samedi 2 mai 2015

Honteuse prédiction

- J'ai honte... franchement, j'ai honte...
- Les prédictions des oracles peuvent être perturbante, mais il ne faut pas avoir honte du futur.
- Des prédictions ?! Tu plaisantes ?!! Je me demande comment elle fait pour garder sa réputation la vielle peau. J'ai honte d'avoir accepté de l'écouter, ça oui !
- Allons, ça ne peut être si terrible...
- On lui a filé un chameau pour ces conneries ! Pas terrible...  tu sais combien ça vaut ce genre de bestiau ?
- Attention ! N'insulte pas la parole des oracles, leurs mots sont sacrés !
- Sacré mon cul oui.
- Voyons, je suis sûr que tu as mal interprété. Raconte-moi.



            Le vent sifflant soulevait les grains de sable qui percutaient les toiles tendues composant une douce mélodie agréable pour ceux qui prenaient le temps de l'entendre. Le ciel limpide offrait sa scène au soleil naissant qui baignait de sa douce chaleur le camp nomade. Cela aurait pu être une belle journée.

- Mahomet, Mahomet, ! Vite lève-toi !

            La plupart des nomades dormaient encore, ou du moins auraient continué de le faire si un crieur n'alertait pas tout le camp, filant à vive allure entre les tentes. Retrouvant celle qu'il cherchait, il s'y engouffra sans baisser d'un ton.

- Debout, il faut y aller !

            Livide comme un linge, Mahomet se réveilla en sursaut.

- Qu'est ce qui se passe ?! Une attaque ?
- C'est l'oracle. Elle est ici !
- C'est horrible ! Le tocsin ? Pourquoi je ne l'entends pas ? Il a été détr... Attends, comment ça l'oracle ?
- Oui, l'oracle. Elle est ici, tu dois la voir !
- Mais l'attaque ?
- Y a pas d'attaque.
- Quoi !?

            Si une troisième personne se trouvait sous la tente, elle aurait trouvé la scène assez comique. Mahomet voyait un garde au sourire béat qui ne semblait nullement se rendre compte de la frayeur qu'il avait causé. Le garde voyait un Mahomet crispé au visage déformé par une rage qui ne semblait nullement compatible avec l'excellente nouvelle qu'il venait d'annoncer. Les deux étaient figés dans des attitudes totalement opposées qui auraient pu amuser un observateur quelconque... mais personne ne les observait.

- Mais... mais... mais...
- Non, Aziz. Pas mémé. Allez, lève toi.
- Tu m'as réveillé pour...
- ...t’apporter la bonne nouvelle. Allez dépêche.

            Tout en parlant, Aziz ne se gênait pas pour fouiller les affaires de son ami à la recherche de vêtements convenables.

- Tu m'as réveillé, et même tout le...  tu as réveillé tout le camp pour une putain d'oracle ? T'as pas honte ?!
- Pas une putain. Une oracle, un peu de respect. Et puis ça fait une heure que le soleil est levé, les gens vont pas tarder à  en faire de même de toute façon, je suis d'ailleurs sûr que t'es un des derniers debout. Dit, t'as rien de convenable à te mettre ? C'est une oracle tout de même.
-  Lâche ça ! Et puis, t'étais pas censé être de garde aujourd'hui ?
- Bah oui, réfléchis un peu, comment j'aurais su que l'oracle est là sinon ? Ah, ça c'est pas mal. Bon, ça fait un peu bouseux mais au moins c'est propre.

            Aziz exhiba fièrement un ample quamis ocre ayant été relativement épargné par les affres du désert.

- Donc si tu es de garde ce matin, qu'est-ce que tu fais dans ma tente ?
- Fallait bien que quelqu'un te prévienne. De toute façon la relève est dans dix minutes.

            Mahomet souffla un bon coup pour se calmer.

- Bon, si je résume, tu quittes ton poste et réveille tout le camps en braillant, juste pour me parler d'une voyante ?
- Une oracle, pas une voyante.
- J'vois pas la différence...
- Les prédictions de l'oracle sont réelles.
- Bon... j'ai compris, il est inutile de discuter... Sorts d'ici que je m'habille.
- Met pas n'importe quoi hein ! C'est une oracle, aie un minimum de tenue.
- C'est ça, dehors maintenant.

            Quelques instants plus tard, Mahomet traversait à contrecœur le camp, tiré par son ami, poussé par le vent et voguant entre des flots d'insultes prouvant que, contrairement aux dires d'Aziz, Mahomet n'était pas le dernier à se lever.

