.
J'obéis toujours à la belle brune qui a enflammé tous les mâles
cinéphiles de la planète. Cette nuit, je la croyais sortir du film
« Pandora ». Elle portait un délicieux maillot de bain blanc qui
cachait l'essentiel mais qui promettait le paradis. Elle aurait pu être ma
grand-mère, elle est partie de l'autre côté de l'écran il y a quelques années
mais elle reste la femme éternelle. J'ai honte de l'avouer mais quand elle me
donne des ordres, je les exécute tout simplement.
Quand je décide de participer à un concours de nouvelles, je commence
toujours à bien lire le règlement. Tout de suite, j'ai vu qu'il y avait deux
possibilités d'entame de texte : « J'ai honte » ou « Et si
c'était la dernière fois... ». J'ai souvent honte de moi, je suis un grand
timide et je regrette souvent mes pensées et mes actes. Par contre, la deuxième
phrase d'introduction possible ne m'inspire guère. Trop triste, elle me donne
le bourdon.
Ce sera donc « J’ai honte ». Là, je lance le moteur de
recherche dans mon cerveau et j’active mes neurones. Le démarrage est souvent
difficile mais une fois que j'ai enclenché la première, les idées s'enchaînent
à toute vitesse. Toutes formes d'images se forment dans ma tête, les pensées se
transforment en fluides créateurs et les mots s'entrechoquent à l'intérieur de
mon crâne. Il faut garder son calme et trier les inspirations.
La première image qui s'imprime dans mon cortex est une femme à genoux,
qui implore son pardon et qui réclame la bénédiction de son libidineux
confesseur. Plus l'image s'imprime et plus elle devient érotique, la femme se
transforme en une comtesse aux pieds nus qui a les traits de ma muse. Elle
réclame à cor et à cri (surtout à corps d'ailleurs) une confession. A ce moment
là, je ne sais plus vraiment si mon cerveau est le maître de l'action mais je
me vois la confesser avec beaucoup de vigueur. J'ai honte mais cette
inspiration me donne beaucoup de plaisir. Mais, j'ai l'impression que la belle brune est ravie, elle aussi.
Comment écrire cette histoire pleine de passion religieuse ? Je suis
baptisé, j'ai fait ma communion solennelle mais je n'ai plus vraiment la fibre
divine. Je ne suis pas athée, comment puis-je dire avec sérieux :
« Non, Dieu n'existe pas alors que moi, j'existe » ? Un homme ne
vit même pas cent ans, les dinosaures ont vécu plus de cinquante millions
d'années, la Terre s'est formée il y a quatre milliards d'années et la création
de l'univers doit dater de plus de treize milliards d'années. Je ne suis ni
juif ni musulman ni bouddhiste ni zoroastrien ni créationniste ni baguette de
painiste ni camenbertiste. J'ai honte mais je suis plutôt agnostique, je suis
trop petit pour avoir une opinion.
Une femme qui dit avoir honte, ça n'existe plus. Maintenant, les femmes
ne tricotent plus, ne restent plus à la maison, conduisent les fiacres et les
motos même à gauche et réclament des orgasmes. Maintenant, les hommes ne
lapident plus les femmes, ce sont les descendantes d’Ève qui jettent des
pierres sur les éjaculateurs précoces. Je vais être obligé de choisir une
époque plus ancienne où les femmes étaient croyantes, où elles craignaient la
religion, où elles savaient que les hommes étaient des êtres supérieurs. Bon,
c'est vrai, j'ai un peu honte pour la dernière partie de cette phrase, je la
retire de mon texte.
Donc, une époque plus ancienne, disons le XVIIIème ou le XIXème siècle,
avant ou après la révolution, entre Louis XV, XVI ou XVIII, mon stylo balance.
Le charme du XVIIIème, les perruques poudrées, le fond de teint, le
libertinage. Pourquoi pas les liaisons honteuses entre une marquise mal mariée
et un libertin au teint d'albâtre ? Le XIXéme, je le verrais plutôt anglais, à
l'époque victorienne, une relation pleine de passion et de tensions entre
Dorian Gray et une jeune épouse bigote et pudibonde. Ce serait plein de jolis
mots et de belles actions. Malheureusement, j'avoue avec beaucoup de honte que
je ne suis ni Laclos ni Dickens.
