- J'ai honte... franchement,
j'ai honte...
- Les prédictions des oracles
peuvent être perturbante, mais il ne faut pas avoir honte du futur.
- Des prédictions ?! Tu
plaisantes ?!! Je me demande comment elle fait pour garder sa réputation
la vielle peau. J'ai honte d'avoir accepté de l'écouter, ça oui !
- Allons, ça ne peut être si
terrible...
- On lui a filé un chameau pour
ces conneries ! Pas terrible... tu
sais combien ça vaut ce genre de bestiau ?
- Attention ! N'insulte pas
la parole des oracles, leurs mots sont sacrés !
- Sacré mon cul oui.
- Voyons, je suis sûr que tu as
mal interprété. Raconte-moi.
Le
vent sifflant soulevait les grains de sable qui percutaient les toiles tendues
composant une douce mélodie agréable pour ceux qui prenaient le temps de
l'entendre. Le ciel limpide offrait sa scène au soleil naissant qui baignait de
sa douce chaleur le camp nomade. Cela aurait pu être une belle journée.
- Mahomet, Mahomet, ! Vite
lève-toi !
La
plupart des nomades dormaient encore, ou du moins auraient continué de le faire
si un crieur n'alertait pas tout le camp, filant à vive allure entre les
tentes. Retrouvant celle qu'il cherchait, il s'y engouffra sans baisser d'un
ton.
- Debout, il faut y aller !
Livide
comme un linge, Mahomet se réveilla en sursaut.
- Qu'est ce qui se passe ?!
Une attaque ?
- C'est l'oracle. Elle est
ici !
- C'est horrible ! Le
tocsin ? Pourquoi je ne l'entends pas ? Il a été détr... Attends,
comment ça l'oracle ?
- Oui, l'oracle. Elle est ici, tu
dois la voir !
- Mais l'attaque ?
- Y a pas d'attaque.
- Quoi !?
Si
une troisième personne se trouvait sous la tente, elle aurait trouvé la scène
assez comique. Mahomet voyait un garde au sourire béat qui ne semblait
nullement se rendre compte de la frayeur qu'il avait causé. Le garde voyait un
Mahomet crispé au visage déformé par une rage qui ne semblait nullement
compatible avec l'excellente nouvelle qu'il venait d'annoncer. Les deux étaient
figés dans des attitudes totalement opposées qui auraient pu amuser un
observateur quelconque... mais personne ne les observait.
- Mais... mais... mais...
- Non, Aziz. Pas mémé. Allez, lève
toi.
- Tu m'as réveillé pour...
- ...t’apporter la bonne nouvelle.
Allez dépêche.
Tout
en parlant, Aziz ne se gênait pas pour fouiller les affaires de son ami à la
recherche de vêtements convenables.
- Tu m'as réveillé, et même tout
le... tu as réveillé tout le camp pour
une putain d'oracle ? T'as pas honte ?!
- Pas une putain. Une oracle, un
peu de respect. Et puis ça fait une heure que le soleil est levé, les gens vont
pas tarder à en faire de même de toute
façon, je suis d'ailleurs sûr que t'es un des derniers debout. Dit, t'as rien
de convenable à te mettre ? C'est une oracle tout de même.
-
Lâche ça ! Et puis, t'étais pas censé être de garde
aujourd'hui ?
- Bah oui, réfléchis un peu,
comment j'aurais su que l'oracle est là sinon ? Ah, ça c'est pas mal. Bon,
ça fait un peu bouseux mais au moins c'est propre.
Aziz
exhiba fièrement un ample quamis ocre ayant été relativement épargné par les
affres du désert.
- Donc si tu es de garde ce matin,
qu'est-ce que tu fais dans ma tente ?
- Fallait bien que quelqu'un te
prévienne. De toute façon la relève est dans dix minutes.
Mahomet
souffla un bon coup pour se calmer.
- Bon, si je résume, tu quittes ton
poste et réveille tout le camps en braillant, juste pour me parler d'une
voyante ?
- Une oracle, pas une voyante.
- J'vois pas la différence...
- Les prédictions de l'oracle sont
réelles.
- Bon... j'ai compris, il est
inutile de discuter... Sorts d'ici que je m'habille.
- Met pas n'importe quoi
hein ! C'est une oracle, aie un minimum de tenue.
- C'est ça, dehors maintenant.
Quelques
instants plus tard, Mahomet traversait à contrecœur le camp, tiré par son ami,
poussé par le vent et voguant entre des flots d'insultes prouvant que,
contrairement aux dires d'Aziz, Mahomet n'était pas le dernier à se lever.
- T'as réveillé tout le monde et
maintenant ils me voient tous avec toi...
- Voyons, depuis quant ça t'embête
de traîner avec ton vieux pote Aziz. En plus je te parie qu'ils oublieront leur
colère dès qu'ils la verront !
