samedi 2 mai 2015

Anti-nouvelle écrite sur l'eau

 J’ai honte de l’avouer, broyé par cette phrase tout en la murmurant : Avant je ne connaissais pas mon bonheur...Artisan du verbe, parfois dubitatif mais largement insouciant comme des milliers de français amateurs du genre, j’écrivais des monologues pour mon tiroir. Don Quichotte du paragraphe je me repaissais de la magnanimité des silences, bonne ou mauvaise chaque historiette accumulée nourrissant la source d’un miel reconquis.
   A la fois abeille et bourdon d’un passe temps protégé du monde je stabilisais la banalité prosaïque ou dépliais en rimes les ondulations drapées des papillons, peu importe…Car j’étais moi-même, sauvage, égoïste, éclectique confit, brutal dilettante, confiné chaudement dans un hermétisme vaguement victimaire me tenant souvent lieu d’inspiration. Ceci jusqu’à la parution fatidique dans le journal régional d’un concours de nouvelles policières organisé par la rédaction, annoncé ainsi fébrilement : « Jetez-vous à l’eau ! Vos textes seront lus avec toute l’attention qu’ils méritent afin de départager les meilleurs. Alors lancez-vous…L’important c’est d’oser ! »  Bizarrement cette aguicheuse invite titilla mon attention bien que ce genre de course à l’échalote ne m’ait jusque là jamais attiré. Dans la continuité plusieurs semaines s’écoulèrent, avant que l’idée ne revienne parfois bombiner au creux des interstices du quotidien, instillant en moi le défi d’émerger d'une peureuse clandestinité. Malgré l’opiniâtreté de cette tentation il semblait impossible que je me risquasse à entrer en lice pour un challenge si singulier. Insoumis comme Lord Byron je n’allais pas baiser les pieds de ces deux fausses déesses, reconnaissance et récompense ! Pourtant contre toute attente la provocation du slogan hydrique m’avait harponné à mon insu. Et je remis la main sur l’article soigneusement découpé…
Bref je tombais dans le piège, convoquant à la hâte ma dizaine de mots fétiches aux cuirasses
usées, sorte de garde sémantique rapprochée qui à coup d’associations et d’habiles ressorts remplissaient leur mission de me propulser au fil des récits. Ces vocables puissants et souples adjectifs m’entrainèrent donc à tricoter rapidement une intrigue avant la date limite. J’imprimais le premier jet, remplaçant au vol un qualificatif et relus mon introduction du moment :


 Dans notre culte rendu à l’objectivité, que de choses en fait nous échappent, rencontres hétéroclites, hasards insoutenables, déployant leur feuillage contrariant et tenace.
Ainsi ces coups de sonnette rapprochés à une heure du matin évoquèrent
      foisonnante       sur le champ une cascade vibrante de malentendus et non la visite inopinée de
l’ami ou l’appel à l’aide d’un accidenté ponctuant une fin de semaine déjà coriace.
 Reprenant mon souffle, il a bien fallu que je me décide à réveiller
le couloir; la lumière s’est épanouie d’une manière insolite comme si elle jaillissait du sol en même temps que ma curiosité.

Les premières banderilles du mystère se mettaient en place. La marge accueillante  était une lande propice aux rectifications. Style, sauce mystique allais-tu  prendre ?


                           Mon visiteur ralentissait progressivement le staccato sur ma
sonnette torturée et alors que j’approchais la porte de ma démarche
  de junkie ?       de chien électrocuté, il bâillonna enfin Jéricho. Rapidement je débloquai
                           l’unique verrou et tirai le battant qui s’ouvrit dans un hoquet de lassitude
                          : juché sur mon paillasson mon voisin me dévisageait drôlement.


 Il avait souvent cet air sarcastique et le regard fixe quand il me croisait ; Surnommé Monsieur J, les rumeurs de l’allée jugeaient  toqué, antipathique, ce sexagénaire en jeans, baskets et veste pastel, arborant une fringante originalité qui s’aggravait d’un mutisme absolu. Surmonté d’un toupet de cheveux blancs, son faciès de percheron muni de cette paire de yeux scrutateurs, semblant aspirer le décor, inspirer mon mal à l’aise. «Hem, bonsoir ! Nous avons à parler tous les deux » avança t-il avec fermeté. Trop vaseux et abasourdi pour répondre je m’effaçai, maudissant ma courtoise nature.

 Il avait souvent cet air sarcastique et le regard fixe quand il me croisait ; Surnommé Monsieur J, les rumeurs de l’allée jugeaient  toqué, antipathique, ce sexagénaire en jeans, baskets et veste pastel, arborant une fringante originalité qui s’aggravait d’un mutisme absolu. Surmonté d’un toupet de cheveux blancs, son faciès de percheron muni de cette paire de yeux scrutateurs, semblant aspirer le décor, inspirer mon mal à l’aise. «Hem, bonsoir ! Nous avons à parler tous les deux » avança t-il avec fermeté. Trop vaseux et abasourdi pour répondre je m’effaçai, maudissant ma courtoise nature.

