J’ai
honte, j’ai écrasé le chat. À 16h20, ou peut-être un peu plus, je ne me
souviens pas vraiment,… je suis confus.
J’ai
écrasé le chat. Vous vous rendez compte ? Le petit félin à sa maman, son bébé
angora, sa basket Adidas, Bastet égyptienne des temps modernes, adorable boule
de poils et tout le toutim, son antistress, son chauffe-pieds, sa machine à
câlins, sa boîte à ronrons… fini, disparu, totalement écrabouillé, raplapla,
tout aplati sur le tapis, le tapis persan du salon, celui que ma belle-mère nous
a offert pour nos fiançailles.
En
plus !
Mon
Dieu, j’ai écrasé le chat. Imaginez un peu la scène, j’ai lâché le carton,
comme ça, sans prendre garde… et paf le chat ! Merde, je me suis dit. Sur le
coup, je n’étais pas vraiment certain. J’ai bien senti que quelque chose
clochait.
C’est
stupéfiant d’ailleurs, je n’étais plus en contact avec le carton, pour l’avoir
lâché, et pourtant, pourtant, lorsqu’il a atterri par terre, j’ai senti,
physiquement, la masse incongrue qui a amorti le choc. Une sorte de plofff
ramolli, un retentissement caoutchouteux, un rebondi presque
moelleux, rien de plus, rien de moins. Surtout le silence. Pas un bruit, rien,
ce con, il n’a même pas miaulé !
Mais
qu’est ce qui m’a pris de vouloir monter cette armoire Ikea. Vous me direz, aujourd’hui
ou un autre jour, si c’est arrivé…. c’est que ça devait arriver, d’autant que
j’ai tout de même demandé ma journée RTT pour cette raison.
Alors
si on ne peut plus prendre une journée RTT pour faire ça, que devenons-nous ! Enfin pas écraser le chat, monter
l’armoire, j’entends bien. De toute manière, la
nounou était malade. Fallait bien garder notre pitchounette. D’accord, je devais monter l’armoire ce matin et
consacrer le reste de ma journée à la pitchounette, justement. C’était le deal avec ma femme.
Mais à dix-huit mois, admettez qu’elle s’en
balance de se promener dans les rues avec son père ! Je me suis dit qu’elle préférerait jouer dans
son parc avec son foutoir à bébé et voir
que son père était heureux de buller devant la chaîne sportive. Un enfant sent lorsque l’un de ses parents n’est pas
heureux, non ? Il y a ce lien invisible qui
nous relie à notre progéniture, une onde radio qui transmet des messages importants que nulle autre ne peut capter.
Enfin dans ce sens-là ! Vrai que de mon
côté, je ne comprends pas la moitié de ce qu’elle baragouine, je ne sais pas si elle à faim ou soif, je ne vois pas
forcément si elle est malade, si elle a mal quelque
part… Bref, une raison parmi tant d’autres d’être le bouc émissaire de ma femme.
La
gamine, d’ailleurs, sur le moment, je l’avais complètement oubliée. Ce n’est
qu’après avoir reposé le carton et titillé avec le pied le cadavre du matou -
dans l’espoir qu’il miaule, se redresse et fuse comme un dératé dans tout
l’appartement, comme lorsqu’il sort à chaque fois de sa litière -, que j’ai
réalisé qu’il y avait un deuxième félin à quatre pattes dans la pièce : ma
fille. J’ai tout de suite imaginé le traumatisme de la petite qui devrait vivre
le restant de ses jours avec ce drame ancré dans sa mémoire, générant je ne
sais quelle pathologie qui la mènerait à des années d’analyse avant de nous
intenter un procès pour mauvais traitement. J’ai jeté un coup d’oeil, de loin,
dans le parc où je l’avais mise ce matin. Je n’ai rien vu. Elle continuait sa
sieste. Ouf ! C’est déjà ça… car s’il avait fallu, en plus, gérer les
hurlements de la môme dans le coaltar… je n’étais pas sorti de l’auberge.