- T'as réveillé tout le monde et maintenant ils me voient tous avec toi...
- Voyons, depuis quant ça t'embête de traîner avec ton vieux pote Aziz. En plus je te parie qu'ils oublieront leur colère dès qu'ils la verront !
- Je ne sais même pas pourquoi je te suis, la dernière fois ton oracle m'a bassiné avec un buisson parlant enflammé...
- Je pense que c'était une voyante, il ne faut surtout pas les confondre avec les oracles, elles disent n'importe quoi.
- Mais c'est toi qui m'avait parlé d'oracle !
- Oui bon, j'ai dû me tromper, ça arrive.
- Et là, tu ne te trompes pas ?
- Aucun risque. Regarde, elle a même ses propres gardes.

            Aux limites du camp, une caravane de bois et de toile à la vétusté modeste contrastait avec les riches vêtements des quatre soldats qui l'entouraient. L'un d'eux discutait avec le chef du village tandis qu'un autre remplissait un abreuvoir pour leurs deux chameaux. Si les marchants itinérants n'étaient pas rare dans le désert, on les trouvait généralement aux abords des grandes villes. Il était donc peu commun que leur route croise celle des nomades.

- Donc si j'ai bien suivi, ils viennent d'arriver ?
- Oui c'est ça !
- Et le soleil est levé depuis à peine une heure ?
- Oui c'est ça !
- Donc les chameaux... ont marché toute la nuit ?
- Oui c'est ça. Enfin je ne sais pas. C'est une oracle, cherche pas à comprendre



- L'oracle est directement venu dans votre camp ? Mais c'est un signe d'Allah !
- En fait leur route a simplement croisé la nôtre par hasard, l'oracle a dû se dire que c'était une bonne occasion de s'enrichir. Mais les autres du camp aussi ont préféré l'explication du miracle symbole divin et patati.
- N'as-tu pas honte de blasphémer ainsi, toi qui a eu la chance de recevoir une prédiction ?
- Hey, j'en voulais pas moi de cette merde, on m'y a forcé ! Le camp a échangé un chameau contre cinq prophéties. C'est pas les volontaires qui manquaient, mais mes autres ont décidé que je devais en faire partie pour renforcer ma foi et autres bêtises du genre. Ils m'ont même fait passer en premier !



            Malgré son étroitesse, l'espace était submergé de tapisseries richement colorées tranchant avec la simplicité de l'aspect extérieur. Celle qui se prétendait oracle était entourée de moult objets hétéroclites qui n'avaient sans doute nul autre utilité que d'instaurer une ambiance suffisamment étrange pour impressionner le chaland. Impression renforcée par une odeur pesante, qui stimulait la mémoire tout en étant impossible à identifier formellement. Sans doute s'agissait-il d'un mélange de parfums communs en un pot-pourri entêtant empêchant la perception de toute nuances. La vue quant à elle était rapidement agressée par tant de couleurs chatoyantes, beaucoup trop diverses pour des yeux habitués à la monotonie du désert, yeux facilement captés par l'éclat jaillissant d'une immense sphère d'un cristal aussi transparente que l'eau de rosée. Quelques déchirures dans la toile permettaient à la lumière d'envahir l'endroit, emportant avec elle les sons du désert excluant ainsi la présence d'un silence oppressant.

- Bienvenue, oh toi qui vient entendre la parrrooole... de l'oracle. Écoute et retiens.

            Sa voix alternait chaotiquement les graves et les aigus, laissant parfois traîner des syllabes sans raison apparentes avant de marquer une pause injustifiée.

- Mahomeeet... tu es Mahomet.

            Ayant promis de se tenir, il se retint de faire remarquer qu'il était déjà au courant de son propre nom depuis qu'il avait entendu le chef discuter avec l'oracle, et même avant.

- Tu n'es pas n'importe qui, non. Les visions sont trrrrès.... claires. Seuls ceux au destin remarquable ont un futur aussi limpide.
- C'est gentil d’annoncer ça mais...
- Tu seras vengé !

            L'oracle avait subitement hurlé surprenant Mahomet qui faillit tomber à la reverse.

- Tu le seras, oui tu seraaaas... vengé.
- Ne le prenez pas mal, mais je pense que vous faites fausse route. Je n'ai envie de me venger de personne, il n'y a donc aucune raison que...
- Tu seras vengé deee.... l'offense qui te sera faite.
- Il est vrai que j'ai déjà eu des différends avec des gens, mais une bonne discussion a toujours permis de régler le problème.
- Ils te vengeront, oui ils le feront.
- Qui ça ils ? Je vous assure que j'ai pour habitude de régler mes problèmes moi-même.
- Ils te vengeront, oui illls... te vengeront après ta mort.
- Quoi ?!
- Des fidèles le ferrrroont... pour venger ton nom.
- Des fidèles ? Ma mort ?!
- Ils vengeront l'offense.
- Je serai mort ?
- Les coupables payeront, oui ils payerooont... de leur vie.
- Vous êtes en train de dire que l'on va me tuer ?

