-Et vous avez
fait cela comment ? lui avait-il
demandé.
-Dans un moment d’agacement, avait-elle répondu.
-Non, chère Madame, je me suis
mal exprimé. Je voulais savoir avec quel
outil vous aviez fait cela.
-Mon cher docteur, vous devez bien vous douter que pour faire une ouverture aussi longue, il
me fallait un engin en rapport. J’allais pas prendre un épluche-légumes.
-Vous avez pris une scie ?
-Bravo toubib, vous êtes un fin
psychologue. J’ai effectivement choisi de travailler à la scie.
-Egoïne ou sauteuse ?
-Ni l’une, ni l’autre. Vous n’y songez pas. Réfléchissez trente secondes,
si vous en êtes capable. Vous avez déjà découpé un poulet avec une scie
sauteuse ? Idée stupide ! Ce serait un massacre. Et puis vous risquez
d’endommager la lame sur le premier os venu. Je ne vous conseille absolument
pas la scie sauteuse. Ce serait un désastre. Quant à l’égoïne, c’est pas assez
précis.
-Et alors ? reprit le
psychiatre.
-Alors, j’ai opté, cela va de soi, pour la scie circulaire. Avec cet
engin on fait un travail très correct, très propre. En dix secondes votre
ouverture est faite et vous pouvez ensuite oeuvrer en paix.
-Et vous savez vous servir d’une scie circulaire ? voulut savoir le
praticien.
-Vous ne croyez tout de même pas que c’est René qui
s’en sert. Le bricolage c’est mon truc. J’ai toujours aimé. Et puis avec
René, c’était devenu comme qui dirait une nécessité. Cette grosse feignasse n’a
jamais été capable de planter un clou ou de changer une ampoule grillée. A
votre avis, dans le couple Picarelli,
c’est qui qui s’y colle quand il
faut réparer une chaise, recoller une
plinthe, changer les pieds du lit ou faire une nouvelle niche pour le
chien ? C’est pas le René. C’est toujours la Rose. Depuis le temps
j’ai l’habitude Alors c’est toujours moi qui achète le petit matériel pour l’entretien courant. Quant à l’utilisation
de la ponceuse vibrante, de la perceuse ou de la scie circulaire je pourrais sans doute vous en remontrer, mon
cher Monsieur. Et sur ce plan, c’est pas
le René qui me contredira. Il ne sait rien faire de ses dix doigts mais il a
tout de même la bonté de reconnaître mes talents de bricoleuse-maison. La scie
circulaire je l’ai achetée dernièrement en promo. J’ai bien l’intention de
refaire au plus vite toute la barrière du potager. Enfin dès que je serai
sortie !
Le docteur regarda sa
patiente. Cela faisait la seconde fois que Rose Picarelli débarquait dans son service. La première fois
elle lui avait été envoyée par le juge pour une raison relativement bénigne. Le sieur Picarelli René avait en effet porté plainte contre son
épouse, sous le prétexte que cette dernière
lui avait malencontreusement arraché avec les dents la moitié de
l’oreille gauche au cours d’une dispute conjugale intense. Le juge - homme
marié de grande sagesse - avait vu dans
ce comportement féminin quelque chose de peu naturel chez une femme aimante et
avait envoyé Rose se faire soigner dans l’asile psychiatrique le plus proche.
Elle s’y était bien plu, y avait pris quelques kilos et en était ressortie
pratiquement guérie. C’est du moins ce
qu’avaient affirmé les médecins traitants avant de la relâcher, peut-être un peu vite !
-Et pourquoi avez- vous fait ça ?
demanda le docteur.
-Il arrêtait pas de ronfler et moi
ça m’énerve. Je ne peux pas dormir à côté de quelqu’un qui ronfle. Moi il me
faut mes dix heures de sommeil. Sinon je suis pas bien et ça me monte à la
tête. Ca peut même, paraît-il, me rendre
méchante. Le René j’ai eu beau le secouer dans tous les sens comme un vulgaire sac de patates, il était tellement saoul qu’il a continué.
-Et alors ?
-Alors j’ai pris le chandelier en
bronze sur la cheminée et je lui en ai foutu un grand coup sur le crâne.
