J’ai honte de le dire… et le penser est
minable ! Mais c’est comme si le décès de ma mère m’avait libéré… Depuis
sa disparition… j’osais ! Ce changement s’est mis en place subitement lorsque
j’ai commencé à faire le tri de ses affaires ! Son appartement, un rez de
chaussée avec jardin, juste au dessous du mien formait un duplex que nous
avions aménagé il y a bientôt trois ans… J’inventoriais ce matin là les
vêtements féminins et tout ce que j’allais donner aux différents services
sociaux lorsque je suis tombé sur des choses surprenantes…
J’allais
sur la trentaine et elle m’avait eu à vingt ans ! C’est pour dire si, à la
cinquantaine, elle avait encore le goût des toilettes et répudiait à jouer son
âge …mais le crabe malfaisant l’avait grignotée ! Il avait finalement
eu raison de son obstination à vivre… Je découvrais ainsi, dans des tiroirs
que, personnellement je n’avais jamais ouverts, des petites tenues
affriolantes ! Des robes sexy, de la lingerie fine, des déshabillés, pour
moi insoupçonnables… Du jamais vu ! Dans la pénombre de cet appartement aux
volets mi-clos, la surprise, l’excitation de la découverte, puis mon reflet
dans la glace d’une ressemblance indéniable avec celle qui m’avait quitté depuis
dix jours, me firent accomplir un geste de folie!
Avec
mon physique d’homme peu sportif, ni Schwarzenegger ni gringalet, assez mince,
longiligne, j’osais ! J’osais me travestir, essayer quelques tenues…
Coiffé d’une de ses perruques à la Cléopâtre - vestiges dérisoires hérités
d’humiliantes chimiothérapies - le
reflet dans la glace était percutant et prêtait à confusion! Ma mère vers la
trentaine, encore jeune, encore très belle me regardait! Encouragé par ce
résultat, je complétais la panoplie par des escarpins, douloureux, et par un
léger maquillage – tâtonnant – J’ai honte… et j’en rougis, une fois de
plus ! Mon reflet m’a plu! Un coup de rouge à lèvres, un peu de gloss et,
je me serais presque embrassé !
Ma
mère très possessive, avait toujours été vigilante quant à la concurrence
féminine. De toutes les filles que je fréquentais ou que j’avais amenées chez
nous, aucune n’avait trouvé grâce à ses yeux ! « Tu comptes faire ta vie avec cette bécasse? Mon pauvre Charles,
tu ne tiendras pas deux mois! » Elle ne leur rendait pas la tâche
facile car l’examen approfondi auquel elle se livrait, n’était jamais en leur
faveur… Alors je me débrouillais pour voir ou honorer mes conquêtes à
l’extérieur, prétextant invitation ou séminaire obligatoire… Ce qui lui évitait
de me pourrir la vie pendant plusieurs jours. Evidemment, au retour, le fin
limier recherchait toute trace coupable, un cheveu, un parfum... En toute
lucidité, rétrospectivement, je reconnais qu’elle n’avait pas coupé le cordon
ombilical ! Elle a même poussé le vice jusqu’à m’acheter l’appartement
juste au dessus du sien ! « Tu
te rends compte, mon chéri, il vient juste de se libérer !Une
aubaine ! C’est ton père qui serait content de te savoir près de moi, au
lieu de ton studio minable à Vincennes…» De l’image confuse d’un père
cascadeur disparu lors d’un tournage, la veille de mes cinq ans, ne
subsistaient que les photos et les anecdotes quelle voulait bien me raconter. «Ton père n’aurait pas aimé ! » ou
« Ton père serait fier de toi ! Paix à son âme…» étaient les arguments
ultimes qu’elle m’assénait depuis mon plus jeune âge… Ensuite, amoindrie par la
maladie, elle, dont c’était le métier, ne jouait même plus du piano, refusant
de voir ses amies, même les plus fidèles... Je n’avais pas à cœur de lui porter
la contradiction, et je cédais invariablement à toutes ses demandes. Même
l’idée d’un escalier colimaçon reliant nos deux appartements ne fût pas
discutée… J’étais conscient de perdre encore un pan de liberté, mais en qualité
de fils unique, je me devais d’adoucir les moments de souffrance de celle qui
m’avait donné la vie. Pour les logements, j’avais mon entrée, elle gardait la
sienne, même avec un escalier communicant !
