A la fois abeille et bourdon d’un passe
temps protégé du monde je stabilisais la banalité prosaïque ou dépliais en
rimes les ondulations drapées des papillons, peu importe…Car j’étais moi-même,
sauvage, égoïste, éclectique confit, brutal dilettante, confiné chaudement dans
un hermétisme vaguement victimaire me tenant souvent lieu d’inspiration. Ceci
jusqu’à la parution fatidique dans le journal régional d’un concours de
nouvelles policières organisé par la rédaction, annoncé ainsi
fébrilement : « Jetez-vous à l’eau ! Vos textes seront lus avec
toute l’attention qu’ils méritent afin de départager les meilleurs. Alors
lancez-vous…L’important c’est d’oser ! » Bizarrement cette aguicheuse invite titilla mon
attention bien que ce genre de course à l’échalote ne m’ait jusque là jamais
attiré. Dans la continuité plusieurs semaines s’écoulèrent, avant que l’idée ne
revienne parfois bombiner au creux des interstices du quotidien, instillant en
moi le défi d’émerger d'une peureuse clandestinité. Malgré l’opiniâtreté de
cette tentation il semblait impossible que je me risquasse à entrer en lice
pour un challenge si singulier. Insoumis comme Lord Byron je n’allais pas
baiser les pieds de ces deux fausses déesses, reconnaissance et
récompense ! Pourtant contre toute attente la provocation du slogan
hydrique m’avait harponné à mon insu. Et je remis la main sur l’article
soigneusement découpé…
Bref je tombais
dans le piège, convoquant à la hâte ma dizaine de mots fétiches aux cuirasses
usées, sorte de
garde sémantique rapprochée qui à coup d’associations et d’habiles ressorts
remplissaient leur mission de me propulser au fil des récits. Ces vocables
puissants et souples adjectifs m’entrainèrent donc à tricoter rapidement une
intrigue avant la date limite. J’imprimais le premier jet, remplaçant au vol un
qualificatif et relus mon introduction du moment :
Dans notre culte rendu à l’objectivité, que de choses en fait nous
échappent, rencontres hétéroclites, hasards insoutenables, déployant leur
feuillage contrariant et tenace.
Ainsi ces coups de sonnette rapprochés à une
heure du matin évoquèrent
foisonnante sur le champ une cascade vibrante de
malentendus et non la visite inopinée de
l’ami ou l’appel à l’aide d’un accidenté
ponctuant une fin de semaine déjà coriace.
Reprenant mon souffle, il a bien fallu que je me décide à réveiller
le couloir; la lumière s’est épanouie d’une
manière insolite comme si elle jaillissait du sol en même temps que ma
curiosité.
Les premières banderilles
du mystère se mettaient en place. La marge accueillante était une lande propice aux rectifications.
Style, sauce mystique allais-tu
prendre ?
Mon visiteur
ralentissait progressivement le staccato sur ma
sonnette torturée et alors que j’approchais la porte de ma démarche
sonnette torturée et alors que j’approchais la porte de ma démarche
de
junkie ? de chien
électrocuté, il bâillonna enfin Jéricho. Rapidement je débloquai
l’unique
verrou et tirai le battant qui s’ouvrit dans un hoquet de lassitude
: juché sur
mon paillasson mon voisin me dévisageait drôlement.
Il
avait souvent cet air sarcastique et le regard fixe quand il me croisait ;
Surnommé Monsieur J, les rumeurs de l’allée jugeaient toqué, antipathique, ce sexagénaire en jeans,
baskets et veste pastel, arborant une fringante originalité qui s’aggravait
d’un mutisme absolu. Surmonté d’un toupet de cheveux blancs, son faciès de
percheron muni de cette paire de yeux scrutateurs, semblant aspirer le décor,
inspirer mon mal à l’aise. «Hem, bonsoir ! Nous avons à parler tous les
deux » avança t-il avec fermeté. Trop vaseux et abasourdi pour répondre je
m’effaçai, maudissant ma courtoise nature.
Il
avait souvent cet air sarcastique et le regard fixe quand il me croisait ;
Surnommé Monsieur J, les rumeurs de l’allée jugeaient toqué, antipathique, ce sexagénaire en jeans,
baskets et veste pastel, arborant une fringante originalité qui s’aggravait
d’un mutisme absolu. Surmonté d’un toupet de cheveux blancs, son faciès de
percheron muni de cette paire de yeux scrutateurs, semblant aspirer le décor,
inspirer mon mal à l’aise. «Hem, bonsoir ! Nous avons à parler tous les
deux » avança t-il avec fermeté. Trop vaseux et abasourdi pour répondre je
m’effaçai, maudissant ma courtoise nature.
