samedi 2 mai 2015

A la poursuite d'une vie... un rêve

Et si c’était la dernière fois…Jean sort de l’usine à fabrication de pièces détachées, retire son gang, hôte son casque et avance vers la caisse pour percevoir ses heures de vacation. Derrière le comptoir, Marie-Claire, la caissière, lui lance un clin d’œil charmeur et amorce une petite causerie plein de sourire et de taquinerie. Jean demeure de marbre. Déjà trois semaines qu’il travaille dans cette usine et c’est la énième fois qu’il esquive une nouvelle tentative d’invitation pour diner en tête à tête avec la caissière.
-          Voici votre paye, beau gosse finit-elle par dire.
Elle dépose sur le comptoir une enveloppe légèrement volumineuse. Sans mot dire, Jean s’empare de l’enveloppe, lui glisse un petit sourire, puis un clin d’œil. Toute rouge, Marie-Claire observe l’homme tourné les talons, sortir de l’administration et se diriger vers le grand portail. Tout en marchant, Jean sort de sa poche son porte-monnaie. Sans le remarqué, un bout de papier plié en quatre se faufile de sa poche et se retrouve à terre. Il ne prête pas attention au petit papyrus allongé au sol et continue son chemin. Arrivé au grand portail, Jean s’arrête, ouvre son porte-monnaie et marque une courte pause sur la photo de son fils Nathan et sa défunte femme Claire. La minuscule image est abritée derrière une petite poche transparente de son porte-monnaie. Il revit en image virtuelle ces moments de bonheur familial inoubliable qui le pousse à fermer les yeux et esquissé un petit sourire. Aujourd’hui, sa femme est décédée et son fils Nathan est atteint d’une bronchite assez complexe. Artiste peintre, Jean a renoncé à sa profession pour travailler au sein de cette usine de pièces détachées bien rémunéré. Cela dure déjà trois semaines qu’il y travaille d’arrache pied. Il doit rassembler une somme conséquente pour pallier au traitement recommandé par le médecin pour son fils. Ce soir, c’est enfin fini. Il a touché le jackpot. Son porte-monnaie faisant office de tirelire, il sort l’ensemble des billets et les recompte les uns après les autres pour s’assurer de la somme exacte. Rassurer, il remet le porte-monnaie dans sa poche, sort de l’usine et emprunte l’autoroute qui déboule juste devant l’usine. Les mains dans la poche, il patiente juste un instant et le feu tricolore passe au vert. Il se lance sur le goudron froid et monotone de l’autoroute pour regagner le centre hospitalier Saint Jacques où se trouve Nathan. Brusquement, un véhicule dont le chauffeur, super pressé, les phares joliment allumés, tente de bruler le feu pour se rendre à une cérémonie de mariage. Dans son retard criard, il remarque en retard l’homme qui traverse tranquillement la route et le fauche. Le contact a été violent. Le véhicule traine Jean sur une distance de dix mètres avant de s’immobiliser. Dans la panique, le véhicule fait marche arrière, dandine et démarre en trombe. Marie-Claire, ayant remarqué le bout de papier plié en quatre tombé de la poche de Jean, le poursuivait d’un pas pressé pour lui restitué le papyrus. Elle était déjà à la hauteur du grand portail de l’usine lorsque la malheureuse scène se déroule. Impuissante et stupéfaite, elle pousse un énorme cri et s’élance au secours de la victime. Avec son Smartphone, elle parvient à photographie le véhicule dans sa fuite. La femme traine le corps lourd de Jean jusqu’au bord de la route. Ce dernier avait déjà perdu connaissance. Elle passe ses doigts sur la surface tactile de son Smartphone pour l’activer, appelle la police pour dénoncer le forfait, réclame de l’assistance et signale le véhicule en fuite. Assise à même le sol au côté de Jean, elle ne put s’empêcher de déplier le bout de papier et de lire son contenu :
« Nathan, mon chéri, aujourd’hui, ce matin, je renonce temporairement à mon rêve d’artiste pour faire un autre métier et t’offrir le meilleur traitement pour ta maladie. J’écris ce message pour qu’un jour, étant grand, tu comprennes qu’un père doit faire des sacrifices pour sa famille et surtout pour son fils…Je t’aime » ton papa Jean.
