Si
seulement c'était la dernière fois ... Je serais tellement heureux pour Nina,
même si pour moi cela reviendrait à moins la voir ... Nina n'aurait plus à
rester sous le lit ...
Nina
était cachée sous le lit. J’étais blotti dans ses bras et elle suivait de ses
petits doigts mes coutures. C’était son jeu, il fallait suivre mes coutures,
les yeux fermés. Et, lorsqu’elle ne les sentait plus, elle rouvrait les yeux et
s’étonnait de retrouver ses doigts sur les petites billes violettes qui représentaient
mes yeux. Ces mains y dérivaient toujours. Même si elle ne voulait pas se
l’avouer, je sais que ce n’était pas qu’un jeu. C’était une manière de se
concentrer sur autre chose que sur les cris qui retentissait dans
l’appartement. Ils se disputaient sans arrêt. Les causes étaient toujours les
mêmes : l’alcoolisme du père, les absences de la mère et l’appartement
trop petit. Et l’issue était toujours la même, on retrouvait du sang sur la
moquette et la mère se maquillait encore plus que la veille. Nina, impuissante,
sous le lit, ne pouvait qu’assister à ces disputes, ces luttes, dont elle ne
comprenait même pas les causes.
La
première fois qu’elle y avait assisté, c’était il y a un an. Lorsque le père
s’était mis à boire et la mère à le tromper. Cette fois-là, lorsque Nina avait
voulu protester, elle avait reçu une gifle. Et depuis, lorsqu’elle entendait des
bruits de pas devant la porte, elle se hâtait de se glisser sous le lit. Elle y
avait installé son refuge. Il était constitué d’un oreiller, d’une couette,
d’un livre et d’une lampe de poche. Elle m’y avait aménagé une sorte de couche
où je restais, attendant avec égoïsme ce moment où elle me rejoindrait et me
câlinerait.
Au
début elle pleurait, et je sentais des perles d’eau salée se mêler à mes poils
verts. Mais maintenant elle ne pleurait plus, elle s'en voulait et se réfugiait
dans mon pelage pour ne pas avoir à y repenser. Elle pensait que c'était à
cause d'elle que la mère saignait. A cause d'elle que le père buvait. Moi, je
savais bien que ce n'était pas de sa faute, qu'il n'y avait aucun rapport même
... Qu'il y avait juste un homme brutal, jaloux, et accro et une femme battue,
perdue qui ne savait pas comment réagir face à son mari. Mais, mon rôle n'était
pas de le lui expliquer, juste de se faire câliner et de lui amener un peu de
réconfort. Lorsque la moquette se tachait de quelques gouttes vermeilles, le
père s'arrêtait de cogner. Il s'excusait, se justifiait par la boisson, et
sortait de la pièce en titubant, l'air penaud. La mère et Nina savaient très
bien que les lendemains seraient semblables. Au loin, les pas lourds du père
disparaissaient. La mère se relevait, essuyant ses larmes, elle se dirigeait
vers la salle de bain. Nina attendait alors quelques minutes, le temps qu'il
fallait pour que les bleus de la mère soient camouflés, et rejoignait sa mère.
Là, de sous le lit, j'entendais toujours les même phrases "Ne t'inquiète
pas Nina, je n'ai pas eu mal ... Tu sais, il ne faut pas que tu en parles à
l'école ... Papa ne s'est pas contrôlé, mais il nous aime ... Il est sans doute
au travail ... Et moi, il va falloir que j'aille prendre mon service ...".
Je ne savais pas si elle y croyait mais moi, je n'étais pas dupe, je savais que
le père était retourné au bar et que la mère irait rejoindre son amant. La mère
finissait par lui expliquer ce qu'elle pouvait manger le soir même.
Puis
la porte claquait. Et Nina m'attrapait par la patte pour me prendre dans ses
bras. Elle s'asseyait sur le canapé, moi sur ses genoux et elle pleurait. Elle
ne s'arrêtait que lorsque son ventre se mettait à gargouiller. Elle mangeait rapidement
un morceau, se glissait sur le canapé et me serrait contre elle du plus fort
que ses petits bras lui permettaient. Je pense que si j'avais eu une cage
thoracique, elle me l'aurait brisée ... Puis elle s'endormait tout en douceur
et son étreinte se relâchait.
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