samedi 2 mai 2015

La Porte du jardin

J’ai honte de le dire… et le penser est minable ! Mais c’est comme si le décès de ma mère m’avait libéré… Depuis sa disparition… j’osais ! Ce changement s’est mis en place subitement lorsque j’ai commencé à faire le tri de ses affaires ! Son appartement, un rez de chaussée avec jardin, juste au dessous du mien formait un duplex que nous avions aménagé il y a bientôt trois ans… J’inventoriais ce matin là les vêtements féminins et tout ce que j’allais donner aux différents services sociaux lorsque je suis tombé sur des choses surprenantes…
           
            J’allais sur la trentaine et elle m’avait eu à vingt ans ! C’est pour dire si, à la cinquantaine, elle avait encore le goût des toilettes et répudiait à jouer son âge …mais le crabe malfaisant l’avait grignotée ! Il avait finalement eu raison de son obstination à vivre… Je découvrais ainsi, dans des tiroirs que, personnellement je n’avais jamais ouverts, des petites tenues affriolantes ! Des robes sexy, de la lingerie fine, des déshabillés, pour moi insoupçonnables… Du jamais vu ! Dans la pénombre de cet appartement aux volets mi-clos, la surprise, l’excitation de la découverte, puis mon reflet dans la glace d’une ressemblance indéniable avec celle qui m’avait quitté depuis dix jours, me firent accomplir un geste de folie!
            Avec mon physique d’homme peu sportif, ni Schwarzenegger ni gringalet, assez mince, longiligne, j’osais ! J’osais me travestir, essayer quelques tenues… Coiffé d’une de ses perruques à la Cléopâtre - vestiges dérisoires hérités d’humiliantes chimiothérapies -  le reflet dans la glace était percutant et prêtait à confusion! Ma mère vers la trentaine, encore jeune, encore très belle me regardait! Encouragé par ce résultat, je complétais la panoplie par des escarpins, douloureux, et par un léger maquillage – tâtonnant – J’ai honte… et j’en rougis, une fois de plus ! Mon reflet m’a plu! Un coup de rouge à lèvres, un peu de gloss et, je me serais presque embrassé !

            Ma mère très possessive, avait toujours été vigilante quant à la concurrence féminine. De toutes les filles que je fréquentais ou que j’avais amenées chez nous, aucune n’avait trouvé grâce à ses yeux ! « Tu comptes faire ta vie avec cette bécasse? Mon pauvre Charles, tu ne tiendras pas deux mois! » Elle ne leur rendait pas la tâche facile car l’examen approfondi auquel elle se livrait, n’était jamais en leur faveur… Alors je me débrouillais pour voir ou honorer mes conquêtes à l’extérieur, prétextant invitation ou séminaire obligatoire… Ce qui lui évitait de me pourrir la vie pendant plusieurs jours. Evidemment, au retour, le fin limier recherchait toute trace coupable, un cheveu, un parfum... En toute lucidité, rétrospectivement, je reconnais qu’elle n’avait pas coupé le cordon ombilical ! Elle a même poussé le vice jusqu’à m’acheter l’appartement juste au dessus du sien ! « Tu te rends compte, mon chéri, il vient juste de se libérer !Une aubaine ! C’est ton père qui serait content de te savoir près de moi, au lieu de ton studio minable à Vincennes…» De l’image confuse d’un père cascadeur disparu lors d’un tournage, la veille de mes cinq ans, ne subsistaient que les photos et les anecdotes quelle voulait bien me raconter. «Ton père n’aurait pas aimé ! » ou « Ton père serait fier de toi ! Paix à son âme…» étaient les arguments ultimes qu’elle m’assénait depuis mon plus jeune âge… Ensuite, amoindrie par la maladie, elle, dont c’était le métier, ne jouait même plus du piano, refusant de voir ses amies, même les plus fidèles... Je n’avais pas à cœur de lui porter la contradiction, et je cédais invariablement à toutes ses demandes. Même l’idée d’un escalier colimaçon reliant nos deux appartements ne fût pas discutée… J’étais conscient de perdre encore un pan de liberté, mais en qualité de fils unique, je me devais d’adoucir les moments de souffrance de celle qui m’avait donné la vie. Pour les logements, j’avais mon entrée, elle gardait la sienne, même avec un escalier communicant !
           