Un passage, plus nerveux, dense,
assez proche d’un conte moderne :
Le protecteur d’un secret ou le
coupable d’une faute cachée face au voisin atypique exploitant la situation
sans vergogne et demandant des comptes.
« Crin blanc » dans sa
remontée de mon couloir avait grignoté des pas en direction du vaisselier,
souhaitait-il une tisane ? Je m’interposais le plus dignement possible
pour limiter son incursion, la main levée dans un signe international de
pacifisme, également symbole de modération, ou pire contrôle de
pedigree.
« -- J’étais à l’inauguration
de l’hôpital hier soir, un beau bâtiment vraiment lâcha-t-il de son air
chafouin. Vous aviez l’air très pressé.
-- Je ne vois pas ou vous voulez en
venir… » En fait j’attendais la suite en priant me tromper. M’avait-il
suivi quand j’avais rejoint furtivement Christine, de garde à la
lingerie ? Cette ville était si minuscule, nous courrions le danger que
notre liaison revienne aux oreilles de son mari, l’adjoint technique Dupic.
« -- Quelle histoire la disparition de cette gosse, et vous qui
n’étiez pas là quand on a contrôlé nos
identités. La propre fille du notaire en plus, avec ce nom mythologique…
--
Antinéa. (Je respirais) Si cela peut vous
rassurer, je m’en suis
longuement entretenu avec la police et je suis bien sur hors de
cause. Comme vous le savez, Alerte Enlèvement a été lancée aussitôt.
-- Si vous le dites. »
Venimeux, l’homme à la chevelure noix de coco ne
semblait pas lâcher l’affaire.
Plus familier des poètes,
je m’étais peut-être aventuré sans grands repères dans un genre trop
particulier, enfantant ce suspense aux noires énigmes; mais à force de
corrections je parvins à insuffler dans ses développements et son final le
meilleur de mes forces. Et, précisant
mes coordonnées, avec le petit espoir résigné d’un lanceur de bouteille à la
mer, j’adressai dans les temps mon texte au jury. Puis j’oubliais.
L’été céda la place à l’automne. Pendant cette période je ne rencontrais
aucune Christine, ne séduisis d’ailleurs personne doté d’un quelconque
patronyme. De désespoir, certains malades m’insultèrent, me confondant avec
leur ennemi intérieur. Plusieurs fois je remis en cause la finalité de mon
métier d’aide soignant. Mais d’autres me remerciaient si fort que les plateaux
de la balance s’équilibrèrent à nouveau.
Un jour, telle une bulle de savon, un mail
impromptu et léger fit tinter ma boîte aux lettres. Le Parisien avait le plaisir de m’annoncer que ma fiction avait remporté
le concours de nouvelles …. La remise des prix aurait lieu au nouveau centre
nautique, l’Antinéa Aqua Piscine Club
à la périphérie de la ville. La coïncidence avec le prénom de l’enfant
disparue, point de départ de l’intrigue troubla
ma satisfaction. Ce détail
avait-il influencé le jury ? Ce fut
le début d’une longue inquiétude.
Dans la foulée un journaliste vint me tirer le portait, m’arracher quelques
renseignements pour un article de fond. Ma tranquillité s’en ressentit. A partir de là des gens désinvoltes se mirent
à m’aborder dans la rue, plusieurs fois même dans les couloirs du Centre
Hospitalier, lieu où mes collègues à leur tour, me hélaient, pépiant à tue-tête
mes mérites littéraires. De nature discrète, j’étais loin d’imaginer les
conséquences d’une distinction locale, ne sortant plus de chez moi que par
nécessité jusqu’à la remise du prix. Et le temps s’arrêta jusqu’au grand jour…
Enfin nous y sommes. Mais je demeure encore
désorienté. Que fais-je donc là auprès de ces hercules de micro, s’affairant
dans des costumes choisis parmi la panoplie des tueurs de la poésie, prenant
des mines de destructeurs de Carthage ? Enseveli dans la nécessaire
mondanité, je ne me sens pas dans mon élément. La direction de l’Antinéa n’a pourtant reculé devant aucun
sacrifice : Bains bouillonnants, jets de massage multiples, jacuzzis à
bulles pulsent à leur maximum. Ils s’accordent merveilleusement à la symphonie
acidulée, au maelstrom des discours aboutis. Le centre nautique s’y rachète à
bon compte une conscience, sur fond de déficit. De mauvaises langues propagent
d’ailleurs la réputation d’une eau plutôt fraîche, les bambins du stage bébés
nageurs ayant parfois les lèvres bleues. Je remercie, on me congratule, je
remercie encore la plage offerte à la créativité (je le pense vraiment) mais on
insiste, on en veut d’avantage, on exige de moi des sucs dont je ne dispose
pas…Puis les huit membres du comité de lecture me serrent la main. On boit, on
avale des petits fours. Nouvelle tournée de mousseux. Enfin le jury et leur
directeur de publication prennent leur envol en ennéade. L’on souhaite alors me
présenter au député.