Sacré
nom d’un chien, j’ai écrasé le chat. Lorsque j’ai soulevé ce foutu carton,
après quelques hésitations non dissimulées, je l’ai vu là, à même le sol, se
confondant avec le tapis, comme certains animaux exotiques qui prennent la
forme ou la couleur de leur environnement pour ne pas se faire repérer.
Seulement moi, je l’avais bien repéré. Je l’ai tout de suite repéré. Une
fourrure rousse tigrée comme celle-là, je n’en vois pas d’autres dans la
maison. Et la forme du chat scotché sur le flan, les pattes raidies comme des
piquets de clôture, ça vous saute à l’oeil comme une puce. Je ne lorgnais plus
que ça. J’étais aussi vif qu’un lémurien, les deux mains incrustées dans le
carton criminel, la mâchoire au niveau des chevilles, langue pendante comme un
clébard assoiffé, muet comme une carpe… arrêt sur image… Que fait-on ? Où
va-t-on ? Que dit-on ? Réfléchissons bien car on ne peut pas revenir en
arrière, impossible de rembobiner ce thriller dont vous êtes le criminel malgré
vous. J’ai bien pensé reposer le carton sur le corps inerte de Pipette - ça,
c’est son nom, drôle de nom pour un chat, mais pipette n’est pas une chatte,
c’est certain, j’ai vérifié et je vous déconseille par ailleurs de le faire
vous aussi, si toutefois vous aviez des doutes sur le genre de votre animal de
compagnie - et continuer comme si rien ne s’était passé.
Mais
c’est ridicule. Un moment ou à un autre il faut assumer sa connerie. Ce genre
de chose ne passe jamais inaperçu. Ma femme s’en serait rendu compte un jour ou
l’autre, ou plutôt en quelques heures, voire moins, peut-être même le
pressentait-elle déjà !
Bordel
de m…, je pense à ma femme. Je me tétanise. Je suffoque. Parce que le chat, je
m’en fiche royalement. Mobile en trois D ou inerte en deux D, je m’en balance
comme de ma première chaussette. Je n’aime pas les chats. Je n’aime pas les
animaux d’ailleurs. Mais voilà, Pipette a été livré avec ma femme. Un package
comme on dit dans le langage commercial. J’étais jeune et innocent alors je
n’ai rien dit, j’ai laissé faire… puis tellement amoureux.
J’étais
son violon d’Ingres, elle était ma madeleine de Proust. Nous étions deux
papillons innocents batifolant dans le pré de l’amour, deux fauves enragés
adoucis sous nos griffes encore empotés, deux babouins en cage méprisant tous
les autres, prêts à montrer notre derrière aux passants, à n’importe quelle
occasion, juste pour leur prouver qu’on était heureux de s’aimer. Nous étions
tout ça, alors j’ai accepté le chat. Mais jamais je n’aurais imaginé que Judith
et Pipette, c’était Castor et Pollux, Romus et Romulus, Héloise et Abélard,
Ulysse et Pénélope, Clark Gable et Vivien Leigh, Laurel et Hardy, Shirley et
Dino, Catherine Ringer et Fred Chichin, Simon and Garfunkel, Yves Mourousi et
Marie- Laure Augry, Blake et Mortimer, Tic et Tac, Pam et Poum (dans Pim, Pam,
Poum, qui est Pim d’ailleurs ? je vous le demande bien ?), le lièvre et la
tortue, le corbeau et le renard, les frères Lumière, les frères Grimm, les
soeurs Papin… Pipette était pour Judith, ce que le dentifrice est à la brosse à
dents, ou mieux encore, ce que la flûte est au champagne. L’un et l’autre se
complètent. Symbiose, osmose… Impossible de les séparer.
J’ai
occis le matou. Pas exprès, comme elle va le penser. La pire tuile. Je suis
foutu. Elle va me tuer. Ça me glace les sangs. Jamais elle ne me le pardonnera.