Un passage, plus nerveux, dense, assez proche d’un conte moderne :
Le protecteur d’un secret ou le coupable d’une faute cachée face au voisin atypique exploitant la situation sans vergogne et demandant des comptes.

« Crin blanc » dans sa remontée de mon couloir avait grignoté des pas en direction du vaisselier, souhaitait-il une tisane ? Je m’interposais le plus dignement possible pour limiter son incursion, la main levée dans un signe international de pacifisme,  également  symbole de modération, ou pire contrôle de pedigree.
« -- J’étais à l’inauguration de l’hôpital hier soir, un beau bâtiment vraiment lâcha-t-il de son air chafouin. Vous aviez l’air très pressé.
  -- Je ne vois pas ou vous voulez en venir… » En fait j’attendais la suite en priant me tromper. M’avait-il suivi quand  j’avais  rejoint furtivement Christine, de garde à la lingerie ? Cette ville était si minuscule, nous courrions le danger que notre liaison revienne aux oreilles de son mari, l’adjoint technique Dupic.
    « -- Quelle histoire la disparition de cette gosse, et vous qui n’étiez pas là  quand on a contrôlé nos identités. La propre fille du notaire en plus, avec ce nom mythologique…
    -- Antinéa. (Je respirais) Si cela peut vous  rassurer, je m’en suis     longuement entretenu avec la police et je suis bien sur hors de cause. Comme vous le savez, Alerte Enlèvement a été lancée aussitôt.
-- Si vous le dites. » Venimeux, l’homme à la chevelure noix de coco ne
semblait pas lâcher l’affaire.