Absorbé
par l’assistance et les soins médicaux qui allaient croissants, gérant de plus
en plus épisodiquement ma vie privée, on peut dire aussi que ma vie
professionnelle d’agent du Trésor ne me passionnait guère - même si un nouveau
chef avait décidé de chambouler les services – La vie terne que je menais alors, dans l’angoisse d’un
dénouement auquel je me refusais, me débilitait profondément…
Cependant
découvrir, après cette déprimante traversée du désert, la possibilité de se
divertir à peu de frais, jouer un autre personnage, être incognito parmi des
gens qui ne soupçonnent rien et laisser libre cours à la part de féminité
qu’abrite chaque mâle, me fit vivre une période d’attirance répulsion mêlant jubilation
et fascination ! Je me rendais compte en fait, que je disposais de sérieux
atouts ! Seul le premier pas coûtait !
Il
fut franchi un Vendredi soir…
J’installais
une forme de rituel : le Boléro de Ravel et son crescendo en fond sonore,
la table à maquillage éclairée à giorno, vêtements et chaussures
présélectionnés sur le lit puis… j’inspectais mon corps et sa pilosité!
Glabre ! Je passais ensuite au maquillage, j’étais
irréprochable ! Habillé décontracté, en demi-saison, conforme à l’été
indien de ce mois de Septembre. Je sautais le pas, franchissais la porte du
jardin, un sac sous le bras, le cœur battant la chamade et les jambes
flageolantes sur des hauts talons d’équilibriste ! L’aventure travestie
allait commencer…Je ne disposais d’aucun scénario, je n’avais même pas exercé
ma voix à la féminitude !
Pour
l’instant ce qui m’encourageait, c’est que les quelques personnes croisées
n’aient pas eu de haut le corps, n’aient pas écarquillé les yeux en me voyant. Mon
déguisement était assez conventionnel: pantalon jean moulant, haut noir sous
une veste d’été en drap clair… Un supplice cependant: le soutien gorge
rembourré qui commençait à gratter sérieusement !
Moktar, l’épicier chez qui je me rendais deux
ou trois fois la semaine ne cilla même pas en me voyant. Je prenais alors la
direction du café pmu, place de la Nation, toute proche. Ma première idée étant
de m’attabler, je rectifiais immédiatement le tir, car lorsqu’une entrée dans
un lieu public se solde par un instant de silence général, où les accoudés au
comptoir vous dévisagent et les plus audacieux commencent à vous sourire… C’est
vers le coin tabac qu’il faut battre en retraite! D’une voix de fausset, mal à
l’aise, car de surcroît non-fumeur, j’ai demandé la première marque
visible : « Des Royales,
s’il vous plait ! » Dans mon sac en bandoulière des Kleenex, du
rimmel, du rouge à lèvres, des tickets de métro, un plan mais…point de porte
monnaie ! « Excusez-moi, je
repasserai, je suis désolé… je l’ai oublié ! » Derrière moi la
queue allait en se formant. Le serveur, calé à l’abri de son comptoir, me
dévisageait sérieusement, pensant sûrement à de la grivèlerie… Il me tendit le
paquet, me regardant droit dans les yeux « …et elle s’appelle comment, notre belle étourdie ? »
Je n’y avais même pas pensé ! Balbutiant, pas du tout maître de la
situation, sous mon fond de teint, j’avais du piquer le plus grand fard de ma
vie :
« Non, merci… Olga ! Mais non, c’est
pas la peine… ajoutai-je, cramoisi, tête basse.