Je
vois d’ici la scène. Judith est tenace lorsqu’il s’agit d’en vouloir aux autres.
Surtout à moi ! Notre couple allait déjà à vau-l’eau ces derniers mois, mais là
c’est la chute de l’empire Byzantin assurée. Elle réussira à me faire passer
pour un assassin patenté. Alors que moi, j’ai jamais tué de
chats, ou alors il y a longtemps, ou
bien j’ai oublié, ou il sentait pas bon… Je divague. Citer
Brel ne m’aidera en rien dans ce merdier.
Avec
pipette, les premiers mois de cohabitation furent un enfer. Judith, ma femme,
était tout pour lui ; sa mère, sa soeur, sa compagne, son amie, sa fille… En
clair, elle lui appartenait. À la maison, j’étais devenu persona non grata.
L’intrus
à faire déguerpir coûte que coûte. Et pour arriver à ses fins, il avait échaudé
un stratège pernicieux, scénario intitulé massacre à
la griffe jamais taillée parce que
sa maman ne le veut pas. Prémices d’une longue période
de chaos.
En
l’observant, j’ai compris ce qu’était un chat : un animal beaucoup plus néfaste
que l’on ne le croit. Dans l’inconscient collectif le chat est intelligent.
Dans
le mien, pipette est sournois. C’est un engin de guerre camouflé en peluche
animée. Après l’avoir castré, il est devenu un vrai char d’assauts. J’ai appris
à en décoder ses fonctionnements. Pipette observe, mesure, toise dans l’unique
objectif de fomenter, et fomente dans le seul but d’attaquer ! Petits coups de
pression avec les coussinets sur votre ventre, il cherche la défaillance de
votre organisme, cible votre faiblesse pour plus tard. Il s’entraîne
quotidiennement à gratter dans sa litière pour se préparer à mieux enterrer le
corps de sa victime. Pipette, c’est le Parrain. Lorsqu’il vous ramène un
cadavre d’oiseau ou de souris, il faut le prendre pour un avertissement. «
Miaou, voilà ce qui t’attend, abruti, si tu ne décampes pas illico ». Il vous
fixe dans les yeux pendant de longues minutes, sans ciller et on est loin du
jeu enfantin de « je te tiens, tu me tiens par la barbichette… ». Non, il teste
votre faiblesse. Plus les jours passent, plus vite vous flanchez, plus il gagne
du terrain avant l’ultime combat. Et lorsque l’attaque arrive, il revêt sa
tenue de camouflage, fait le dos rond, gonfle la queue en un plumeau recourbé,
baisse les oreilles, écarquille les mirettes et se déplace en crabe par petits
sauts. Complètement fêlé le félidé !
J’ai
laissé la bête agir à sa guise, contraint de ne rien dire à ma femme au risque
de me prendre une rouste. Mais, après quelques mois, je me suis enfin aventuré
dans la rébellion. La guerre était déclarée. Une guerre sournoise menée sur le
front domestique à l’abri du regard inquisiteur de ma femme.
Certains
jours, la maison s’apparentait à une tranchée de 14-18. Chaque pièce était
devenue un terrain miné. Au début, je pensais naïvement que de simples coups de
pied auraient raison de l’ennemi, mais il m’a fallu rapidement établir d’autres
plans aussi cruels qu’efficaces. Deux années d’hostilités ont eu raison de
Pipette. Le commandant en chef du cinquième bataillon s’épuisa. Au fur et à
mesure, il capitulait avec lassitude. Ses attaques se firent moins nombreuses,
moins meurtrières. La haine céda sa place au renoncement. Une paix tacite
s’était instaurée, alimentée par l’indifférence. J’ai appris à ne plus haïr
Pipette, juste ne pas l’aimer, c’est plus reposant.
