samedi 2 mai 2015

Cuisine et bricolage

-Et vous avez fait cela comment ? lui  avait-il demandé.
-Dans un moment d’agacement, avait-elle répondu.
-Non, chère Madame,  je me suis mal  exprimé. Je voulais savoir avec quel outil vous aviez fait cela.
-Mon cher docteur, vous devez bien vous douter que  pour faire une ouverture aussi longue, il me  fallait  un engin en rapport. J’allais pas  prendre un épluche-légumes.
-Vous avez pris une scie ?
-Bravo toubib, vous êtes  un fin psychologue. J’ai effectivement choisi de travailler à la scie.
-Egoïne ou sauteuse ?
-Ni l’une, ni l’autre. Vous n’y songez pas. Réfléchissez trente secondes, si vous en êtes capable. Vous avez déjà découpé un poulet avec une scie sauteuse ? Idée stupide ! Ce serait un massacre. Et puis vous risquez d’endommager la lame sur le premier os venu. Je ne vous conseille absolument pas la scie sauteuse. Ce serait un désastre. Quant à l’égoïne, c’est pas assez précis.
-Et alors ? reprit  le psychiatre.
-Alors, j’ai opté, cela va de soi, pour la scie circulaire. Avec cet engin on fait un travail très correct, très propre. En dix secondes votre ouverture est faite et vous pouvez ensuite oeuvrer en paix.
-Et vous savez vous servir d’une scie circulaire ? voulut savoir le praticien.
-Vous ne croyez tout de même pas que c’est  René qui  s’en sert. Le bricolage c’est mon truc. J’ai toujours aimé. Et puis avec René, c’était devenu comme qui dirait une nécessité. Cette grosse feignasse n’a jamais été capable de planter un clou ou de changer une ampoule grillée. A votre avis, dans le couple  Picarelli, c’est qui  qui s’y colle quand il faut  réparer une chaise, recoller une plinthe, changer les pieds du lit ou faire une nouvelle niche pour le chien ? C’est pas le René. C’est toujours la Rose. Depuis le temps j’ai l’habitude Alors c’est toujours moi qui achète le petit matériel  pour l’entretien courant. Quant à l’utilisation de la ponceuse vibrante, de la perceuse ou de la scie circulaire  je pourrais sans doute vous en remontrer, mon cher Monsieur. Et sur ce plan, c’est  pas le René qui me contredira. Il ne sait rien faire de ses dix doigts mais il a tout de même la bonté de reconnaître mes talents de bricoleuse-maison. La scie circulaire je l’ai achetée dernièrement en promo. J’ai bien l’intention de refaire au plus vite toute la barrière du potager. Enfin dès que je serai sortie !

          Le docteur regarda sa patiente. Cela faisait la seconde fois que Rose Picarelli  débarquait dans son service. La première fois elle lui avait été envoyée par le juge pour une raison relativement  bénigne. Le sieur Picarelli  René avait en effet porté plainte contre son épouse, sous le prétexte que cette dernière  lui avait malencontreusement arraché avec les dents la moitié de l’oreille gauche au cours d’une dispute conjugale intense. Le juge - homme marié de grande sagesse -  avait vu dans ce comportement féminin quelque chose de peu naturel chez une femme aimante et avait envoyé Rose se faire soigner dans l’asile psychiatrique le plus proche. Elle s’y était bien plu, y avait pris quelques kilos et en était ressortie pratiquement  guérie. C’est du moins ce qu’avaient affirmé les médecins traitants avant de la relâcher,  peut-être un peu vite !

-Et pourquoi avez- vous fait ça ?  demanda  le docteur.
-Il arrêtait pas de ronfler  et moi ça m’énerve. Je ne peux pas dormir à côté de quelqu’un qui ronfle. Moi il me faut mes dix heures de sommeil. Sinon je suis pas bien et ça me monte à la tête. Ca peut même, paraît-il,  me rendre méchante. Le René j’ai eu beau le secouer dans tous les sens comme un  vulgaire sac de patates,  il était tellement saoul  qu’il a continué.
-Et alors ?
-Alors j’ai pris le chandelier en  bronze sur la cheminée et je lui en ai foutu un grand coup sur le crâne.
-Et alors ?
-Alors il s’est arrêté de ronfler et j’ai pu me rendormir. C’est tout.