- Olga,
je compte sur vous, demain à la même heure, je serai de service…Merci de passer
régler votre petite dette. Excusez-moi y a du monde qui attend ! À
demain… » Il
était grand, costaud, le crane rasé avec des yeux verts et un joli sourire…Si
j’avais été femme, peut être… mais là aussi, naïvement, je n’avais pas envisagé
cette option là ! Les regards complices et les quelques quolibets
égrillards des gens qui étaient autour de moi, saluaient indirectement celui
qui, au débotté, venait de donner un rencard à une bien jolie jeune femme…C’était
ma première sortie, ma première expérience en Olga ! C’est en courant sur
mes talons hauts que je suis rentré chez
moi honteux, le cœur battant la chamade …
Certaines
de mes connaissances diraient qu’il faut vivre des situations de la sorte,
aussi anodines, pour comprendre ce que vivent les femmes au quotidien !
Quelle armure devrais-je endosser pour me barder en tour imprenable, si je
voulais mener à bien ma petite expérience ? Je reconnais, mon premier essai
débordait de naïveté…Comme au jeu d’échecs il me fallait anticiper le coup
adverse. C’est pour cela que le lendemain c’est Charles et non pas Olga qui est
allé au bar-tabac honorer la dette de sa sœur « …qui ne pouvait venir, encore prise par son travail à
l’hôpital ! » La vérité, elle aussi peut se travestir ! La
mine déconfite du barman restera pour moi un modèle du genre. Je lui laissais
un peu d’espoir en lançant « …mais
vous la reverrez sûrement, elle peut pas se passer de ses Royales ! »
Tirant
des enseignements de mes erreurs, j’en concluais que l’improvisation dans la
rue restait bien trop dangereuse et que les seuls lieux qui offraient à la fois
du confort, de la sécurité avec un zeste de raffinement et de savoir-vivre… étaient
les bars des grands hôtels !
Qu’est
ce qui me fascinait dans cette mascarade ? Soyons clair, il était
formellement exclu que mon déguisement puisse m’amener à avoir des relations
autres qu’amicales avec la gent masculine…Je savais que je jouais avec le feu, et
je me voulais très clair avec moi-même ! Non, je ne me sentais pas homo
refoulé, et les mâles ne m’attiraient pas du tout ! Par contre jouer les
Olga allait être un handicap pour me faire de féminines connaissances !
Dans ce milieu que je commençais à fréquenter, je discernais de plus en plus
les motivations de mes consœurs… De la Diane chasseresse de mâle fortuné à la
douairière en attente d’un dernier gigolo, il y avait des nuances et des jeux
de rôles investis par d’autres types de femmes. Je pouvais être concurrencé naturellement
par l’Escort girl la plus classique suivie de la femme d’affaires naviguant
entre escroquerie et espionnage industriel ou par la femme délaissée à la
recherche d’un peu de chaleur humaine…Moi ? Je me rangeais sous la
bannière commode du comportement psychologique et de l’étude de mœurs…
Que
ce soit au GeorgesV, au Crillon, au Savoy ou au Ritz ma procédure était la même…Je
jouais la jeune femme esseulée qui s’est fait poser un lapin ! Avec
invariablement les coups d’œil furieux à ma montre et la cigarette sitôt
allumée, sitôt nerveusement écrasée dans le cendrier…Dans cette ambiance feutrée,
avec un fond musical reposant, mes voisins, compatissants, souvent seuls eux
mêmes ou en attente de rendez-vous, se montraient pleins de sollicitude et
entamaient la conversation. L’estocade était portée quand au comble de
l’exaspération j’expédiais mon cellulaire au fond du sac en râlant entre mes
dents, après ce goujat qui ne s’excusait même pas ! Le temps passant, la
conversation courtoise aidant- les coupes de champagne également- j’héritais
inévitablement d’une carte de visite assortie de l’intention de me
revoir… « Oui, si vous le
voulez bien nous nous recontacterons ! En tout cas, Paul, merci de m’avoir
réconfortée… » Ceci dit d’une voix un peu rauque, avec un regard
appuyé…et le Paul en question était prêt à me manger dans la main !
J’acceptais
parfois des invitations à dîner ! Uniquement lorsque mon courtisan se
montrait brillant et plein d’humour ! Au diable ceux qui ressassaient
l’effondrement de la Bourse, le montant des pensions alimentaires ou leurs
brillants faits d’armes! Je ne me rêvais pas en mère Thérésa…
Etais-je
passé de l’autre côté du miroir…? J’étais dans un registre de découvertes de
relations humaines dont l’inconscient apprenti sorcier que j’étais n’imaginait
pas la portée…
Et
ce qui devait arriver…arriva !