Quand une idée tourne en rond, une seconde vient immédiatement. Toujours
une femme qui a honte, c'est plus excitant. Et plus réaliste. Ponce Pilate,
Henri VIII, Napoléon et le nazi fanatique ont-ils eu honte ? Une femme qui a
honte mais aujourd'hui. De quoi une femme pourrait avoir honte aujourd'hui ? De
ne pas avoir un téléphone portable, de ne pas être anorexique, de ne pas avoir
trente six rouges à lèvres, de ne pas faire de séances d'U.V ?
Non, ma deuxième idée est celle d’une handicapée qui drague sur internet
pour son amant beaucoup plus âgé qu’elle. J’imagine une jeune femme d'un quart
de siècle avec un quinquagénaire. Cet homme serait un vrai coureur de jupons
mais ce serait le premier homme à regarder Justine sur son fauteuil roulant
comme une femme et non pas une handicapée. Justine consciente de ne pouvoir
satisfaire physiquement son amant serait heureuse de conquérir de nouvelles
filles pour son homme insatiable. Justine n'éprouverait aucune honte pour
elle-même mais pour les autres qui n'auraient jamais vu sa beauté, pour les
femmes qui n'auraient que mépris, pour les hommes qui ne verraient que le
fauteuil.
On dit jamais deux sans trois mais à ce moment-là, il vaut mieux revenir
au règlement. Tout de suite, une troisième idée : écrire une nouvelle en se
servant uniquement du règlement ! Un récit plein d'articles, de critères,
de candidats et de conditions très conditionnelles. Mais, je ne serais pas dans
le sujet, je n'aurais aucune honte d'écrire une nouvelle très réglementaire.
En parcourant les modalités de remise, je suis agréablement surpris. Le
centre culturel se nomme le moulin des muses. Autre agréable surprise, une urne
est prévue pour la remise des textes. Je me mets à imaginer Ava, Rita Hayworth,
Gina Lollobrigida, Scarlet Johansson, Audrey Fleurot m'aider à glisser ma
nouvelle dans l'urne sacrée.
Le jury me laisse assez dubitatif : un adjoint, des bibliothécaires, des
lecteurs. Mais où sont les femmes ? Théoriquement, le jury peut être
exclusivement masculin. Autant dire que je n'ai aucune chance et puis surtout
je n'écris que pour elles. Je veux sentir leurs mains toucher les feuilles qui
sont sortis de mon imprimante la plus intime, je veux voir leurs yeux rougis
par l'émotion de mes mots, je veux voir leurs lèvres s'humecter de désir pour
mes phrases les plus crues, je veux sentir leur parfum se mêler aux méandres de
mes paragraphes, je veux sentir leur souffle sur mes traits d'ironie, je veux
imaginer leur poitrine se soulever jusqu'à effleurer le papier de mes lettres
de noblesse.
Chouette ! C'est une femme. D'après ce que j'ai compris en regardant le
site de la commune de Breuillet, l'adjoint est une adjointe. J'écrirai au moins
pour une personne !
Pas chouette ! C'est un homme. Je me suis trompé de Breuillet. Il y a un
Breuillet dans la Charente-Maritime et un Breuillet dans l'Essonne ! Et
l'adjoint de Breuillet dans l'Essonne a un prénom et une photo qui sentent un
peu trop fort la testostérone à,mon goût. Par contre, la quatrième adjointe, la
belle Hélène, je n'aurais pas honte de me battre dix ans pour la conquérir !
Quand je veux écrire une nouvelle, je recherche aussi tous mes débuts de
nouvelles non aboutis. Par exemple, une nouvelle maritime :
« Diego attend. Il regarde l’horizon mais ne voit rien. Il en a mal
aux yeux. Ils sont partis, il y a un mois, ils ne devraient pas tarder à
revenir. ». Dans une île paumée au milieu de l'Atlantique , les hommes
attendent les nouvelles filles de la maison close.
Une nouvelle sur ma fille :
« La première fois que je l’ai vue, c’est entre les cuisses de ma
femme. On peut trouver ça trivial, pourtant, c’était le plus beau jour de ma
vie. J'avais une fille, une toute petite fille. Moi qui n'avais rien su faire
de ma vie, j'avais réalisé le plus beau des bébés.
Une nouvelle à l’eau de rose :
« C’est avec bonheur que j’ai retrouvé ma nouvelle. Elle était
tombée à l’eau, un jour de cafard, un jour où je m’étais rendu compte que
j’écrivais comme un pied et que je ne serai jamais la nouvelle Barbara
Cartland. Ce que j’aimais surtout chez Barbara, c’était sa fortune. J’ai toujours
rêvé d’être riche. Et, transformer de l’encre en oseille, ça me semblait une
riche idée.