 Plus familier des poètes, je m’étais peut-être aventuré sans grands repères dans un genre trop particulier, enfantant ce suspense aux noires énigmes; mais à force de corrections je parvins à insuffler dans ses développements et son final le meilleur de mes forces. Et, précisant mes coordonnées, avec le petit espoir résigné d’un lanceur de bouteille à la mer, j’adressai dans les temps mon texte au jury. Puis j’oubliais.
L’été céda la place à l’automne. Pendant cette période je ne rencontrais aucune Christine, ne séduisis d’ailleurs personne doté d’un quelconque patronyme. De désespoir, certains malades m’insultèrent, me confondant avec leur ennemi intérieur. Plusieurs fois je remis en cause la finalité de mon métier d’aide soignant. Mais d’autres me remerciaient si fort que les plateaux de la balance s’équilibrèrent à nouveau.
 Un jour, telle une bulle de savon, un mail impromptu et léger fit tinter ma boîte aux lettres. Le Parisien avait le plaisir de m’annoncer que ma fiction avait remporté le concours de nouvelles …. La remise des prix aurait lieu au nouveau centre nautique, l’Antinéa Aqua Piscine Club à la périphérie de la ville. La coïncidence avec le prénom de l’enfant disparue, point de départ de l’intrigue troubla ma satisfaction. Ce détail avait-il influencé le jury ? Ce fut le début d’une longue inquiétude. Dans la foulée un journaliste vint me tirer le portait, m’arracher quelques renseignements pour un article de fond. Ma tranquillité s’en ressentit.  A partir de là des gens désinvoltes se mirent à m’aborder dans la rue, plusieurs fois même dans les couloirs du Centre Hospitalier, lieu où mes collègues à leur tour, me hélaient, pépiant à tue-tête mes mérites littéraires. De nature discrète, j’étais loin d’imaginer les conséquences d’une distinction locale, ne sortant plus de chez moi que par nécessité jusqu’à la remise du prix. Et le temps s’arrêta jusqu’au grand jour…
 Enfin nous y sommes. Mais je demeure encore désorienté. Que fais-je donc là auprès de ces hercules de micro, s’affairant dans des costumes choisis parmi la panoplie des tueurs de la poésie, prenant des mines de destructeurs de Carthage ? Enseveli dans la nécessaire mondanité, je ne me sens pas dans mon élément. La direction de l’Antinéa n’a pourtant reculé devant aucun sacrifice : Bains bouillonnants, jets de massage multiples, jacuzzis à bulles pulsent à leur maximum. Ils s’accordent merveilleusement à la symphonie acidulée, au maelstrom des discours aboutis. Le centre nautique s’y rachète à bon compte une conscience, sur fond de déficit. De mauvaises langues propagent d’ailleurs la réputation d’une eau plutôt fraîche, les bambins du stage bébés nageurs ayant parfois les lèvres bleues. Je remercie, on me congratule, je remercie encore la plage offerte à la créativité (je le pense vraiment) mais on insiste, on en veut d’avantage, on exige de moi des sucs dont je ne dispose pas…Puis les huit membres du comité de lecture me serrent la main. On boit, on avale des petits fours. Nouvelle tournée de mousseux. Enfin le jury et leur directeur de publication prennent leur envol en ennéade. L’on souhaite alors me présenter au député.
Je décline et sans explications presque tout le monde s’en va. Ouf ! Coup d’œil à la pendule
berçant l’heure tardive. Alors je remarque une silhouette venant à ma rencontre :
Mon voisin de palier, le vrai, Monsieur Janissaire, dont le regard se plisse à mon approche
comme un soufflé manipulé avant fin de cuisson. Dans ma nouvelle il avait inspiré librement le personnage principal, à mi-chemin entre Mabuse et Bidochon, désigné d’ailleurs sous l’obscur pseudonyme de « Monsieur J » Vite, Il lançe : « -- Vous ne vous êtes pas foulé, espèce de tordu ! » Je comprends d’un coup mon erreur. Il s’est bien reconnu, mon modèle ! Qui ajoute fielleusement :
« -- D’abord, vous aussi vous êtes poivre et sel ! » Quel cri du cœur ! Il parait tellement remonté, camouflant des muscles préhistoriques sous sa veste de laine déformée, je les ais bien sentis quand il a posé brièvement ses paluches sur moi.
Je retire prudemment mes mains au cas il voudrait jouer à la formulette, ce divertissement d’enfant ou l’on chantonne innocemment le petit nom des doigts en les agitant tour à tour. Vu sa contrariété, je redouterais que le jeu, en dégénérant n’aboutisse à la confiscation pure et simple de quelques unes de mes phalangettes !
Implacable, il poursuit son réquisitoire :
-- En plus vous m’avez fait passer pour un individu craspec, peu reluisant, une sorte de déchet social. Nom mais pour qui vous prenez-vous ? Ingrat bouffi prétentieux ! » Quelques têtes se lèvent du côté des bénévoles. Je l’attire hors du hall vers le bassin.
  Impossible de lui dire comment écrire à partir du réel implique sa nécessaire métamorphose, avec un résultat aussi fragile qu’une ombre portée, pleine de sublimation ou dans son cas, altération imprévue, effet de miroir inversé. Encore que. Sous l’effet de la colère ses traits déjà comme grattés de l’intérieur se dessinent plus roses dans son visage grave, oreilles comprises. Et lorsque ses yeux se mettent à clignoter des œillades de haine pure je dois céder du terrain.
Un léger film de sueur nimbe son front amphibie, ligne de flottaison sous des algues
décolorées. Il charge, incroyable hippopotame aux narines élargies.                                                                                                                                                                                                        
 Une seconde avant, j’ais pris la fuite à gauche derrière un immense pilier mais il en fait
vivement le tour me coupant la route, jaillissant à trois centimètres de mon visage, exhalant une vague odeur de soufre et d’œufs pourris. Pan ! M’expédie une bourrade en plein torse (J’imagine déjà la taille du bleu). Le souffle coupé, convulsivement je recule de trois pas découvrant la courte lame à découper le poisson, à trancher la crevette, brandie dans ma direction. Le raseur a un rasoir.
«  -- Tu n’es qu’un porc qui écrit avec ses pieds d’horribles histoires sorties des poubelles !» souffle t-il encore, terriblement critique et hors de contrôle.
  C’en est trop, pour le fuir mes jambes s’affolent en rétropédalage de film muet et soudain suspendues ne touchent plus le sol. En position du mal assis, je viens de sauter à reculons dans l’abime de la piscine olympique. Chlac ! L’eau me fouette le visage en m’absorbant goulument. Je n’ai pas de maillot mais ma veste gris perle est loin d’être ridicule dans ce milieu aquatique. Mes bottines aussi avaient soif. Elles me tirent lourdement en bas à la façon des sabots du scaphandrier ; la surface est pourtant toute proche mais je m’enfonce un peu plus en me débattant. Quelque chose m’a piqué, il me semble avoir entendu crier mon nom.
Escargot blessé je continue à descendre l’escalier invisible. Quelque part, autour
de mon cou s’est ouverte une douce lagune d’où coule l’hémoglobine avec le plus grand calme. Et en regardant vers le plafond liquide qui oscille je lis en apesanteur un message annonciateur de destin. Moi qui usait souvent de longues phrases et d’expressions imagées je vois se rapprocher au dessus de ma tête trois lettres pourpres. Trois lettres de mon propre sang, synonyme d’apaisement, assemblage stylisé flottant dans l’eau bleutée. Ecrites par cette encre de fortune, avec l’élégance de méduses graphiques elles forment railleusement le mot fin.

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