Attablé
au Hilton, alors que j’envisageais de mettre un terme à ces coups de folie
puisque les circonstances m’avaient toujours été favorables, je tombais ce soir
là sur la personne qui depuis quelque temps, devait être la plus haïe de mes
connaissances…Mon nouveau chef de service ! Récuré, élégant, rasé de près…Sans
gène aucune, Marc Dubosc, le verre de whisky à la main venait de s’asseoir en
face de moi ! L’Attila réformateur des services à la hussarde, détesté
unanimement voulait faire ami ami avec moi ! La poussée d’adrénaline fût
instantanée…M’avait-il reconnu ? Mes gestes brusques, mon désarroi devaient
passer pour ceux d’une belle traumatisée par l’apparition d’un Don Juan
inespéré…Je ne lui laissais pas le temps de finir de s’installer, je lançais
sans grande conviction :
- Mais
je ne vous ai pas invité à ma table… Ce n’est pas vous que j’attends ce
soir ! » En se la
jouant calmement, en prédateur qui s’apprête à déguster sa proie tout en la
fascinant du regard et prenant ses aises, il murmura cyniquement d’une petite
voix navrée : - Et je devrais encore
une fois vous laisser échapper ce soir…Comme au Ritz, ou au Savoy la semaine
dernière…? » Son sourire carnassier qui éclairait un physique de
catcheur s’élargit encore devant ma surprise. – Oui, chère mademoiselle, j’étais présent ces soirs là… Et je ne vous
dirai pas combien ma frustration était grande de voir la concurrence l’emporter
sous mes yeux… Alors qu’au bar, bien sûr, vous ne m’aviez même pas
remarqué ! Marc Dubosc, pour vous servir… Je passe ma vie à restructurer
ou liquider des entreprises… »
Ouf ! Ce n’est pas à Charles qu’il en
voulait mais à Olga ! Est ce que je tremblotais, avais-je pali sous mon
maquillage, les signes de nervosité traduisaient-ils ma détresse
émotionnelle ? Je n’avais ni la facilité ni l’assurance des autres
rencontres! Ma panique dura quelques instants. En liquidant ma coupe de
champagne pour retrouver une contenance, je décidais de reprendre le dessus…Il
ne savait toujours pas que Charles Bontemps, le responsable du service des pensions,
se cachait sous les traits d’Olga. Je pouvais encore agir, mais agir
vite !
Il ne m’en laissa pas le temps: «Olga, je sais que vous vous appelez Olga…
les barmans sont à l’écoute de tout, même s’ils ne vous prêtent pas attention!
Je vous ai observé avec vos précédentes conquêtes et j’admire votre prudence et
votre style ! Permettez-moi, Olga, afin de mieux faire connaissance, nous
pourrions continuer de prendre l’apéritif et glisser ensuite, à côté… Le
restaurant de cet hôtel est réputé pour son excellent homard thermidor. D’ailleurs
son étoile du Michelin…
-
Je suis désolée, je vais devoir m’éclipser aux
toilettes…
-
Olga, non, ne m’abandonnez pas lâchement… Je
vous déplais à ce point là ?
-
Nous verrons cela à mon retour ! En
attendant, je vous laisse, mon manteau
en otage…» Avec ses allures prévenantes, son baratin passe-partout et ses
mains qui ne perdaient pas une occasion de me frôler, j’avais besoin de me
sortir de son regard hypnotique, j’avais besoin de respirer…Peut-on être
mortifié de mener en bateau son supérieur hiérarchique, qui
aujourd’hui se travestissait en repreneur d’entreprises ? Le dénommé Marc
Dubosc, depuis deux mois représentait tout ce dont j’avais horreur, du bateleur
de foire à l’arriviste le plus complet… A la Trésorerie, c’est en le croisant
dans un couloir qu’il m’avait annoncé mes prochaines fonctions :
-
‘’ Ah !
