Et si c’était la
dernière fois…Jean sort de l’usine à
fabrication de pièces détachées, retire son gang, hôte son casque et avance
vers la caisse pour percevoir ses heures de vacation. Derrière le comptoir, Marie-Claire,
la caissière, lui lance un clin d’œil charmeur et amorce une petite causerie
plein de sourire et de taquinerie. Jean demeure de marbre. Déjà trois semaines
qu’il travaille dans cette usine et c’est la énième fois qu’il esquive une nouvelle
tentative d’invitation pour diner en tête à tête avec la caissière.
-
Voici votre paye,
beau gosse finit-elle par dire.
Elle dépose sur le comptoir une enveloppe légèrement
volumineuse. Sans mot dire, Jean s’empare de l’enveloppe, lui glisse un petit
sourire, puis un clin d’œil. Toute rouge, Marie-Claire observe l’homme tourné
les talons, sortir de l’administration et se diriger vers le grand portail. Tout
en marchant, Jean sort de sa poche son porte-monnaie. Sans le remarqué, un bout
de papier plié en quatre se faufile de sa poche et se retrouve à terre. Il ne
prête pas attention au petit papyrus allongé au sol et continue son chemin.
Arrivé au grand portail, Jean s’arrête, ouvre son porte-monnaie et marque une courte
pause sur la photo de son fils Nathan et sa défunte femme Claire. La minuscule
image est abritée derrière une petite poche transparente de son porte-monnaie.
Il revit en image virtuelle ces moments de bonheur familial inoubliable qui le
pousse à fermer les yeux et esquissé un petit sourire. Aujourd’hui, sa femme
est décédée et son fils Nathan est atteint d’une bronchite assez complexe. Artiste
peintre, Jean a renoncé à sa profession pour travailler au sein de cette usine
de pièces détachées bien rémunéré. Cela dure déjà trois semaines qu’il y
travaille d’arrache pied. Il doit rassembler une somme conséquente pour pallier
au traitement recommandé par le médecin pour son fils. Ce soir, c’est enfin
fini. Il a touché le jackpot. Son porte-monnaie faisant office de tirelire, il
sort l’ensemble des billets et les recompte les uns après les autres pour
s’assurer de la somme exacte. Rassurer, il remet le porte-monnaie dans sa
poche, sort de l’usine et emprunte l’autoroute qui déboule juste devant l’usine.
Les mains dans la poche, il patiente juste un instant et le feu tricolore passe
au vert. Il se lance sur le goudron froid et monotone de l’autoroute pour
regagner le centre hospitalier Saint Jacques où se trouve Nathan. Brusquement,
un véhicule dont le chauffeur, super pressé, les phares joliment allumés, tente
de bruler le feu pour se rendre à une cérémonie de mariage. Dans son retard criard,
il remarque en retard l’homme qui traverse tranquillement la route et le
fauche. Le contact a été violent. Le véhicule traine Jean sur une distance de
dix mètres avant de s’immobiliser. Dans la panique, le véhicule fait marche
arrière, dandine et démarre en trombe. Marie-Claire, ayant remarqué le bout de
papier plié en quatre tombé de la poche de Jean, le poursuivait d’un pas pressé
pour lui restitué le papyrus. Elle était déjà à la hauteur du grand portail de
l’usine lorsque la malheureuse scène se déroule. Impuissante et stupéfaite,
elle pousse un énorme cri et s’élance au secours de la victime. Avec son
Smartphone, elle parvient à photographie le véhicule dans sa fuite. La femme
traine le corps lourd de Jean jusqu’au bord de la route. Ce dernier avait déjà
perdu connaissance. Elle passe ses doigts sur la surface tactile de son
Smartphone pour l’activer, appelle la police pour dénoncer le forfait, réclame
de l’assistance et signale le véhicule en fuite. Assise à même le sol au côté
de Jean, elle ne put s’empêcher de déplier le bout de papier et de lire son
contenu :
« Nathan, mon chéri, aujourd’hui, ce matin, je
renonce temporairement à mon rêve d’artiste pour faire un autre métier et
t’offrir le meilleur traitement pour ta maladie. J’écris ce message pour qu’un jour,
étant grand, tu comprennes qu’un père doit faire des sacrifices pour sa famille
et surtout pour son fils…Je t’aime » ton papa Jean.