            Absorbé par l’assistance et les soins médicaux qui allaient croissants, gérant de plus en plus épisodiquement ma vie privée, on peut dire aussi que ma vie professionnelle d’agent du Trésor ne me passionnait guère - même si un nouveau chef avait décidé de chambouler les services – La vie terne que  je menais alors, dans l’angoisse d’un dénouement auquel je me refusais, me débilitait profondément…
            Cependant découvrir, après cette déprimante traversée du désert, la possibilité de se divertir à peu de frais, jouer un autre personnage, être incognito parmi des gens qui ne soupçonnent rien et laisser libre cours à la part de féminité qu’abrite chaque mâle, me fit vivre une période d’attirance répulsion mêlant jubilation et fascination ! Je me rendais compte en fait, que je disposais de sérieux atouts ! Seul le premier pas coûtait !

            Il fut franchi un Vendredi soir…
            J’installais une forme de rituel : le Boléro de Ravel et son crescendo en fond sonore, la table à maquillage éclairée à giorno, vêtements et chaussures présélectionnés sur le lit puis… j’inspectais mon corps et sa pilosité! Glabre ! Je passais ensuite au maquillage, j’étais irréprochable ! Habillé décontracté, en demi-saison, conforme à l’été indien de ce mois de Septembre. Je sautais le pas, franchissais la porte du jardin, un sac sous le bras, le cœur battant la chamade et les jambes flageolantes sur des hauts talons d’équilibriste ! L’aventure travestie allait commencer…Je ne disposais d’aucun scénario, je n’avais même pas exercé ma voix à la féminitude !
            Pour l’instant ce qui m’encourageait, c’est que les quelques personnes croisées n’aient pas eu de haut le corps, n’aient pas écarquillé les yeux en me voyant. Mon déguisement était assez conventionnel: pantalon jean moulant, haut noir sous une veste d’été en drap clair… Un supplice cependant: le soutien gorge rembourré qui commençait à gratter sérieusement !
             Moktar, l’épicier chez qui je me rendais deux ou trois fois la semaine ne cilla même pas en me voyant. Je prenais alors la direction du café pmu, place de la Nation, toute proche. Ma première idée étant de m’attabler, je rectifiais immédiatement le tir, car lorsqu’une entrée dans un lieu public se solde par un instant de silence général, où les accoudés au comptoir vous dévisagent et les plus audacieux commencent à vous sourire… C’est vers le coin tabac qu’il faut battre en retraite! D’une voix de fausset, mal à l’aise, car de surcroît non-fumeur, j’ai demandé la première marque visible : « Des Royales, s’il vous plait ! » Dans mon sac en bandoulière des Kleenex, du rimmel, du rouge à lèvres, des tickets de métro, un plan mais…point de porte monnaie ! « Excusez-moi, je repasserai, je suis désolé… je l’ai oublié ! » Derrière moi la queue allait en se formant. Le serveur, calé à l’abri de son comptoir, me dévisageait sérieusement, pensant sûrement à de la grivèlerie… Il me tendit le paquet, me regardant droit dans les yeux « …et elle s’appelle comment, notre belle étourdie ? » Je n’y avais même pas pensé ! Balbutiant, pas du tout maître de la situation, sous mon fond de teint, j’avais du piquer le plus grand fard de ma vie :
             « Non, merci… Olga ! Mais non, c’est pas la peine… ajoutai-je, cramoisi, tête basse.
- Olga, je compte sur vous, demain à la même heure, je serai de service…Merci de passer régler votre petite dette. Excusez-moi y a du monde qui attend ! À demain… » Il était grand, costaud, le crane rasé avec des yeux verts et un joli sourire…Si j’avais été femme, peut être… mais là aussi, naïvement, je n’avais pas envisagé cette option là ! Les regards complices et les quelques quolibets égrillards des gens qui étaient autour de moi, saluaient indirectement celui qui, au débotté, venait de donner un rencard à une bien jolie jeune femme…C’était ma première sortie, ma première expérience en Olga ! C’est en courant sur mes talons hauts que  je suis rentré chez moi honteux, le cœur battant la chamade …