- Je ne sais même pas pourquoi je
te suis, la dernière fois ton oracle m'a bassiné avec un buisson parlant
enflammé...
- Je pense que c'était une voyante,
il ne faut surtout pas les confondre avec les oracles, elles disent n'importe
quoi.
- Mais c'est toi qui m'avait parlé
d'oracle !
- Oui bon, j'ai dû me tromper, ça
arrive.
- Et là, tu ne te trompes
pas ?
- Aucun risque. Regarde, elle a
même ses propres gardes.
Aux
limites du camp, une caravane de bois et de toile à la vétusté modeste
contrastait avec les riches vêtements des quatre soldats qui l'entouraient.
L'un d'eux discutait avec le chef du village tandis qu'un autre remplissait un
abreuvoir pour leurs deux chameaux. Si les marchants itinérants n'étaient pas
rare dans le désert, on les trouvait généralement aux abords des grandes
villes. Il était donc peu commun que leur route croise celle des nomades.
- Donc si j'ai bien suivi, ils
viennent d'arriver ?
- Oui c'est ça !
- Et le soleil est levé depuis à
peine une heure ?
- Oui c'est ça !
- Donc les chameaux... ont marché
toute la nuit ?
- Oui c'est ça. Enfin je ne sais
pas. C'est une oracle, cherche pas à comprendre
- L'oracle est directement venu
dans votre camp ? Mais c'est un signe d'Allah !
- En fait leur route a
simplement croisé la nôtre par hasard, l'oracle a dû se dire que c'était une
bonne occasion de s'enrichir. Mais les autres du camp aussi ont préféré
l'explication du miracle symbole divin et patati.
- N'as-tu pas honte de
blasphémer ainsi, toi qui a eu la chance de recevoir une prédiction ?
- Hey, j'en voulais pas moi de
cette merde, on m'y a forcé ! Le camp a échangé un chameau contre cinq
prophéties. C'est pas les volontaires qui manquaient, mais mes autres ont
décidé que je devais en faire partie pour renforcer ma foi et autres bêtises du
genre. Ils m'ont même fait passer en premier !
Malgré
son étroitesse, l'espace était submergé de tapisseries richement colorées
tranchant avec la simplicité de l'aspect extérieur. Celle qui se prétendait
oracle était entourée de moult objets hétéroclites qui n'avaient sans doute nul
autre utilité que d'instaurer une ambiance suffisamment étrange pour
impressionner le chaland. Impression renforcée par une odeur pesante, qui
stimulait la mémoire tout en étant
impossible à identifier formellement. Sans doute
s'agissait-il d'un mélange de parfums communs en un pot-pourri entêtant
empêchant la perception de toute nuances. La vue quant à elle était rapidement
agressée par tant de couleurs chatoyantes, beaucoup trop diverses pour des yeux
habitués à la monotonie du désert, yeux facilement captés par l'éclat
jaillissant d'une immense sphère d'un cristal aussi transparente que l'eau de
rosée. Quelques déchirures dans la toile permettaient à la lumière d'envahir
l'endroit, emportant avec elle les sons du désert excluant ainsi la présence
d'un silence oppressant.
- Bienvenue, oh toi qui vient
entendre la parrrooole... de l'oracle. Écoute et retiens.
Sa
voix alternait chaotiquement les graves et les aigus, laissant parfois traîner
des syllabes sans raison apparentes avant de marquer une pause injustifiée.
- Mahomeeet... tu es Mahomet.
Ayant
promis de se tenir, il se retint de faire remarquer qu'il était déjà au courant
de son propre nom depuis qu'il avait entendu le chef discuter avec l'oracle, et
même avant.
- Tu n'es pas n'importe qui, non.
Les visions sont trrrrès.... claires. Seuls ceux au destin remarquable ont un
futur aussi limpide.
- C'est gentil d’annoncer ça mais...
- Tu seras vengé !
L'oracle
avait subitement hurlé surprenant Mahomet qui faillit tomber à la reverse.
- Tu le seras, oui tu seraaaas...
vengé.
- Ne le prenez pas mal, mais je
pense que vous faites fausse route. Je n'ai envie de me venger de personne, il
n'y a donc aucune raison que...
- Tu seras vengé deee.... l'offense
qui te sera faite.
- Il est vrai que j'ai déjà eu des
différends avec des gens, mais une bonne discussion a toujours permis de régler
le problème.
- Ils te vengeront, oui ils le feront.
- Qui ça ils ? Je vous assure
que j'ai pour habitude de régler mes problèmes moi-même.
- Ils te vengeront, oui illls... te
vengeront après ta mort.
- Quoi ?!
- Des fidèles le ferrrroont... pour
venger ton nom.
- Des fidèles ? Ma
mort ?!