           Le docteur ne répliqua pas et se contenta d’un long silence. Cette fois-ci, il y avait fort à parier que la dénommée Rose Picarelli qu’il avait traitée une première fois pour son comportement incompatible avec sa vie de couple,  allait être invitée  à faire chez lui un séjour de  longue durée. Il le savait. Il avait donc tout son temps, avant de pouvoir, peut-être un jour, la déclarer  définitivement  guérie.  On n’est jamais assez prudent avec les dingues !

-Et  au réveil, comment avez-vous réagi ? 
-J’étais contente,  j’avais bien dormi.
-Je veux dire, en constatant que vous aviez tué votre mari ?
-J’ai tout de suite pensé que je n’avais pas à aller au marché.
- ?????
-On était jeudi. Et le jeudi c’est le jour de marché. Et tous les jeudis je vais au marché chez Marcel.
-C’est qui, ce Marcel ?
-Mon boucher. Et ça fait des années que tous les jeudis je lui prends  du foie de génisse. Il le sait et à chaque fois on l’entend annoncer: « Et deux belles tranches de foie pour la petite dame ! Vous m’en direz des nouvelles ! » Je l’avoue Docteur, mon péché mignon c’est la bouffe et dans la bouffe mon péché mignon c’est le foie. Le foie c’est ma gourmandise à moi. J’en raffole et en plus je le cuisine très bien. René déteste que je fasse du foie. Ca l’écoeure. Alors le jeudi c’est mon jour à moi. Je cuisine pour moi toute seule. L’autre ivrogne est invité à aller casse-croûter « chez Marinette »  le bar-tabac sur la place de la Mairie. Vous ne pouvez pas savoir comme c’est agréable d’être seule dans la cuisine, à vous préparer votre plat préféré. Vous avez tout votre temps. Vous vous  appliquez. Vous farinez légèrement les tranches de foie. Dans votre poêle vous faites chauffer 30 g de beurre, pas plus. Lorsqu’il est bien chaud  vous déposez vos deux tranches de foie, vous laissez cuire à peine  2 ou 3 minutes  de  chaque côté. Vous salez, vous poivrez,  vous  persillez, vous pouvez, si le cœur vous en dit, y ajouter aussi quelques lardons ou des petits oignons. Lorsque c’est prêt à servir, vous vous débouchez un petit Mâcon blanc bien frais et vous n’avez plus qu’à passer à table. Un délice, Docteur, un véritable délice ! Vous devriez essayer. Un jour, il faudra que je vous invite.
-Mais quel rapport avec votre mari ? demanda le docteur.
-Ben, c’est pourtant simple ! Pour une fois j’avais pas besoin d’aller acheter du foie chez Marcel. J’avais l’autre abruti à côté de moi. J’avais tout sur place. J’avais qu’à prendre le foie  du René. Vous commencez à réaliser Docteur à quoi  elle a servi la scie circulaire ? Si j’avais pris la scie sauteuse, j’aurais tout esquinté et je n’aurais jamais pu me découper deux belles tranches dans le foie du René Picarelli. Seulement voilà, un foie d’alcoolique ça ne se cuisine apparemment  pas comme du foie de veau ou de génisse. Moi, je savais pas. Pour moi, c’était pour ainsi dire une première ! J’innovais ! Alors je ne sais pas si c’est l’émotion. J’ai pourtant bien fait comme d’habitude, mais  j’ai dû me louper quelque part. A la sortie c’était grisâtre et coriace. C’était à peine  mangeable.  J’ai  préféré tout foutre à la poubelle.
                                  
                                        Même bien cuit, j’ai pas aimé  mon mari !!!


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Ps : cette nouvelle a été inspirée par le fait divers suivant : Dans la nuit du 21 au 22 mai 2014 à Longwy, une femme de 70 ans a tué son mari de 80 ans à coups de pilon. Après l’avoir dépecé et  éviscéré  elle a fait cuire, dans une casserole,  le nez, le cœur et les parties génitales de son époux.  On ignore si elle a tout mangé !!! 
                                                                                                    ( la voix du Nord)

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