Et si c’était la dernière fois…au volant de sa voiture, Marc est pris en chasse par la police de la ville. Son malheur provient d’un simple retard. Témoin au mariage de son frère, il a retardé volontairement son arrivé à cause d’un diner sensuel avec la charmante Binta, sa nouvelle secrétaire. Jouant à la limite de la vitesse autorisée, il pousse à fond sur le champignon pour rattraper son retard. Sur l’autoroute, il arrive au niveau de l’usine à fabrique de pièces détachées de la ville. Le feu tricolore stagne sur le rouge. Epris de son retard, Marc banalise la couleur du feu tricolore et fonce. A sa grande surprise, un homme était en train de traverser. Avec son allure, il n’a pas pu éviter le contact et percute l’homme de plein fouet. Dans l’euphorie, il commet un délit de fuite et file sans porté assistance à la victime allongée au sol. Arrivé à la première intersection, il ralenti, bifurque à droite et quitte l’autoroute. Il est immédiatement accoster par un véhicule de la police en patrouille dans la zone. Son immatriculation et son véhicule correspondent à la signalisation du central. Marc ne le savait pas. Il repasse, dans sa tête, l’image de son acte et sa fuite. Son cœur bat la chamade. Son cerveau nage dans un dilemme fou entre partir ou se dénoncer aux forces de l’ordre. Marié et père de deux enfants, Marc est un grand infidèle. Binta, sa nouvelle secrétaire, n’est qu’une goutte d’eau sur sa liste d’infidélité qui regorge déjà d’une bonne vingtaine de tromperie. Il observe dans son rétroviseur l’homme en uniforme se diriger vers lui. Le policier avance lentement la main sur le colt attaché à sa ceinture et donne tout en marchant des instructions au chauffeur. Marc fini par prendre sa décision. Il appuie à nouveau sur le champignon et provoque un petit rodéo de dix minutes dans la ville. Une course poursuite farouche s’engage. Il passe par le marché, renverse quelques passants, cogne quelques vendeurs ambulants, défonce quelques véhicules au passage et s’engagent sur un pont en construction. Il ignorait qu’il manque quinze mètre à ce pont pour joindre l’autre côté du rive. Marc, au volant de sa voiture découvre au loin la dure réalité. Mais, son adrénaline était à son paroxysme. Il décide d’effectuer le saut de l’ange par-dessus le trou. En pleine vitesse, il serre son volant de toute sa force et fonce vers le trou béant. Il distingue au bout du pont en construction un homme, tenant une bouteille de whisky à la main gauche et avec la main droite un revolver plaqué sur sa tempe. Portant un costume débraillé, l’homme est debout au beau milieu de la route tout au bout du pont. Marc n’en pouvait plus. Son crane lui cuisine un nouveau dilemme de trop. Ecrasé cet homme ou freiné. Il fini par désister et freine de toutes ses forces. Son véhicule titubant s’arrête à quelques centimètres près de l’homme à la bouteille. Dans un tohubohu de sirène et de gyrophare, la police se rapproche de Marc, lui passe la menotte à la main et l’embarque. L’homme à la bouteille avait tourné le dos à la scène et braque toujours son revolver sur sa propre tempe.  Sur le dos de sa veste, on pouvait lire de près une inscription gribouillée avec un marqueur : « Continuer votre route, je veux juste prendre l’air ».
