samedi 2 mai 2015

Junior : Sous le lit

Si seulement c'était la dernière fois ... Je serais tellement heureux pour Nina, même si pour moi cela reviendrait à moins la voir ... Nina n'aurait plus à rester sous le lit ...
Nina était cachée sous le lit. J’étais blotti dans ses bras et elle suivait de ses petits doigts mes coutures. C’était son jeu, il fallait suivre mes coutures, les yeux fermés. Et, lorsqu’elle ne les sentait plus, elle rouvrait les yeux et s’étonnait de retrouver ses doigts sur les petites billes violettes qui représentaient mes yeux. Ces mains y dérivaient toujours. Même si elle ne voulait pas se l’avouer, je sais que ce n’était pas qu’un jeu. C’était une manière de se concentrer sur autre chose que sur les cris qui retentissait dans l’appartement. Ils se disputaient sans arrêt. Les causes étaient toujours les mêmes : l’alcoolisme du père, les absences de la mère et l’appartement trop petit. Et l’issue était toujours la même, on retrouvait du sang sur la moquette et la mère se maquillait encore plus que la veille. Nina, impuissante, sous le lit, ne pouvait qu’assister à ces disputes, ces luttes, dont elle ne comprenait même pas les causes.
La première fois qu’elle y avait assisté, c’était il y a un an. Lorsque le père s’était mis à boire et la mère à le tromper. Cette fois-là, lorsque Nina avait voulu protester, elle avait reçu une gifle. Et depuis, lorsqu’elle entendait des bruits de pas devant la porte, elle se hâtait de se glisser sous le lit. Elle y avait installé son refuge. Il était constitué d’un oreiller, d’une couette, d’un livre et d’une lampe de poche. Elle m’y avait aménagé une sorte de couche où je restais, attendant avec égoïsme ce moment où elle me rejoindrait et me câlinerait.
Au début elle pleurait, et je sentais des perles d’eau salée se mêler à mes poils verts. Mais maintenant elle ne pleurait plus, elle s'en voulait et se réfugiait dans mon pelage pour ne pas avoir à y repenser. Elle pensait que c'était à cause d'elle que la mère saignait. A cause d'elle que le père buvait. Moi, je savais bien que ce n'était pas de sa faute, qu'il n'y avait aucun rapport même ... Qu'il y avait juste un homme brutal, jaloux, et accro et une femme battue, perdue qui ne savait pas comment réagir face à son mari. Mais, mon rôle n'était pas de le lui expliquer, juste de se faire câliner et de lui amener un peu de réconfort. Lorsque la moquette se tachait de quelques gouttes vermeilles, le père s'arrêtait de cogner. Il s'excusait, se justifiait par la boisson, et sortait de la pièce en titubant, l'air penaud. La mère et Nina savaient très bien que les lendemains seraient semblables. Au loin, les pas lourds du père disparaissaient. La mère se relevait, essuyant ses larmes, elle se dirigeait vers la salle de bain. Nina attendait alors quelques minutes, le temps qu'il fallait pour que les bleus de la mère soient camouflés, et rejoignait sa mère. Là, de sous le lit, j'entendais toujours les même phrases "Ne t'inquiète pas Nina, je n'ai pas eu mal ... Tu sais, il ne faut pas que tu en parles à l'école ... Papa ne s'est pas contrôlé, mais il nous aime ... Il est sans doute au travail ... Et moi, il va falloir que j'aille prendre mon service ...". Je ne savais pas si elle y croyait mais moi, je n'étais pas dupe, je savais que le père était retourné au bar et que la mère irait rejoindre son amant. La mère finissait par lui expliquer ce qu'elle pouvait manger le soir même.
Puis la porte claquait. Et Nina m'attrapait par la patte pour me prendre dans ses bras. Elle s'asseyait sur le canapé, moi sur ses genoux et elle pleurait. Elle ne s'arrêtait que lorsque son ventre se mettait à gargouiller. Elle mangeait rapidement un morceau, se glissait sur le canapé et me serrait contre elle du plus fort que ses petits bras lui permettaient. Je pense que si j'avais eu une cage thoracique, elle me l'aurait brisée ... Puis elle s'endormait tout en douceur et son étreinte se relâchait.

Moi, balloté par sa respiration, je réfléchissais et arrivais toujours à la même conclusion : je ne pouvais rien faire d'autre que souhaiter qu’elle n'ait plus à me serrer dans ses bras le lendemain. 

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