Et si c’était la
dernière fois…au volant de sa
voiture, Marc est pris en chasse par la police de la ville. Son malheur
provient d’un simple retard. Témoin au mariage de son frère, il a retardé volontairement
son arrivé à cause d’un diner sensuel avec la charmante Binta, sa nouvelle
secrétaire. Jouant à la limite de la vitesse autorisée, il pousse à fond sur le
champignon pour rattraper son retard. Sur l’autoroute, il arrive au niveau de
l’usine à fabrique de pièces détachées de la ville. Le feu tricolore stagne sur
le rouge. Epris de son retard, Marc banalise la couleur du feu tricolore et
fonce. A sa grande surprise, un homme était en train de traverser. Avec son
allure, il n’a pas pu éviter le contact et percute l’homme de plein fouet. Dans
l’euphorie, il commet un délit de fuite et file sans porté assistance à la
victime allongée au sol. Arrivé à la première intersection, il ralenti,
bifurque à droite et quitte l’autoroute. Il est immédiatement accoster par un
véhicule de la police en patrouille dans la zone. Son immatriculation et son
véhicule correspondent à la signalisation du central. Marc ne le savait pas. Il
repasse, dans sa tête, l’image de son acte et sa fuite. Son cœur bat la
chamade. Son cerveau nage dans un dilemme fou entre partir ou se dénoncer aux
forces de l’ordre. Marié et père de deux enfants, Marc est un grand infidèle.
Binta, sa nouvelle secrétaire, n’est qu’une goutte d’eau sur sa liste
d’infidélité qui regorge déjà d’une bonne vingtaine de tromperie. Il observe dans
son rétroviseur l’homme en uniforme se diriger vers lui. Le policier avance lentement
la main sur le colt attaché à sa ceinture et donne tout en marchant des
instructions au chauffeur. Marc fini par prendre sa décision. Il appuie à
nouveau sur le champignon et provoque un petit rodéo de dix minutes dans la
ville. Une course poursuite farouche s’engage. Il passe par le marché, renverse
quelques passants, cogne quelques vendeurs ambulants, défonce quelques véhicules
au passage et s’engagent sur un pont en construction. Il ignorait qu’il manque
quinze mètre à ce pont pour joindre l’autre côté du rive. Marc, au volant de sa
voiture découvre au loin la dure réalité. Mais, son adrénaline était à son
paroxysme. Il décide d’effectuer le saut de l’ange par-dessus le trou. En pleine
vitesse, il serre son volant de toute sa force et fonce vers le trou béant. Il distingue
au bout du pont en construction un homme, tenant une bouteille de whisky à la main
gauche et avec la main droite un revolver plaqué sur sa tempe. Portant un
costume débraillé, l’homme est debout au beau milieu de la route tout au bout
du pont. Marc n’en pouvait plus. Son crane lui cuisine un nouveau dilemme de trop.
Ecrasé cet homme ou freiné. Il fini par désister et freine de toutes ses forces.
Son véhicule titubant s’arrête à quelques centimètres près de l’homme à la
bouteille. Dans un tohubohu de sirène et de gyrophare, la police se rapproche
de Marc, lui passe la menotte à la main et l’embarque. L’homme à la bouteille
avait tourné le dos à la scène et braque toujours son revolver sur sa propre
tempe. Sur le dos de sa veste, on
pouvait lire de près une inscription gribouillée avec un marqueur : «
Continuer votre route, je veux juste prendre l’air ».
Et si c’était la
dernière fois…Francis balance par-dessus
bord le mégot de sa cigarette. La bouteille de whisky qu’il trimbale à la main
est totalement vide. Aujourd’hui, c’est le jour le plus sombre de toute sa vie.