« Epona et Grannos » l’amour au temps des gaulois :
« Souviens-toi du chêne
aux sept bras qui nous a protégé, de la fontaine magique où nous nous
sommes baignés, du vol de la buse, du cri du pic-vert, de la course du
chevreuil »
L’histoire de Max :
« C’était en février, non, en janvier. Quand les chanterelles
poussaient encore.
Max avait 2 ans, l’âge de tous les possibles, l’âge de tous les avenirs.
Il était un enfant différent des autres. Pourtant, ça ne se voyait pas.
Il avait deux yeux, un nez, une bouche, deux bras, deux jambes.
Il était différent et pourtant si ressemblant aux autres enfants. »
Une nouvelle sur la maison de mes grand-parents :
« La maison de mes grands-parents ne sera plus jamais la même. La
maison de mes grands-parents ne sera plus jamais la même parce qu’ils ne sont
plus là, parce que la maison n'appartient plus à la famille. Maison est un bien
petit mot pour un tel édifice. Et, le cadre ! Le cadre ! Les pieds
dans l'eau du canal du midi, le château de pépé et mémé se dressait fièrement
au-dessus du village. Le château de pépé et mémé se dressait fièrement
au-dessus du canal. Le château de pépé et mémé se dressait fièrement au-dessus
des vignes. »
Mais, je ne vois aucune honte dans ces histoires. Non, je dois chercher
ailleurs.
Quand je veux écrire une nouvelle, je cherche aussi dans ma vie réelle
des petits moments curieux, poétiques qui donnent envie de les raconter. Quand
je rencontre une jolie femme, consentante ou pas, je la couche par écrit. J'ai
connu beaucoup de moments de honte en temps que grand timide mais avec le
recul, ils deviennent plutôt de bons souvenirs. Par exemple, à l'armée, un
matin, pour la levée des couleurs, je n'ai pas trop su faire monter le joli
drapeau français : fou rire dans les rangs de mes copains et colère
des officiers. Avec le temps, la honte s'estompe et la rigolade l'emporte.
En réfléchissant bien, un petit morceau de ma vie pourrait donner lieu à
une nouvelle mais ce ne serait pas moi le honteux mais elle, Suzanne la jolie
femme qui a cueilli ma fleur.
J'étais tout juste adolescent, elle jeune quadragénaire mariée. Ma mère
et moi passions nos vacances chez Suzanne et son mari. Nous passions nos
journées au bord de leur grande piscine. A cette époque-là, les femmes ne
portaient qu’un monokini. Mais, Suzanne et maman ont tout enlevé, elles
s'amusaient de moi qui gardait mon maillot.
Un après-midi, j’étais seul au bord de la piscine à côté de Suzanne. Son
mari et maman étaient partis en ville. La jolie quadragénaire a baissé mon
maillot pour jouer avec moi. J’étais surpris mais pleinement consentant.
J'étais si heureux de devenir un homme. Deux autres jours où nous étions seuls,
nous avons recommencé.
Mais une autre fois, maman est rentrée plus tôt que prévu et a failli
nous surprendre en pleine action.
Pendant une seconde, ma mère a hésité. Pendant une seconde, je me suis senti
honteux, je pensais qu’elle avait tout compris. Finalement, elle a souri
« Ah, ça y est, toi aussi, tu passes au bronzage intégral ! » Je
pense que pour Suzanne, la honte l'a emportée. Ce jour-là, nous avons fini
notre histoire d'amour. Je suis parti quelques jours plus tard. Je n'ai plus
osé l'aborder, elle évitait de rester seule avec moi. Je n'ai pas osé lui
écrire ou lui téléphoner. Je n'ai jamais su vraiment pourquoi tout était fini.
Je l'ai revue l'été suivant, je n'étais plus le même, elle non plus. Nous avons
évité de rester seuls tous les deux. La vie continuait sans explication, comme
souvent. Je crois que c'est pour ça que j'aime bien écrire. Essayer à ma
manière de donner un sens à tout ce chaos.
Finalement, beaucoup de débuts d’histoires mais il faut trouver les
milieux et les fins. Je ne sais plus par
où commencer. J’ai l'esprit tout embreuillée. Je crois que ce concours se fera
sans moi. Un drôle de sentiment m'envahit.
J’ai honte.
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