- Ils vengeront l'offense.
- Je serai mort ?
- Les coupables payeront, oui ils
payerooont... de leur vie.
- Vous êtes en train de dire que
l'on va me tuer ?
Changeant
brutalement de ton, l'oracle laissa tomber les variations d'intonation pseudo
mystique pour répondre d'une voix rauque témoignant d'un âge fort avancé.
- Bon écoute coco. Ton boss là il
m'a juste payé pour cinq clampins. Si tu veux aussi des infos sur ta mort, il
va falloir qu'on rediscute les tarifs. Ok ?
- Mais... C'est vous qui avez
évoqué ma mort !
- Pour toi j'vois un truc sur une
histoire de vengeance. C'est très clair, à ce moment-là t'es mort, j'y peux
rien c'est comme ça. Maintenant tu la fermes et tu me laisses faire mon
travail.
- Heu...
Sans
attendre de réponse, elle reprit son numéro de façon si soudaine qu'un instant
Mahomet se demanda s'il n'avait pas rêvé les dernières secondes.
- Ceux qui t'auuuuront... offensé,
mourront.
- Et l'offense ? J'ai le droit
de là connaître ?
- Les blasphémateurs payeront, oui
je le vois, ils payerooont....
- Continuez, je vous écoute.
- ... pour t'avoir dessiné.
- Dessiné ? Comment ça
dessiné ?
- Oui je le vois, tu seras offensé,
tu seras dessiné avec un visaaaaaage.
À
nouveau l'oracle laissa traîner longuement une syllabe puis marqua une pause
avant de finir sa phrase. Mahomet attendit poliment de longues secondes avant
de se rendre compte que la phrase était bel et bien terminée.
- Et qu'est ce qu'il aura ce
visage ?
- Tu seras dessiné, aveeeec.... un
visage tout court.
- Un visage tout court ? Un
petit visage ?
- Non... juste un visage.
- Juste un visage ? Vous
voulez dire... décapiter ?! On va
me tuer par décapitation ?! C'est affreux !
- Nooon... tu seras dessiné avec un
visage. Puuuuis... vengé.
- C'est pas très clair votre truc.
S'énervant
à nouveau, l'oracle laissa tombé son ton cérémoniel au profit du naturel.
- Bordel, j'vois pas ce que tu
piges pas, c'est pourtant limpide. Y a des mecs qui te dessinent, très moche le
dessin d'ailleurs, et sur le dessin t'as un visage. Et toi à ce moment-là t'es
déjà mort.
- Vous vous foutez de moi ?
- Et puis après t'as des fidèles
qui butent tout le monde.
- C'est n'importe quoi votre
truc ! Et est-ce que je peux savoir dans combien de temps ça aurait lieu
par hasard.
- Yep, ça c'est possible. Hum...
dans 1416 ans.
- Bon c'est clair, là vous vous
payez ma tête.
- Ah non, les visions sont
formelles. Dessin, vengeance, dans 1416 ans. Maintenant sois gentil et
casse-toi, y en a d'autres qui attentent et j'aimerais arriver à la Mecque
avant la fin de la semaine. Là-bas y a des pigeons capables de m'échanger deux
chameaux contre une seule prédiction !
- Bien sûr, le camp lui a quand
même offert un chameau, ça n'a choqué personne d'apprendre que je serais mort
dans 1416 ans !
- Je ne mettrai pas en doute la
parole de l'oracle, je pense aussi que vous serez mort dans autant d'années...
- Mais bien sûr que je serais
mort ! Y a pas besoin d'être oracle pour deviner ça ! Et l'histoire
du dessin, me dis pas que tu y crois aussi !
- Les paroles des oracles
semblent bien souvent obscurs, mais elles décèlent toujours une sagesse qui
nous sera dévoilée au moment opportun.
- Ouais, à d'autres. Donc le
prends pas mal, mais les voyants et oracles de mes deux, j'ai déjà donné. Alors
ta prédiction je me la carre où tu le penses.
- Mais voyons, Mahomet, ne vois
tu donc pas que je ne suis ni un voyant, ni un oracle ? Je ne fais pas de
prédiction.
- Ben voyons... de toute façon
j'ai pas de quoi te payer Gaby.
- Ce ne seras pas nécessaire,
mon rôle se limite à transmettre la parole divine à ceux qui ont été choisis
pour l'entendre.
- Et ça genre gratos ?
- C'est ma mission.
- Ceci dit, j'dois admettre que
tes habits lumineux là, ils valent largement la déco de la vieille. Et puis
j'sais pas comment tu fais, mais ta lévitation là, c'est la classe.
- C'est parce que je suis un
archange.
- Jamais entendu parler. Bon
aller, si ça te fait plaisir livre moi ton message. Et comme c'est gratos,
j'aurai pas la honte de me faire arnaquer.
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