Toutes
ces images du passé ont défilé dans ma tête. Un bon quart d’heure était passé
et je n’avais toujours pas bougé d’un iota… Pipette non plus, toujours sur le
tapis, même position, même regard vitreux. J’ai regardé l’horloge du salon. Les
trotteuses me narguaient. Il fallait que je prenne une décision avant que
Judith ne rentre. Toutes les options les plus farfelues m’ont traversé
l’esprit. Aucune ne me convenait vraiment. J’étais cependant certain d’une
chose : toute vérité n’est pas bonne à dire ! J’allais donc mentir à ma femme
pour préserver notre couple. Je ne suis pourtant pas un adepte fidèle de cette
maxime, mais une fois n’est pas coutume. Eurêka, je ne sais plus comment, mais
l’idée m’est venue. Concise, bien ciselée, insoupçonnable. Pour la mettre en
pratique, je devais m’activer, car si mon plan ne pouvait s’achever qu’après le
retour de ma femme, il fallait que je monte cette armoire, en dépit de quoi
Judith m’aurait demandé des explications. Pourquoi une journée entière de RTT
n’avait pas suffi à venir à bout de cette maudite armoire en kit ?
J’ai
couru dans la cuisine prendre un sac-poubelle. Un 5 litres ferait l’affaire. Il
fallait que j’emballe le cadavre et le planque quelque part. Lorsque je suis
revenu, ma fille était debout, sautillant dans son parc pour que je vienne la
chercher. Que la gosse patiente encore ! Je suis retourné dans la cuisine
prendre une tablette de chocolat que j’ai lancée dans le parc. La gourmandise
est parfois utile et je savais ainsi que j’aurais la paix pendant un bon
moment.
Me
faire rebattre les oreilles parce que la gosse se serait grimée en sauvageonne
chocolatée était moindre mal dans cette circonstance ! Ensuite, j’ai
délicatement pris Pipette, encore mou, l’ai foutu dans le sac, suis sorti de la
maison et j’ai mis le tout derrière des bûches de bois, sous le barbecue. À ce
moment précis, je me suis dit que finalement, j’aurais pu le faire griller à la
broche pour le brunch prévu le week-end prochain. Mais changer de plan au
dernier moment n’aurait fait que semer le trouble dans mon esprit. Il me
restait donc une petite heure avant le retour de Judith. Tout ce stratège
reposait sur un fil : la névrose de ma femme, le rituel… la routine, chaque
chose doit être faite dans l’ordre et d’une certaine manière. Je savais donc
qu’elle stationnerait sa voiture dans l’allée, devant le garage, me laissant le
soin de la rentrer moi-même ultérieurement parce que l’ouverture est trop
étroite et qu’elle craint de se brûler les ailes contre les murs. Une fois dans
le hall d’entrée, elle lancerait à qui veut l’entendre un « Bonsoir, je suis
arrivée ! », en posant les clés de sa voiture dans la boîte en fer posée sur le
secrétaire d’entrée. Après quelques papouilles à notre fille, elle se servirait
une bière, une blonde ou une blanche selon les jours, et monterait à l’étage se
délasser dans un bain. Elle allumerait la radio et se confinerait dans sa bulle
de savon une bonne demi-heure. Suite à quoi, elle descendrait directement dans
la cuisine, fouillerait dans un des placards pour en ressortir un paquet de
croquettes qu’elle secouerait vivement en paradant : « Pipette !… Minou, ma
petite mimine !…. ». Et c’est à partir de ce moment-là que les événements
prendraient une autre tournure, car mimine ne se précipiterait pas pour se
frotter aux jambes de Judith, comme tous les soirs, depuis des années.
D’abord
agacée, Judith parcourrait chaque pièce, toujours en secouant les croquettes
comme notre fille agite régulièrement son hochet à cloches, juste pour nous
enrager. Seulement, pas de Pipette en vue. Aucune chance que je n’échappe à la
question : « Tu n’as pas vu Pipette, c’est bizarre, il ne répond pas ? ». Je
feindrais l’étonnement, ou plutôt l’ignorance, et répondrais un « non, pas fais
gaffe ! » Ne pas trop y accorder d’importance afin d’éviter tout soupçon.