            Certaines de mes connaissances diraient qu’il faut vivre des situations de la sorte, aussi anodines, pour comprendre ce que vivent les femmes au quotidien ! Quelle armure devrais-je endosser pour me barder en tour imprenable, si je voulais mener à bien ma petite expérience ? Je reconnais, mon premier essai débordait de naïveté…Comme au jeu d’échecs il me fallait anticiper le coup adverse. C’est pour cela que le lendemain c’est Charles et non pas Olga qui est allé au bar-tabac honorer la dette de sa sœur « …qui ne pouvait venir, encore prise par son travail à l’hôpital ! » La vérité, elle aussi peut se travestir ! La mine déconfite du barman restera pour moi un modèle du genre. Je lui laissais un peu d’espoir en lançant « …mais vous la reverrez sûrement, elle peut pas se passer de ses Royales ! »
            Tirant des enseignements de mes erreurs, j’en concluais que l’improvisation dans la rue restait bien trop dangereuse et que les seuls lieux qui offraient à la fois du confort, de la sécurité avec un zeste de raffinement et de savoir-vivre… étaient les bars des grands hôtels !
           
            Qu’est ce qui me fascinait dans cette mascarade ? Soyons clair, il était formellement exclu que mon déguisement puisse m’amener à avoir des relations autres qu’amicales avec la gent masculine…Je savais que je jouais avec le feu, et je me voulais très clair avec moi-même ! Non, je ne me sentais pas homo refoulé, et les mâles ne m’attiraient pas du tout ! Par contre jouer les Olga allait être un handicap pour me faire de féminines connaissances ! Dans ce milieu que je commençais à fréquenter, je discernais de plus en plus les motivations de mes consœurs… De la Diane chasseresse de mâle fortuné à la douairière en attente d’un dernier gigolo, il y avait des nuances et des jeux de rôles investis par d’autres types de femmes. Je pouvais être concurrencé naturellement par l’Escort girl la plus classique suivie de la femme d’affaires naviguant entre escroquerie et espionnage industriel ou par la femme délaissée à la recherche d’un peu de chaleur humaine…Moi ? Je me rangeais sous la bannière commode du comportement psychologique et de l’étude de mœurs…

            Que ce soit au GeorgesV, au Crillon, au Savoy ou au Ritz ma procédure était la même…Je jouais la jeune femme esseulée qui s’est fait poser un lapin ! Avec invariablement les coups d’œil furieux à ma montre et la cigarette sitôt allumée, sitôt nerveusement écrasée dans le cendrier…Dans cette ambiance feutrée, avec un fond musical reposant, mes voisins, compatissants, souvent seuls eux mêmes ou en attente de rendez-vous, se montraient pleins de sollicitude et entamaient la conversation. L’estocade était portée quand au comble de l’exaspération j’expédiais mon cellulaire au fond du sac en râlant entre mes dents, après ce goujat qui ne s’excusait même pas ! Le temps passant, la conversation courtoise aidant- les coupes de champagne également- j’héritais inévitablement d’une carte de visite assortie de l’intention de me revoir… « Oui, si vous le voulez bien nous nous recontacterons ! En tout cas, Paul, merci de m’avoir réconfortée… » Ceci dit d’une voix un peu rauque, avec un regard appuyé…et le Paul en question était prêt à me manger dans la main !
            J’acceptais parfois des invitations à dîner ! Uniquement lorsque mon courtisan se montrait brillant et plein d’humour ! Au diable ceux qui ressassaient l’effondrement de la Bourse, le montant des pensions alimentaires ou leurs brillants faits d’armes! Je ne me rêvais pas en mère Thérésa…

            Etais-je passé de l’autre côté du miroir…? J’étais dans un registre de découvertes de relations humaines dont l’inconscient apprenti sorcier que j’étais n’imaginait pas la portée…
            Et ce qui devait arriver…arriva !