Oui, vous c’est Bontemps…!Ecoutez, on va s’économiser le formalisme d’un
entretien…Je voulais vous prévenir que des Pensions vous passiez au Contentieux ! »
Mon attitude indifférente- je m’attendais à une affectation de ce genre –
l’avait interloqué, car chacun de mes collègues avait protesté en défendant
âprement son pré carré… Moi, non ! Je lui répondis que ma formation me
permettait d’y faire face sans que ce soit un casse-tête, ce qui n’était pas le
cas de beaucoup de mes collègues…« -
Vous êtes responsable syndical ?... Non ? Alors allez, vivez votre
vie, et à plus… » Voilà l’énergumène que l’on nous avait envoyé…Grand,
corpulent 110 kg au garrot, du genre grande gueule toujours satisfait de lui…Un
modèle de DRH ! Les P et T étaient en pleine vague suicidaire…alors pourquoi
pas nous ! Dans les toilettes, face au miroir, je me stimulais et décidais
d’être la plus vacharde possible… Requinqué, déterminé, je m’aperçus en
revenant m’asseoir qu’il nous avait renouvelé les consommations… Alors que
galamment il se levait pour m’accueillir, je lui lançais : « Ah oui ! Cher Monsieur, comment
se passe la vie d’un fossoyeur d’entreprises…? Arrivez-vous à vous regarder
dans la glace sans problème ? » Son sourire un peu contrit me fit
plaisir, je venais de marquer un point ! Pendant quelques instants il
s’essaya à démontrer que faire du sentiment était incompatible avec les
affaires et chaque fois qu’il aiguillait la conversation sur moi, je le
recadrais vers sa reluisante vocation… Je terminais ma deuxième coupe de
champagne, et je sentais déjà une certaine euphorie monter … « Vous savez, si je vous ai abordé ce soir, c’est pas pour
vous raconter ma vie, mais pour découvrir la vôtre ! Vous me fascinez
depuis que je vous ai vue la première fois au Ritz… Vous êtes une jeune femme
belle, indépendante et rebelle…et bla bla bla ! » Je ne pensais
même pas à relever et attaquer ces fadaises. Je percevais maintenant sa voix
comme de plus en plus étouffée, lointaine…J’étais physiquement présent mais
mentalement je voguais sur une autre planète… Le bougre me paraissait presque
sympathique ! Toute mon animosité à son égard avait fondu. Je souriais
béatement aux anges… Je me sentais bien, apaisé, indifférent à tout ce qui
m’entourait…Soudain debout devant moi, il m’a tendu la main…Voulait-il prendre congé ?
J’ai essayé de répondre à son salut mais mon bras est resté sur l’accoudoir…En
glissant son bras sous le mien, il m’a aidé à me relever, tout sourire et
prévenant: « Olga, Je vais vous
raccompagner... Je crois que vous ne supportez pas bien le Champagne !
Venez, ne nous donnons pas en spectacle, ma voiture est juste un peu plus loin
sur le boulevard… » Il me recouvrit les épaules du manteau en gardant
mon sac à main…Le froid de décembre aurait dû me réveiller… J’y étais
insensible ! Un vrai zombi. Une langueur s’était emparée de moi et je
n’aspirais plus qu’à dormir, qu’à décrocher! Le confort du siège cuir de sa BMW
était un ravissement et, installé à mes côtés, au moment où il allait lancer le
moteur, quelqu’un a toqué à sa vitre…Les sons me parvenaient comme dans un
train de nuit, lorsqu’on somnole et que l’on entend cependant le haut parleur
des gares traversées… Vaguement je me souviens d’une voix féminine: « Dubosc, j’ai mis un an à te
retrouver… Tu sais dans quelles conditions tu m’as laissée ! Tu me dois
dix huit mois de pension alimentaire !
-
Tu vas
pas m’em… avec ça ! Ferme donc ta grande gueule ! Tu vois bien que je
ne suis pas seul, on en reparlera !
