Et si c’était la dernière fois. Et
si c'était ma dernière chance. Et si c'était la dernière de toutes les
dernières...
Voici ce à quoi je pense en
regardant la foule d'instruments de musique dans la vitrine du magasin O'TEMP'O,
magasin qui reste au coin de ma rue. Mon regard cherche un peu nerveusement un
violoncelle, un peu perdu dans la multitude des cordes, des vents, des
percussions...
Et si c'était vraiment la dernière
fois que j'apprenais quelque chose, la dernière de tout le reste de ma vie.
Cette
inquiétude n'était pas neuve. Depuis quelque temps déjà je songeais à apprendre
le violoncelle ou tout du moins quelque chose de totalement inédit.
Ma
vie actuelle a son lot d'instants de satisfactions. Mes celles-ci étaient
perpétuellement le fruit direct d'actes et de raisonnements que je maîtrise
depuis longtemps. Rien de neuf, rien de nouveau qui me donnerait l'impression
de progresser. Au contraire, mille et une victoires sans gloire sur des tâches
qui en deviennent presque ingrates.
Pourtant,
se tourner vers un instrument de musique n'est pas quelque chose d'évident pour
moi. J'avais durant mon enfance joué du piano, ce fut plus une corvée qu'un
plaisir et ma mauvaise volonté faisait de moi une élève moyenne. La flute du
collège ne déclencha pas plus d'écho en moi.
Je
constatais que la méthode scolaire ou académique ne me poussait pas à apprécier
le perpétuel apprentissage de la musique.
Cependant,
lorsqu'elle avait commencé à travailler, elle avait pensé à apprendre à jouer
de la guitare. Elle en aimait le son et avait entendu tant de gens qui autrefois
s'étaient vantés d'avoir appris par eux même, tout seul, sans maître. La
expérience du grattage ne se renouvela pas plus de deux fois : la lecture de la
tablature n'était pas si évidente finalement ; l'incapacité à produire un son
convenable était des plus frustrantes... La guitare retourna donc entre les
mains de son précédent propriétaire, ma petite sœur.
Après
cet échec, j'en ai conclu que d'apprendre par moi-même un instrument révèle
combien je suis faible devant la frustration due à l'échec.
Comme
je le disais au début, j'étais trop habitué à réussir toutes ces choses dont je
me savait capable d'avance. Il n'y avait pas de surprise, nul frisson, aucun
plaisir... mais il n'y avait pas non plus cette frustration insupportable.
Aussi
avais-je peur de céder à mon envie d'apprendre le violoncelle. Ne risquerai-je
pas d'aller au devant de difficulté me poussant plus ou moins facilement à
arrêter ?
Le
problème était là : commencer quelque chose sans s'arrêter au moindre saut
d'humeur... Il me fallait devenir un être assidu et je craignais de ne pas me
métamorphoser ainsi.
Toutefois,
le son du violoncelle me plaît vraiment. Au début ce fut par pur hasard que j'en
entendis des extraits dans des œuvres classiques le mettant plus ou moins en
avant : chez Bach et Offenbach, chez Beethoven et Haydn, chez Chopin et
Schubert, chez Rostropovitch et Dvorak, chez Tchaïkovski et Vivaldi...
Ce
qui me donna l'incontestable envie d'apprendre, ce fut sans aucun doute le duo
de The Piano Guy. La fortune voulue que je tombasse sur les vidéos filmées par
le pianiste et le violoncelliste. Il s'agissait d'un savant mélange de
modernité : partition inspirée des musiques figurant au top des hits ; de
classicisme de par leurs instruments classiques, bien que parfois revisités ;
et surtout d'une inventivité dans la mise en scène.
Il
n'y a pas une vidéo où l'un ou l'autre de ces deux musiciens, bien que
concentrés, ne laissent aller toute leur sensibilité. Le violoncelliste, tout
particulièrement, arbore un franc sourire qui affiche un indéniable bonheur de
jouer. Il me semble jouer comme il rit.
J'avoue
que c'est ce petit plaisir que j'envie.
Alors
me voilà, devant O'TEMP'O,
au détour d'une rue me menant à mon médecin traitant, que je devrai déjà être
en train de consulter, si je ne ferai pas mieux de troquer le médecin et ses
médicaments contre un professeur et un violoncelle.
Toujours
à cette pensée, je cherche encore le violoncelle des yeux. Je me dit que, peut-être, est-ce là ma
dernière chance de pouvoir me permettre d'oser quelque chose de nouveau.
Oui...
Et si c’était la
dernière fois.
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