            Attablé au Hilton, alors que j’envisageais de mettre un terme à ces coups de folie puisque les circonstances m’avaient toujours été favorables, je tombais ce soir là sur la personne qui depuis quelque temps, devait être la plus haïe de mes connaissances…Mon nouveau chef de service ! Récuré, élégant, rasé de près…Sans gène aucune, Marc Dubosc, le verre de whisky à la main venait de s’asseoir en face de moi ! L’Attila réformateur des services à la hussarde, détesté unanimement voulait faire ami ami avec moi ! La poussée d’adrénaline fût instantanée…M’avait-il reconnu ? Mes gestes brusques, mon désarroi devaient passer pour ceux d’une belle traumatisée par l’apparition d’un Don Juan inespéré…Je ne lui laissais pas le temps de finir de s’installer, je lançais sans grande conviction :
- Mais je ne vous ai pas invité à ma table… Ce n’est pas vous que j’attends ce soir ! » En se la jouant calmement, en prédateur qui s’apprête à déguster sa proie tout en la fascinant du regard et prenant ses aises, il murmura cyniquement d’une petite voix navrée : - Et je devrais encore une fois vous laisser échapper ce soir…Comme au Ritz, ou au Savoy la semaine dernière…? » Son sourire carnassier qui éclairait un physique de catcheur s’élargit encore devant ma surprise. – Oui, chère mademoiselle, j’étais présent ces soirs là… Et je ne vous dirai pas combien ma frustration était grande de voir la concurrence l’emporter sous mes yeux… Alors qu’au bar, bien sûr, vous ne m’aviez même pas remarqué ! Marc Dubosc, pour vous servir… Je passe ma vie à restructurer ou liquider des entreprises… »
Ouf ! Ce n’est pas à Charles qu’il en voulait mais à Olga ! Est ce que je tremblotais, avais-je pali sous mon maquillage, les signes de nervosité traduisaient-ils ma détresse émotionnelle ? Je n’avais ni la facilité ni l’assurance des autres rencontres! Ma panique dura quelques instants. En liquidant ma coupe de champagne pour retrouver une contenance, je décidais de reprendre le dessus…Il ne savait toujours pas que Charles Bontemps, le responsable du service des pensions, se cachait sous les traits d’Olga. Je pouvais encore agir, mais agir vite !
Il ne m’en laissa pas le temps: «Olga, je sais que vous vous appelez Olga… les barmans sont à l’écoute de tout, même s’ils ne vous prêtent pas attention! Je vous ai observé avec vos précédentes conquêtes et j’admire votre prudence et votre style ! Permettez-moi, Olga, afin de mieux faire connaissance, nous pourrions continuer de prendre l’apéritif et glisser ensuite, à côté… Le restaurant de cet hôtel est réputé pour son excellent homard thermidor. D’ailleurs son étoile du Michelin…
-       Je suis désolée, je vais devoir m’éclipser aux toilettes…
-       Olga, non, ne m’abandonnez pas lâchement… Je vous déplais à ce point là ?
-              Nous verrons cela à mon retour ! En attendant, je vous laisse,  mon manteau en otage…»       Avec ses allures prévenantes, son baratin passe-partout et ses mains qui ne perdaient pas une occasion de me frôler, j’avais besoin de me sortir de son regard hypnotique, j’avais besoin de respirer…Peut-on être mortifié de mener en bateau son supérieur hiérarchique, qui aujourd’hui se travestissait en repreneur d’entreprises ? Le dénommé Marc Dubosc, depuis deux mois représentait tout ce dont j’avais horreur, du bateleur de foire à l’arriviste le plus complet… A la Trésorerie, c’est en le croisant dans un couloir qu’il m’avait annoncé mes prochaines fonctions :