-
Comme on
reparlera du compte en banque perso que tu m’as vidé… Tu es une ordure, Dubosc,
un parano malfaisant ! J’ai perdu huit ans de ma vie avec toi ! Au
moment où il gigotait pour défaire sa ceinture et sortir de la voiture, je
crois bien avoir entendu un coup de feu étouffé… Puis le Dubosc en
question s’est sûrement ravisé… Sagement,
il s’est tassé à mes côtés, sa tête contre la mienne et nous avons enfin pu
dormir tranquilles.
C’est
le froid qui m’a réveillé, à quatre heures du matin !
Retenu
par la ceinture qu’il n’avait pas détachée, nous étions dans un tête à tête où
le sang coagulé nous unissait…Mon malaise s’était dissipé, malgré l’horreur de
la situation je comprenais confusément ce qui s’était passé. Je comprenais que
je n’étais pas à ma place et que j’aurais pu être la victime complète de la
fameuse pilule du violeur… ou d’une balle perdue! Je repoussais ce porc,
le calais contre la portière et avec une lingette à démaquiller, m’évertuais à
faire disparaître toute trace de sang sur mon visage. Dans les deux heures
suivantes, le boulevard s’animerait ! Je devais en urgence récupérer ma
voiture, puis direction le duplex, repasser la porte du jardin, me doucher et
redevenir Charles, le chef de service honorable, le fiston éploré du 1er
étage…
Légèrement
en avance sur l’horaire habituel, je remarquais devant l’entrée principale de
la Trésorerie, les voitures de Police, gyrophares allumés avec une
effervescence particulière à l’accueil…Même en plein mois de Décembre on
pouvait se mettre à transpirer, avec en prime un pincement au creux de
l’estomac !
-
Alors Chantal, c’est pour nous les flics…? On nous a cambriolés ?
- Ah ! Non, mon pauvre Monsieur
Bontemps ! C’est pour le nouveau…Il y aurait eu un règlement de
comptes…Les éboueurs l’auraient trouvé dans sa voiture, une balle dans la
tête ! Ah! J’ai des frissons rien que de vous en parler…’’
La sonnerie du standard retentissant, je
quittais Chantal pour me diriger vers les ascenseurs, lorsqu’elle me rappela
pour m’annoncer terrorisée:’’ C’est le
Patron…La Police est chez lui ! Il veut vous voir de toute urgence, il vous
attend !’’ Son regard interrogateur, témoignait de la tempête sous le
crâne et des questions qui allaient avec !
Tout à l’heure c’était l’estomac… maintenant
c’est les tripes qui étaient nouées. KO debout, avec des jambes en flanelle!
J’appelais l’ascenseur pour aller tout en haut, au 8ème étage, voir
le bon Dieu…
Germaine, la secrétaire de direction, toujours aussi
avenante qu’un iceberg, me dévisagea et sans me quitter du regard, par
l’interphone, avertit le TPG que j’étais là… La porte matelassée s’ouvrit
lentement, devant deux inspecteurs en civil et un brigadier en uniforme !
J’étais honteux, liquéfié, prêt à tout déballer!
- Tenez, Messieurs, voilà Monsieur
Bontemps…Vous êtes au courant pour Dubosc...? dit le patron en me
regardant. Tendu, j’acquiesçais et baissais les yeux… Nous venons d’apprendre que son ex femme vient de passer au Quai des
Orfèvres... Elle a reconnu s’être vengée ! Elle avait encore l’arme du
crime avec elle ! Donc ces messieurs nous quittent, ils arrêtent leur
enquête chez nous…Puis cérémonieux : - Messieurs, vous venez de faire la connaissance de Monsieur Bontemps,
celui qui va avoir la lourde charge de succéder maintenant à Monsieur Dubosc et
coordonner nos services…’’
J’étais
de plus en plus éberlué, sur une autre planète …
Le
soir même, les vêtements d’Olga ont étés dispersés discrètement, dans des
poubelles, à l’autre bout de Paris ! J’ai mis le duplex en vente…et
jusqu’alors il n’y a plus jamais eu Olga !
En y repensant, bien sûr je ne me sens pas
glorieux, j’ai honte de cet épisode là…Même s’il m’a valu une belle promotion !
Cependant,
intimement, suis-je certain que la porte du jardin soit à jamais refermée…?
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