            Changeant brutalement de ton, l'oracle laissa tomber les variations d'intonation pseudo mystique pour répondre d'une voix rauque témoignant d'un âge fort avancé.

- Bon écoute coco. Ton boss là il m'a juste payé pour cinq clampins. Si tu veux aussi des infos sur ta mort, il va falloir qu'on rediscute les tarifs. Ok ?
- Mais... C'est vous qui avez évoqué ma mort !
- Pour toi j'vois un truc sur une histoire de vengeance. C'est très clair, à ce moment-là t'es mort, j'y peux rien c'est comme ça. Maintenant tu la fermes et tu me laisses faire mon travail.
- Heu...

            Sans attendre de réponse, elle reprit son numéro de façon si soudaine qu'un instant Mahomet se demanda s'il n'avait pas rêvé les dernières secondes.

- Ceux qui t'auuuuront... offensé, mourront.
- Et l'offense ? J'ai le droit de là connaître ?
- Les blasphémateurs payeront, oui je le vois, ils payerooont....
- Continuez, je vous écoute.
- ... pour t'avoir dessiné.
- Dessiné ? Comment ça dessiné ?
- Oui je le vois, tu seras offensé, tu seras dessiné avec un visaaaaaage.

            À nouveau l'oracle laissa traîner longuement une syllabe puis marqua une pause avant de finir sa phrase. Mahomet attendit poliment de longues secondes avant de se rendre compte que la phrase était bel et bien terminée.

- Et qu'est ce qu'il aura ce visage ?
- Tu seras dessiné, aveeeec.... un visage tout court.
- Un visage tout court ? Un petit visage ?
- Non... juste un visage.
- Juste un visage ? Vous voulez dire... décapiter ?!  On va me tuer par décapitation ?! C'est affreux !
- Nooon... tu seras dessiné avec un visage. Puuuuis... vengé.
- C'est pas très clair votre truc.

            S'énervant à nouveau, l'oracle laissa tombé son ton cérémoniel au profit du naturel.

- Bordel, j'vois pas ce que tu piges pas, c'est pourtant limpide. Y a des mecs qui te dessinent, très moche le dessin d'ailleurs, et sur le dessin t'as un visage. Et toi à ce moment-là t'es déjà mort.
- Vous vous foutez de moi ?
- Et puis après t'as des fidèles qui butent tout le monde.
- C'est n'importe quoi votre truc ! Et est-ce que je peux savoir dans combien de temps ça aurait lieu par hasard.
- Yep, ça c'est possible. Hum... dans 1416 ans.
- Bon c'est clair, là vous vous payez ma tête.
- Ah non, les visions sont formelles. Dessin, vengeance, dans 1416 ans. Maintenant sois gentil et casse-toi, y en a d'autres qui attentent et j'aimerais arriver à la Mecque avant la fin de la semaine. Là-bas y a des pigeons capables de m'échanger deux chameaux contre une seule prédiction !



- Bien sûr, le camp lui a quand même offert un chameau, ça n'a choqué personne d'apprendre que je serais mort dans 1416 ans !
- Je ne mettrai pas en doute la parole de l'oracle, je pense aussi que vous serez mort dans autant d'années...
- Mais bien sûr que je serais mort ! Y a pas besoin d'être oracle pour deviner ça ! Et l'histoire du dessin, me dis pas que tu y crois aussi !
- Les paroles des oracles semblent bien souvent obscurs, mais elles décèlent toujours une sagesse qui nous sera dévoilée au moment opportun.
- Ouais, à d'autres. Donc le prends pas mal, mais les voyants et oracles de mes deux, j'ai déjà donné. Alors ta prédiction je me la carre où tu le penses.
- Mais voyons, Mahomet, ne vois tu donc pas que je ne suis ni un voyant, ni un oracle ? Je ne fais pas de prédiction.
- Ben voyons... de toute façon j'ai pas de quoi te payer Gaby.
- Ce ne seras pas nécessaire, mon rôle se limite à transmettre la parole divine à ceux qui ont été choisis pour l'entendre.
- Et ça genre gratos ?
- C'est ma mission.
- Ceci dit, j'dois admettre que tes habits lumineux là, ils valent largement la déco de la vieille. Et puis j'sais pas comment tu fais, mais ta lévitation là, c'est la classe.
- C'est parce que je suis un archange.
- Jamais entendu parler. Bon aller, si ça te fait plaisir livre moi ton message. Et comme c'est gratos, j'aurai pas la honte de me faire arnaquer.

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