-               ‘’ Ah ! Oui, vous c’est Bontemps…!Ecoutez, on va s’économiser le formalisme d’un entretien…Je voulais vous prévenir que des Pensions vous passiez au Contentieux ! » Mon attitude indifférente- je m’attendais à une affectation de ce genre – l’avait interloqué, car chacun de mes collègues avait protesté en défendant âprement son pré carré… Moi, non ! Je lui répondis que ma formation me permettait d’y faire face sans que ce soit un casse-tête, ce qui n’était pas le cas de beaucoup de mes collègues…« - Vous êtes responsable syndical ?... Non ? Alors allez, vivez votre vie, et à plus… » Voilà l’énergumène que l’on nous avait envoyé…Grand, corpulent 110 kg au garrot, du genre grande gueule toujours satisfait de lui…Un modèle de DRH ! Les P et T étaient en pleine vague suicidaire…alors pourquoi pas nous ! Dans les toilettes, face au miroir, je me stimulais et décidais d’être la plus vacharde possible… Requinqué, déterminé, je m’aperçus en revenant m’asseoir qu’il nous avait renouvelé les consommations… Alors que galamment il se levait pour m’accueillir, je lui lançais : «  Ah oui ! Cher Monsieur, comment se passe la vie d’un fossoyeur d’entreprises…? Arrivez-vous à vous regarder dans la glace sans problème ? » Son sourire un peu contrit me fit plaisir, je venais de marquer un point ! Pendant quelques instants il s’essaya à démontrer que faire du sentiment était incompatible avec les affaires et chaque fois qu’il aiguillait la conversation sur moi, je le recadrais vers sa reluisante vocation… Je terminais ma deuxième coupe de champagne, et je sentais déjà une certaine euphorie monter … « Vous savez, si je vous ai abordé ce soir, c’est pas pour vous raconter ma vie, mais pour découvrir la vôtre ! Vous me fascinez depuis que je vous ai vue la première fois au Ritz… Vous êtes une jeune femme belle, indépendante et rebelle…et bla bla bla ! » Je ne pensais même pas à relever et attaquer ces fadaises. Je percevais maintenant sa voix comme de plus en plus étouffée, lointaine…J’étais physiquement présent mais mentalement je voguais sur une autre planète… Le bougre me paraissait presque sympathique ! Toute mon animosité à son égard avait fondu. Je souriais béatement aux anges… Je me sentais bien, apaisé, indifférent à tout ce qui m’entourait…Soudain debout devant moi, il m’a tendu la main…Voulait-il prendre congé ? J’ai essayé de répondre à son salut mais mon bras est resté sur l’accoudoir…En glissant son bras sous le mien, il m’a aidé à me relever, tout sourire et prévenant: « Olga, Je vais vous raccompagner... Je crois que vous ne supportez pas bien le Champagne ! Venez, ne nous donnons pas en spectacle, ma voiture est juste un peu plus loin sur le boulevard… » Il me recouvrit les épaules du manteau en gardant mon sac à main…Le froid de décembre aurait dû me réveiller… J’y étais insensible ! Un vrai zombi. Une langueur s’était emparée de moi et je n’aspirais plus qu’à dormir, qu’à décrocher! Le confort du siège cuir de sa BMW était un ravissement et, installé à mes côtés, au moment où il allait lancer le moteur, quelqu’un a toqué à sa vitre…Les sons me parvenaient comme dans un train de nuit, lorsqu’on somnole et que l’on entend cependant le haut parleur des gares traversées… Vaguement je me souviens d’une voix féminine: « Dubosc, j’ai mis un an à te retrouver… Tu sais dans quelles conditions tu m’as laissée ! Tu me dois dix huit mois de pension alimentaire !                      
-               Tu vas pas m’em… avec ça ! Ferme donc ta grande gueule ! Tu vois bien que je ne suis pas seul, on en reparlera !
-               Comme on reparlera du compte en banque perso que tu m’as vidé… Tu es une ordure, Dubosc, un parano malfaisant ! J’ai perdu huit ans de ma vie avec toi !                     Au moment où il gigotait pour défaire sa ceinture et sortir de la voiture, je crois bien avoir entendu un coup de feu étouffé… Puis le Dubosc en question  s’est sûrement ravisé… Sagement, il s’est tassé à mes côtés, sa tête contre la mienne et nous avons enfin pu dormir tranquilles.

