''J'ai honte! Parce que tu t' rends compte qu'est ce qu'elle m'a fait'' dit-elle en se hissant péniblement sur le marchepied du wagon le téléphone collé à l'oreille. Derrière elle un jeune homme efflanqué, légèrement vouté l'air accablé, semble la suivre dans un déhanchement souple et nonchalant. Il porte les signes de son appartenance: couture du pantalon au niveau des genoux laissant délibérément apercevoir un slip à la marque apparente sur l'élastique, blouson foncé, visière de la casquette rabattue sur le cou, baskets aux lacets défaits.
La gare d'Arpajon s'éloigne et le couple vient se vautrer sur la première banquette venue. Lui, la fixe d'un regard absent bercé par les rythmes réguliers d'une machine à laver sortis de ses écouteurs. Il est en mode lavage et elle en mode essorage:
''Alors t' vois, je lui ai fait comme ça...'' le reste se perd dans une bouillie d'un langage invertébré sans consonnes, ponctué souvent d'un répertoire scatologique de mots ayant au fil des années perdu leur sens fort d'origine, mais qui inciterait de conseiller l'interessée à se prémunir d'un traitement intestinal efficace
En revanche, ce sont les seuls mots accessibles à la compréhension des non-initiés et capables d'attester qu'il s'agit bien d'une conversation en langue Française exprimée avec une virtuosité à couper le souffle
''P'tain! non mais elle m'a foutu la honte et j'te dis elle va le regretter!...''
Machinalement, il a retiré sa casquette et posé sa longue main brune sur le genou dénudé de sa compagne. Elle ne le voit pas, ne remarque pas ses beaux yeux sombres et tristes ornés de longs cils recourbés, sa bouche pulpeuse qu'elle avait peut-être savourée quelque temps auparavant. Pour elle peut-être, il a soigné son petit carré de pelouse sombre et généreuse là haut au sommet de son crâne et rasé le pourtour soigneusement laissant une surface glabre ornementée d'une petite cicatrice rose, témoin d'un malencontreux dérapage du rasoir.
Les modes ont toujours été faites pour faire souffrir leurs fidèles adeptes. Que n'endurait-on pas autrefois sous le laçage des corsets et des escarpins trop étroits?
Notre langage vestimentaire ce sont nos antennes, sorte de substitut de phéromones emprunté au langage des fourmis
Il faut maintenant refuser toute gène en optant pour le tout laissez-aller
Mais doit-on penser pour autant que d'être obligé de remonter sans cesse un pantalon qui menace de s'écrouler au bas des pieds, de risquer de s'entraver la marche avec des lacets défaits puissent apporter le confort souhaité?
Et faut-il aussi penser qu'un rasage quotidien du crâne ne nécessite pas une corvée non moins négligeable?
La fille a maintenant atteint une logorrhée verbale effrénée. Elle se dope de l'outrance de ses propos. La colère entretient la colère comme un feu que les moindres brindilles ravivent sans cesse.
Elle ne voit pas que son voisin accaparé par un article du quodidien Le Monde vient de poser découragé son journal, pour tenter une séance d'hypnose à son encontre
Elle n'a pas non plus remarqué le départ ostensiblement précipité d'une autre voyageuse qui sous l'effet d'une exaspération non contenue est parti chercher refuge dans une zone moins agitée
Son teint laiteux s'empourpre par moment sous l'effet de la colère et de la moiteur du compartiment.
Elle a remonté au sommet du crâne ses beaux cheveux blond cendré en un bouquet branlant de boucles serrées permettant de découvrir un large visage clair et sans charme. Des yeux d'un bleu délavé se frayent un chemin dans cette palette de maquillage que des reines Egyptiennes auraient pu
jalouser
Notre malheureuse victime a maintenant posé un regard vague sur la généreuse poitrine de sa compagne que prolonge un menton à double étage. Rien n'est délimité dans ce corps adipeux. . Nul ne peut dire où finissent les seins et où commencent l'estomac et le ventre. C'est comme un paysage vaguement mamelonné mais sans réels points culminants, enveloppé d'un tee shirt sur lequel la statue de la Liberté s'exibe sur l'avant scène de son buste, le socle posé sur l'estomac
Une mini-jupe tente avec effort de comprimer le reste et permet d'offrir aux regards blasés le spectacle des cuisses marbrées, des genoux ayant enfoui leurs rotules depuis longtemps déjà et des mollets encore rebondissants de jeunesse, ferrés à leurs extrémité de bottines à talons..
Le paysage défile morne et sans âme. Forêts et Etangs de l'Hurepoix ont cédé la place au béton. Dans le lointain, la tour de Montlhéry domine toute cette concentration pavillonnaire sans charme. Notre train a quitté maintenant Brétigny et file en direction de St Michel/Orge.
Progressivement, la vitesse ralentit à l'approche de la gare sans pour autant réveiller notre conteuse maintenant assoupie. Les freins crissent, la locomotive exhale un soupir devant le quai et s'immobilise.
Soudain comme mû par un ressort, le jeune homme se redresse, le regard affolé, entraîne violemment sa compagne qui tirée de sa torpeur lache quelque insultes et les voilà lancés comme par deux catapultes à travers le couloir.
Au moment de franchir les marches, la sonnette de la fermeture des portes retentit. En un bond il a surmonté l'obstacle et s'apprête à se jeter sur le quai; mais notre malheureuse vient buter sur la première marche pour aller embrasser l'escalier de tout son long. Elle s'est heurté violemment les genoux et grimace sous la douleur en suffocant quelques bribes de son langage coloré.
Les passagers n'ont pas tous compris. Ravis qu'un tel spectacle vienne distraire leur monotonie quotidienne, certains même se hasardent à vouloir l'aider à se relever mais se retrouvent vite découragés par ses regards incendiaires et méprisants. Pour beaucoup d'entre eux il y a une solidarité en faveur du couple en cavale! C'est trop rageant, ils auraient pû réussir...
Imperturbables du fond du compartiment arrivent un petit groupe casquetté en uniformes gris et violets. Ce n'est pas le SAMU bien sûr, mais nos sympathiques contrôleurs de la SNCF!...
Ils prennent d'abord un temps fou à vérifier tous les autres passagers. Parfois l'un d'entre eux s'arrête un peu plus longuement auprès d'un usager qui ne retrouve plus son billet à tous les coups égaré au fond d'une poche et puis au bout de vaines recherches accepte la mine défaite ou l'air crâne pour certains la condamnation en bonne et due forme.
Voilà nos tortionnaires arrivés au niveau des malheureux fraudeurs.
''Avez-vous besoin d'aide mademoiselle?'' demande l'un d'eux
'' Non! Répond celle-ci en reniflant, le regard en pistolet ''C'est bon!''
'' Je suis obligé de vous demander votre titre de transport Mademoiselle''
Pas de réponse
'' Dans ce cas vous pouvez nous régler la somme sur le champs ou payer un supplément''
La réponse est donnée par son compagnon qui l'air encore plus abattu qu'à l'accoutumé avoue être totalement démuni ainsi que sa compagne.
Le train poursuit son voyage jusqu'à Ste Geneviève des Bois abandonnant nos deux malheureux sur un quai presque désert..
'' C'est quoi ça un titre de transport?'' glapit-elle en claudicant derrière lui
'' Moi, j'ai qu'mon billet de train!.. ''
'' Ta gueule Mélissa!''
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