Il
me faudrait ensuite attirer ma femme vers l’extérieur, l’inciter à sortir dans
le jardin : « Ah moins qu’il n’ait filé quand tu as ouvert la porte pour
rentrer ? Regarde dehors. » Elle soupirerait, me lancerait un regard torve, un
de ceux qui veulent dire « Tu n’aurais pas pu faire attention ! », et s’aventurerait
sur le perron. Après l’avoir entendue hurler, je me précipiterais vers elle :
«
Qu’est-ce qui se passe, Judith, pourquoi tu cries ? »…
Nous
habitons au bout d’une impasse, une maison des années quatre-vingt, pas
vraiment de style, ou un style que je ne comprends pas. Judith avait besoin
d’air, de calme, l’envie soudaine de se frotter à la nature, respirer autre
chose que la pollution parisienne, autant d’arguments plus ou moins viables qui
nous ont conduits dans cette bourgade aux allures de bourgeoisie banlieusarde.
C’était
l’endroit idéal pour elle, retiré, faussement vert, aux abords de la capitale
dont il ne fallait tout de même pas trop s’éloigner, si toutefois… Cet affreux
témoin de non-architecture, construit sur un terrain légèrement incliné, avait
séduit Judith, parce que de notre chambre au premier étage, elle dominerait le
quartier. À sa demande, j’avais planté une haie assez haute tout autour de la
maison… Délimiter son territoire, gagner en intimité et clôturer le nouvel
espace de jeu de Pipette. Du garage à la haie qui borde l’impasse un peu plus
bas, il y a environ huit mètres, de sorte que, si l’on oublie de serrer le
frein à main d’une voiture négligemment stationnée devant le garage en
attendant que son mari la rentre un peu plus tard, elle reculerait, en roues
libres, doucement, silencieusement jusqu’à rebondir dans la clôture verdoyante.
Huit mètres en légère pente. Pas assez pour que le véhicule prenne trop de
vitesse, défonce la haie, traverse l’impasse en risquant de renverser quelqu’un
et incruste son arrière- train dans le mur du voisin d’en face, mais
suffisamment pour rouler inévitablement sur le chat qui roupillerait idiotement
au grand air, larvé en plein milieu du terrain. Il me faudrait juste le temps
de son bain rituel pour prendre les clés. Desserrer le frein à main. Laisser la
voiture glisser jusqu’en bas. Bien refermer la portière à clés. Sortir Pipette
de sa cachette. L’extraire de son sac poubelle.
Le
déposer sur les traces laissées par les roues dans le gazon. Retourner à la
maison. Reposer les clés à leur place. La suite, vous la connaissez…
Je
me suis lancé à corps perdu dans le montage casse-tête de l’armoire Ikea.
Comprendre
le mode d’emploi simpliste, repérer les pièces, les comparer au dessin, les
compter, assembler, visser, dévisser, revisser, emboîter, coller, oublier,
redémonter, tourner, recommencer, relire le plan, le tourner, soupirer, pester,
s’énerver, transpirer, maudire…, exercice idéal pour vous faire oublier votre
marmot qui joue les grands artistes contemporains en ressuscitant le bon vieux
body painting avec la tablette de chocolat Milka, mais surtout parfait pour ne
plus penser au meurtre que l’on vient de commettre. Aux oubliettes Pipette !
Si
bien que ; lorsque j’ai réglé la dernière charnière de ce meuble faussement «
in », Judith n’étant pas rentrée, j’ai bien cru que l’on pouvait me décerner la
palme du meilleur monteur Ikea. En moins d’une heure, c’était un exploit ! Un
coup d’oeil à la pendule du salon pour déterminer exactement mon timing de
champion. 20h15. Déception. Le champion pouvait aller se rhabiller. Il m’avait
fallu plus de deux heures. Ma fille s’était à nouveau endormie, les mains
collées sur les cheveux et ma femme n’était toujours pas là. Incompréhension.