            C’est le froid qui m’a réveillé, à quatre heures du matin !
            Retenu par la ceinture qu’il n’avait pas détachée, nous étions dans un tête à tête où le sang coagulé nous unissait…Mon malaise s’était dissipé, malgré l’horreur de la situation je comprenais confusément ce qui s’était passé. Je comprenais que je n’étais pas à ma place et que j’aurais pu être la victime complète de la fameuse pilule du violeur… ou d’une balle perdue! Je repoussais ce porc, le calais contre la portière et avec une lingette à démaquiller, m’évertuais à faire disparaître toute trace de sang sur mon visage. Dans les deux heures suivantes, le boulevard s’animerait ! Je devais en urgence récupérer ma voiture, puis direction le duplex, repasser la porte du jardin, me doucher et redevenir Charles, le chef de service honorable, le fiston éploré du 1er étage…

            Légèrement en avance sur l’horaire habituel, je remarquais devant l’entrée principale de la Trésorerie, les voitures de Police, gyrophares allumés avec une effervescence particulière à l’accueil…Même en plein mois de Décembre on pouvait se mettre à transpirer, avec en prime un pincement au creux de l’estomac !
            -  Alors Chantal, c’est pour nous les flics…? On nous a cambriolés ?
            - Ah ! Non, mon pauvre Monsieur Bontemps ! C’est pour le nouveau…Il y aurait eu un règlement de comptes…Les éboueurs l’auraient trouvé dans sa voiture, une balle dans la tête ! Ah! J’ai des frissons rien que de vous en parler…’’
La sonnerie du standard retentissant, je quittais Chantal pour me diriger vers les ascenseurs, lorsqu’elle me rappela pour m’annoncer terrorisée:’’ C’est le Patron…La Police est chez lui ! Il veut vous voir de toute urgence, il vous attend !’’ Son regard interrogateur, témoignait de la tempête sous le crâne et des questions qui allaient avec !
Tout à l’heure c’était l’estomac… maintenant c’est les tripes qui étaient nouées. KO debout, avec des jambes en flanelle! J’appelais l’ascenseur pour aller tout en haut, au 8ème étage, voir le bon Dieu…
Germaine, la secrétaire de direction, toujours aussi avenante qu’un iceberg, me dévisagea et sans me quitter du regard, par l’interphone, avertit le TPG que j’étais là… La porte matelassée s’ouvrit lentement, devant deux inspecteurs en civil et un brigadier en uniforme ! J’étais honteux, liquéfié, prêt à tout déballer!
            - Tenez, Messieurs, voilà Monsieur Bontemps…Vous êtes au courant pour Dubosc...? dit le patron en me regardant. Tendu, j’acquiesçais et baissais les yeux… Nous venons d’apprendre que son ex femme vient de passer au Quai des Orfèvres... Elle a reconnu s’être vengée ! Elle avait encore l’arme du crime avec elle ! Donc ces messieurs nous quittent, ils arrêtent leur enquête chez nous…Puis cérémonieux : - Messieurs, vous venez de faire la connaissance de Monsieur Bontemps, celui qui va avoir la lourde charge de succéder maintenant à Monsieur Dubosc et  coordonner nos services…’’
            J’étais de plus en plus éberlué, sur une autre planète …

            Le soir même, les vêtements d’Olga ont étés dispersés discrètement, dans des poubelles, à l’autre bout de Paris ! J’ai mis le duplex en vente…et jusqu’alors il n’y a plus jamais eu Olga !
             En y repensant, bien sûr je ne me sens pas glorieux, j’ai honte de cet épisode là…Même s’il  m’a valu une belle promotion !

            Cependant, intimement, suis-je certain que la porte du jardin soit à jamais refermée…?

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