samedi 2 mai 2015

O'Tempo

Et si c’était la dernière fois. Et si c'était ma dernière chance. Et si c'était la dernière de toutes les dernières...
Voici ce à quoi je pense en regardant la foule d'instruments de musique dans la vitrine du magasin O'TEMP'O, magasin qui reste au coin de ma rue. Mon regard cherche un peu nerveusement un violoncelle, un peu perdu dans la multitude des cordes, des vents, des percussions...
Et si c'était vraiment la dernière fois que j'apprenais quelque chose, la dernière de tout le reste de ma vie.
Cette inquiétude n'était pas neuve. Depuis quelque temps déjà je songeais à apprendre le violoncelle ou tout du moins quelque chose de totalement inédit.
Ma vie actuelle a son lot d'instants de satisfactions. Mes celles-ci étaient perpétuellement le fruit direct d'actes et de raisonnements que je maîtrise depuis longtemps. Rien de neuf, rien de nouveau qui me donnerait l'impression de progresser. Au contraire, mille et une victoires sans gloire sur des tâches qui en deviennent presque ingrates.
Pourtant, se tourner vers un instrument de musique n'est pas quelque chose d'évident pour moi. J'avais durant mon enfance joué du piano, ce fut plus une corvée qu'un plaisir et ma mauvaise volonté faisait de moi une élève moyenne. La flute du collège ne déclencha pas plus d'écho en moi.
Je constatais que la méthode scolaire ou académique ne me poussait pas à apprécier le perpétuel apprentissage de la musique.
Cependant, lorsqu'elle avait commencé à travailler, elle avait pensé à apprendre à jouer de la guitare. Elle en aimait le son et avait entendu tant de gens qui autrefois s'étaient vantés d'avoir appris par eux même, tout seul, sans maître. La expérience du grattage ne se renouvela pas plus de deux fois : la lecture de la tablature n'était pas si évidente finalement ; l'incapacité à produire un son convenable était des plus frustrantes... La guitare retourna donc entre les mains de son précédent propriétaire, ma petite sœur.
Après cet échec, j'en ai conclu que d'apprendre par moi-même un instrument révèle combien je suis faible devant la frustration due à l'échec.
Comme je le disais au début, j'étais trop habitué à réussir toutes ces choses dont je me savait capable d'avance. Il n'y avait pas de surprise, nul frisson, aucun plaisir... mais il n'y avait pas non plus cette frustration insupportable.
Aussi avais-je peur de céder à mon envie d'apprendre le violoncelle. Ne risquerai-je pas d'aller au devant de difficulté me poussant plus ou moins facilement à arrêter ?
Le problème était là : commencer quelque chose sans s'arrêter au moindre saut d'humeur... Il me fallait devenir un être assidu et je craignais de ne pas me métamorphoser ainsi.
Toutefois, le son du violoncelle me plaît vraiment. Au début ce fut par pur hasard que j'en entendis des extraits dans des œuvres classiques le mettant plus ou moins en avant : chez Bach et Offenbach, chez Beethoven et Haydn, chez Chopin et Schubert, chez Rostropovitch et Dvorak, chez Tchaïkovski et Vivaldi...
Ce qui me donna l'incontestable envie d'apprendre, ce fut sans aucun doute le duo de The Piano Guy. La fortune voulue que je tombasse sur les vidéos filmées par le pianiste et le violoncelliste. Il s'agissait d'un savant mélange de modernité : partition inspirée des musiques figurant au top des hits ; de classicisme de par leurs instruments classiques, bien que parfois revisités ; et surtout d'une inventivité dans la mise en scène.
Il n'y a pas une vidéo où l'un ou l'autre de ces deux musiciens, bien que concentrés, ne laissent aller toute leur sensibilité. Le violoncelliste, tout particulièrement, arbore un franc sourire qui affiche un indéniable bonheur de jouer. Il me semble jouer comme il rit.
J'avoue que c'est ce petit plaisir que j'envie.
Alors me voilà, devant O'TEMP'O, au détour d'une rue me menant à mon médecin traitant, que je devrai déjà être en train de consulter, si je ne ferai pas mieux de troquer le médecin et ses médicaments contre un professeur et un violoncelle.
Toujours à cette pensée, je cherche encore le violoncelle des yeux. Je me dit que, peut-être, est-ce là ma dernière chance de pouvoir me permettre d'oser quelque chose de nouveau.
Oui... Et si c’était la dernière fois.

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