Et si c’était la dernière fois…Francis balance par-dessus bord le mégot de sa cigarette. La bouteille de whisky qu’il trimbale à la main est totalement vide. Aujourd’hui, c’est le jour le plus sombre de toute sa vie. Une journée de merde qui enchaine malheur sur malheur. Son revolver magnum sur la tempe, il joue depuis un instant à la roulette russe sur un pont en construction. Son objectif est d’envoyer son âme déroutée rejoindre ses ancêtres. Après une quinzième tentative, Francis remarque enfin l’absence de cartouche dans le pistolet. Il jette un coup d’œil à son pied et remarque sa cheville bien enflée. Ce matin, victime d’une entorse à la cheville, Francis retourne précipitamment chez lui plaqué d’un arrête maladie du médecin. Presser de passer quelques moments d’intimité avec sa femme, il ouvre la porte de sa maison et rentre dans une surprise totale. Sa femme en compagnie d’un inconnu a transformé sa maison en un podium de jérémiade et d’acharnement vocal de plaisir. Fou de colère et de rage, Francis se rend dans la cuisine, farfouille derrière un petit coffre et s’empare de son revolver magnum. Certes, c’est lui le stérile du couple. Il se souvient qu’a chaque grossesse et à chaque test de paternité, son volubile de médecin lui répète sans cesse qu’il est le fruit d’un miracle du tout puissant créateur. Aujourd’hui, il va découvrir la supercherie. Pistolet en main, il déboule dans la chambre et surprend sa femme en compagnie de son frère cadet à lui. Son air surpris se transforme à un regard fataliste. Il pointe son arme sur le couple d’infidèle, douche sa femme d’une balle en pleine tête et vide le reste des cartouches sur son cocu de frère. Ne pouvant contempler le carnage, il s’empare d’une bouteille de whisky dans la réserve et sort de chez lui déprimé et abattu. Le malheureux vient de tué son frère, sa femme et risque la prison à coups sûr. Il erre toute l’après-midi dans les rues, le parc, la cravate dénoué, l’haleine puante d’alcool et sa mémoire passe en revu à ses yeux le tendre visage de ces quatre enfants. Maintenant, le voile est déchiré et la vérité est dure à avaler. Ces enfants ne sont les siens, sa femme l’a toujours trompé et lui seul ne le savait pas. Il s’assoit sur un banc au parc, prend un marqueur dans la poche de sa veste et rature sur le dos de son costume : « Continuer votre route, je veux juste prendre l’air ». Il enfile sa veste puis continue son errance jusqu’au pont en construction de la ville où la route s’arrête. Le pont inachevé lui propose un joli plongeon de cinquante mètre pour en finir. Il sort son revolver qu’il a soigneusement planqué dans la poche de sa veste et après quelques tentatives, il constate que l’arme était vide. Hésitant et titubant en cherchant à recharger son arme, Francis soulève la tête et voit plusieurs lumières des phares de voitures et de gyrophares foncer sur lui. Pris de peur, il sort précipitamment quelques cartouches de sa poche, recharge son revolver magnum puis porte l’arme de nouveau à sa tempe. Saoul et euphorique, il perçoit péniblement l’arrestation d’un homme sous ses yeux à demi ouvert et tourne le dos à la scène. Francis ferme les yeux et appréhende les bruits des sirènes, les cris d’exhortations des policiers et le vent frais qui souffle sur le pont. Il sourit et finit par presser sur la détente. Le revolver magnum envoie le plomb dans son crane. Le choc violent fait bascule son lourd corps dans le vide sous le pont. Quelques secondes de silence règne sur le pont entre désolation des policiers et stupeur de l’homme arrêté. Un policier, assez courageux, risque un coup d’œil par-dessus le pont en construction. Le corps de Francis est retenu par le bout d’un fer à béton accroché à son pantalon. Dans sa poche, son téléphone s’est mis à sonner et de sa tête du sang coulait plantureusement.
Et si c’était la dernière fois…Ce matin, l’inspecteur Maz, portant son manteau en velours, coiffé de son borsalino, a la lourde tâche d’annoncer à quatre enfants le décès de leur père, leur mère et leur oncle ; de récupérer l’argent recueilli par un autre père pour l’hospitalisation de son fils et conduire ce même fils auprès de ce dernier au soin intensif ; d’annoncer à un couple fraichement marié, l’arrestation d’un de leur témoin. Avec sa lunette fumée à la monture d’argent, sa cigarette Camelle sur les lèvres et sa barbe bien touffu, l’inspecteur Maz sais que même si c’était la dernière fois, la vie continuera toujours tranquillement son cours de chemin avec ou sans vous.

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