-Et alors ?
-Alors il s’est arrêté de ronfler et j’ai pu me rendormir. C’est tout.
Le docteur ne répliqua
pas et se contenta d’un long silence. Cette fois-ci, il y avait fort à parier
que la dénommée Rose Picarelli qu’il avait traitée une première fois pour son
comportement incompatible avec sa vie de couple, allait être invitée à faire chez lui un séjour de longue durée. Il le savait. Il avait donc tout
son temps, avant de pouvoir, peut-être un jour, la déclarer définitivement guérie.
On n’est jamais assez prudent avec les dingues !
-Et au réveil, comment avez-vous
réagi ?
-J’étais contente, j’avais bien
dormi.
-Je veux dire, en constatant que vous aviez tué votre mari ?
-J’ai tout de suite pensé que je n’avais pas à aller au marché.
- ?????
-On était jeudi. Et le jeudi c’est le jour de marché. Et tous les jeudis
je vais au marché chez Marcel.
-C’est qui, ce Marcel ?
-Mon boucher. Et ça fait des années que tous les jeudis je lui
prends du foie de génisse. Il le sait et
à chaque fois on l’entend annoncer: « Et deux belles tranches de foie pour
la petite dame ! Vous m’en direz des nouvelles ! » Je l’avoue
Docteur, mon péché mignon c’est la bouffe et dans la bouffe mon péché mignon
c’est le foie. Le foie c’est ma gourmandise à moi. J’en raffole et en plus je
le cuisine très bien. René déteste que je fasse du foie. Ca l’écoeure. Alors le
jeudi c’est mon jour à moi. Je cuisine pour moi toute seule. L’autre ivrogne
est invité à aller casse-croûter « chez Marinette » le bar-tabac sur la place de la Mairie. Vous ne
pouvez pas savoir comme c’est agréable d’être seule dans la cuisine, à vous
préparer votre plat préféré. Vous avez tout votre temps. Vous vous appliquez. Vous farinez légèrement les
tranches de foie. Dans votre poêle vous faites chauffer 30 g de beurre, pas
plus. Lorsqu’il est bien chaud vous
déposez vos deux tranches de foie, vous laissez cuire à peine 2 ou 3 minutes de
chaque côté. Vous salez, vous poivrez,
vous persillez, vous pouvez, si
le cœur vous en dit, y ajouter aussi quelques lardons ou des petits oignons.
Lorsque c’est prêt à servir, vous vous débouchez un petit Mâcon blanc bien
frais et vous n’avez plus qu’à passer à table. Un délice, Docteur, un véritable
délice ! Vous devriez essayer. Un jour, il faudra que je vous invite.
-Mais quel rapport avec votre mari ? demanda le docteur.
-Ben, c’est pourtant
simple ! Pour une fois j’avais pas besoin d’aller acheter du foie chez
Marcel. J’avais l’autre abruti à côté de moi. J’avais tout sur place. J’avais
qu’à prendre le foie du René. Vous commencez
à réaliser Docteur à quoi elle a servi
la scie circulaire ? Si j’avais pris la scie sauteuse, j’aurais tout
esquinté et je n’aurais jamais pu me découper deux belles tranches dans le foie
du René Picarelli. Seulement voilà, un foie d’alcoolique ça ne se cuisine
apparemment pas comme du foie de veau ou
de génisse. Moi, je savais pas. Pour moi, c’était pour ainsi dire une
première ! J’innovais ! Alors je ne sais pas si c’est l’émotion. J’ai
pourtant bien fait comme d’habitude, mais
j’ai dû me louper quelque part. A la sortie c’était grisâtre et coriace.
C’était à peine mangeable. J’ai
préféré tout foutre à la poubelle.
Même bien cuit, j’ai pas aimé mon
mari !!!
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Ps : cette nouvelle a été inspirée par le fait divers suivant :
Dans la nuit du 21 au 22 mai 2014 à Longwy, une femme de 70 ans a tué son mari
de 80 ans à coups de pilon. Après l’avoir dépecé et éviscéré
elle a fait cuire, dans une casserole,
le nez, le cœur et les parties génitales de son époux. On ignore si elle a tout mangé !!!
( la voix du Nord)
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