Je décline et sans explications
presque tout le monde s’en va. Ouf ! Coup d’œil à la pendule
berçant l’heure tardive. Alors je
remarque une silhouette venant à ma rencontre :
Mon voisin de palier, le vrai,
Monsieur Janissaire, dont le regard se plisse à mon approche
comme un soufflé manipulé avant fin
de cuisson. Dans ma nouvelle il avait inspiré librement le personnage
principal, à mi-chemin entre Mabuse et Bidochon, désigné d’ailleurs sous
l’obscur pseudonyme de « Monsieur J » Vite, Il lançe : « --
Vous ne vous êtes pas foulé, espèce de tordu ! » Je comprends d’un
coup mon erreur. Il s’est bien reconnu, mon modèle ! Qui ajoute
fielleusement :
« -- D’abord, vous aussi vous
êtes poivre et sel ! » Quel cri du cœur ! Il parait tellement
remonté, camouflant des muscles préhistoriques sous sa veste de laine déformée,
je les ais bien sentis quand il a posé brièvement ses paluches sur moi.
Je retire prudemment mes mains au
cas il voudrait jouer à la formulette, ce divertissement d’enfant ou l’on
chantonne innocemment le petit nom des doigts en les agitant tour à tour. Vu sa
contrariété, je redouterais que le jeu, en dégénérant n’aboutisse à la
confiscation pure et simple de quelques unes de mes phalangettes !
Implacable, il poursuit son
réquisitoire :
-- En plus vous m’avez fait passer
pour un individu craspec, peu reluisant, une sorte de déchet social. Nom mais
pour qui vous prenez-vous ? Ingrat bouffi prétentieux ! » Quelques
têtes se lèvent du côté des bénévoles. Je l’attire hors du hall vers le bassin.
Impossible de lui dire comment écrire à partir du réel implique sa
nécessaire métamorphose, avec un résultat aussi fragile qu’une ombre portée,
pleine de sublimation ou dans son cas, altération imprévue, effet de miroir
inversé. Encore que. Sous l’effet de la colère ses traits déjà comme grattés de
l’intérieur se dessinent plus roses dans son visage grave, oreilles comprises.
Et lorsque ses yeux se mettent à clignoter des œillades de haine pure je dois
céder du terrain.
Un léger film de sueur nimbe son
front amphibie, ligne de flottaison sous des algues
décolorées. Il charge, incroyable
hippopotame aux narines élargies.
Une seconde avant, j’ais pris la fuite à
gauche derrière un immense pilier mais il en fait
vivement le tour me coupant la
route, jaillissant à trois centimètres de mon visage, exhalant une vague odeur
de soufre et d’œufs pourris. Pan ! M’expédie une bourrade en plein torse
(J’imagine déjà la taille du bleu). Le souffle coupé, convulsivement je recule
de trois pas découvrant la courte lame à découper le poisson, à trancher la
crevette, brandie dans ma direction. Le raseur a un rasoir.
« -- Tu n’es qu’un porc qui
écrit avec ses pieds d’horribles histoires sorties des poubelles !»
souffle t-il encore, terriblement critique et hors de contrôle.
C’en est trop, pour le fuir mes jambes s’affolent en rétropédalage de
film muet et soudain suspendues ne touchent plus le sol. En position du mal
assis, je viens de sauter à reculons dans l’abime de la piscine olympique.
Chlac ! L’eau me fouette le visage en m’absorbant goulument. Je n’ai pas
de maillot mais ma veste gris perle est loin d’être ridicule dans ce milieu
aquatique. Mes bottines aussi avaient soif. Elles me tirent lourdement en bas à
la façon des sabots du scaphandrier ; la surface est pourtant toute proche
mais je m’enfonce un peu plus en me débattant. Quelque chose m’a piqué, il me
semble avoir entendu crier mon nom.
Escargot blessé je continue à
descendre l’escalier invisible. Quelque part, autour
de mon cou s’est ouverte une douce
lagune d’où coule l’hémoglobine avec le plus grand calme. Et en regardant vers
le plafond liquide qui oscille je lis en apesanteur un message annonciateur de
destin. Moi qui usait souvent de longues phrases et d’expressions imagées je
vois se rapprocher au dessus de ma tête trois lettres pourpres. Trois lettres
de mon propre sang, synonyme d’apaisement, assemblage stylisé flottant dans
l’eau bleutée. Ecrites par cette encre de fortune, avec l’élégance de méduses graphiques
elles forment railleusement le mot fin.
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