Judith n’est jamais en retard. Ou si cela arrive, un client obtus qui la
retient au boulot, un verre avec ses collègues pour célébrer un nouveau contrat
ou quelques courses sur le chemin du retour, elle prévient. J’ai vérifié mon
téléphone portable.
Rien.
Pas d’appel manqué. Pas de message. Pas de SMS. Surprenant. J’ai ouvert ma
boîte email via le mobile. Pas d’email de sa part. L’inquiétude m’a saisi. Elle
allait faire capoter mon plan. Rentrer pus tard que prévu. Ne pas stationner la
voiture devant le garage, ou peut-être même, pour la première fois, la rentrer
toute seule dans ce foutu garage. Appeler ce maudit chat pour le nourrir avant
de prendre son bain !… L’angoisse. La dispute. La bataille. Le divorce. Je suis
foutu pour de bon.
On
a sonné à la porte. Pourquoi sonnait-elle à la porte ? Avait-elle oublié ses
clés ? Pas dans ses habitudes pourtant. Distraite ? Que se passait-il dans sa tête
? Des soucis au boulot ? Des soucis de santé ? Une liaison ? Voilà,
probablement une liaison. C’était certain, maintenant que j’y pensais. Mais
avec qui ?…. Le libraire. Le connard de libraire qui lui court après depuis
notre emménagement.
Qu’est-ce
qu’il a de plus que moi ? Il lit. La belle affaire. Peut-être ne lit-il pas
d’ailleurs. Peut-être ne fait-il que vendre sa came. Ce qui ferait de lui un
usurpateur, un hypocrite. Judith me trompait avec le libraire. En ce moment
même, elle était avec lui. Il l’avait convaincu de me quitter. Elle allait le
faire ce soir. Si elle rentrait. Ou par téléphone. Ou par mail. Deuxième
sonnerie.
Coeur
battant, je me suis approché de l’entrée et ai regardé par la fenêtre, discrètement,
en poussant le rideau, comme les vieilles du quartier. Mais je n’ai rien vu.
Alors que les vieilles, elles, sont toujours témoins de quelque chose.
Troisième
sonnerie. J’ai ouvert la porte. J’ai vu deux flics. Une femme, un homme.
Pourquoi les flics ? Que veulent-ils ? M’inculper pour écrasage de chat ? Non,
on n’arrête pas les gens pour ce genre de détails. C’est ridicule.
Puis
de toute manière, ils n’ont aucune preuve. Tout s’est passé à huis clos, sans témoin.
Même pas ma fille. Pas de sang, pas d’empreintes… mais un corps, un corps
qu’ils sortiraient de derrière les fagots. Merde ! ils allaient le trouver.
Mais
c’était un accident. Un simple accident. C’est Ikéa le responsable. Je n’ai pas
voulu chat,… ça. C’est arrivé comme ça,… chat,… j’sais plus, bêtement…
Non,
je n’ai vraiment pas fait exprès.
-
J’vous jure, c’est pas moi !
-
Monsieur Garance ? a demandé gravement l’agent homme.
-
Oui, lui-même.
-
Nous avons une mauvaise nouvelle…
-
Il y a eu un accident, a poursuivit l’agent femme.
-
C’est… c’est une question ? ai-je bafouillé.
-
Qu’est-ce que vous dites ? ont demandé les deux.
-
Pi… Pipette…, je…
-
Votre épouse, Monsieur Garance…
-
Pardon ?
-
Elle était en voiture avec une autre femme lorsqu’elle a percuté un camion de
plein fouet sur la nationale 35.
-
Un camion ?…. Ma femme ?…
-
Je suis navré.
-
Monsieur Garance, cette femme et votre épouse sont…
Comme
les deux doigts de la main.
Judith
et Pipette.
Inséparables.
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