Une journée de merde qui enchaine malheur sur malheur. Son revolver magnum sur
la tempe, il joue depuis un instant à la roulette russe sur un pont en
construction. Son objectif est d’envoyer son âme déroutée rejoindre ses
ancêtres. Après une quinzième tentative, Francis remarque enfin l’absence de
cartouche dans le pistolet. Il jette un coup d’œil à son pied et remarque sa
cheville bien enflée. Ce matin, victime d’une entorse à la cheville, Francis
retourne précipitamment chez lui plaqué d’un arrête maladie du médecin. Presser
de passer quelques moments d’intimité avec sa femme, il ouvre la porte de sa
maison et rentre dans une surprise totale. Sa femme en compagnie d’un inconnu a
transformé sa maison en un podium de jérémiade et d’acharnement vocal de
plaisir. Fou de colère et de rage, Francis se rend dans la cuisine, farfouille
derrière un petit coffre et s’empare de son revolver magnum. Certes, c’est lui
le stérile du couple. Il se souvient qu’a chaque grossesse et à chaque test de
paternité, son volubile de médecin lui répète sans cesse qu’il est le fruit
d’un miracle du tout puissant créateur. Aujourd’hui, il va découvrir la
supercherie. Pistolet en main, il déboule dans la chambre et surprend sa femme en
compagnie de son frère cadet à lui. Son air surpris se transforme à un regard
fataliste. Il pointe son arme sur le couple d’infidèle, douche sa femme d’une
balle en pleine tête et vide le reste des cartouches sur son cocu de frère. Ne
pouvant contempler le carnage, il s’empare d’une bouteille de whisky dans la
réserve et sort de chez lui déprimé et abattu. Le malheureux vient de tué son
frère, sa femme et risque la prison à coups sûr. Il erre toute l’après-midi
dans les rues, le parc, la cravate dénoué, l’haleine puante d’alcool et sa
mémoire passe en revu à ses yeux le tendre visage de ces quatre enfants.
Maintenant, le voile est déchiré et la vérité est dure à avaler. Ces enfants ne
sont les siens, sa femme l’a toujours trompé et lui seul ne le savait pas. Il s’assoit
sur un banc au parc, prend un marqueur dans la poche de sa veste et rature sur
le dos de son costume : « Continuer votre route, je veux juste
prendre l’air ». Il enfile sa veste puis continue son errance jusqu’au pont
en construction de la ville où la route s’arrête. Le pont inachevé lui propose
un joli plongeon de cinquante mètre pour en finir. Il sort son revolver qu’il a
soigneusement planqué dans la poche de sa veste et après quelques tentatives,
il constate que l’arme était vide. Hésitant et titubant en cherchant à recharger
son arme, Francis soulève la tête et voit plusieurs lumières des phares de
voitures et de gyrophares foncer sur lui. Pris de peur, il sort précipitamment quelques
cartouches de sa poche, recharge son revolver magnum puis porte l’arme de
nouveau à sa tempe. Saoul et euphorique, il perçoit péniblement l’arrestation
d’un homme sous ses yeux à demi ouvert et tourne le dos à la scène. Francis
ferme les yeux et appréhende les bruits des sirènes, les cris d’exhortations
des policiers et le vent frais qui souffle sur le pont. Il sourit et finit par
presser sur la détente. Le revolver magnum envoie le plomb dans son crane. Le
choc violent fait bascule son lourd corps dans le vide sous le pont. Quelques
secondes de silence règne sur le pont entre désolation des policiers et stupeur
de l’homme arrêté. Un policier, assez courageux, risque un coup d’œil
par-dessus le pont en construction. Le corps de Francis est retenu par le bout
d’un fer à béton accroché à son pantalon. Dans sa poche, son téléphone s’est
mis à sonner et de sa tête du sang coulait plantureusement.
Et si c’était la
dernière fois…Ce matin, l’inspecteur
Maz, portant son manteau en velours, coiffé de son borsalino, a la lourde tâche
d’annoncer à quatre enfants le décès de leur père, leur mère et leur
oncle ; de récupérer l’argent recueilli par un autre père pour
l’hospitalisation de son fils et conduire ce même fils auprès de ce dernier au
soin intensif ; d’annoncer à un couple fraichement marié, l’arrestation
d’un de leur témoin. Avec sa lunette fumée à la monture d’argent, sa cigarette
Camelle sur les lèvres et sa barbe bien touffu, l’inspecteur Maz sais que même
si c’était la dernière fois, la vie continuera toujours tranquillement son
cours de chemin avec ou sans vous.
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