mercredi 20 mai 2015
samedi 16 mai 2015
Ce souvenir des belles choses
disponible en numérique |
Ce roman est une déclaration d'amour d'une fille à son père.
Pudique, sensible et inoubliable
Virginie
BODYBUILDER de Roshdy ZEM
À Lyon, Antoine, vingt ans, s’est mis à dos une bande de petites frappes à qui il doit de l’argent. Fatigués de ses trafics en tous genres, sa mère et son grand frère décident de l’envoyer à Saint-Etienne chez son père, Vincent, qu’il n’a pas revu depuis plusieurs années. À son arrivée, Antoine découvre que Vincent tient une salle de musculation, qu’il s’est mis au culturisme et qu’il se prépare intensivement pour un concours de bodybuilding. Les retrouvailles entre le père et le fils, que tout oppose, sont difficiles et tendues. Vincent va tout de même accepter qu’Antoine travaille pour lui afin de l’aider à se sortir du pétrin dans lequel il s’est mis. De son côté, Antoine va progressivement apprendre à découvrir et respecter la vie que son père a choisie.
AlloCiné
Nous connaissions Roshdy ZEM entant qu'acteur, nous le découvrons ici entant que réalisateur et pour un premier film c'est plutôt bien réussi. Ce que j'ai aimé c'est la dimension naturelle et sincère de l'acteur qui n'en est pas un, c'est cette plongée dans le milieu et le quotidien de ces hommes et femmes qui vont toujours au delà de leurs limites et qui se sacrifient " corps et âme" pour quelque chose qui parait futile aux yeux de leur entourage.
C'est aussi la rencontre d'un père et son fils à un moment difficile de leur vie.
Dans un second rôle Marina Foïs est bouleversante.
Virginie
jeudi 14 mai 2015
Le plus emprunté sur vos liseuses
Le livre numérique le plus emprunté du mois d'avril :
Résumé :
Dans le Midwest, où Jersey vit avec sa mère, son beau-père et sa petite soeur Marine, on ne sait jamais ce que la météo réserve. Le jour où sa mère et Marine disparaissent, emportées par une tornade, Jersey se retrouve seule et sans maison. Son beau-père n'a pas la force de s'occuper d'elle et son père biologique la rejette. La jeune fille échoue chez ses grands-parents maternels, qu'elle n'a jamais connus. Ballottée d'endroit en endroit, Jersey doit tenir bon, tout en apprenant des choses qu'elle ignorait sur sa mère...
« Mêlant avec justesse catastrophes naturelles et émotionnelles, Tornade est un livre remarquable. Un roman prenant qui, même une fois fini, restera dans l'esprit du lecteur des jours, voire des semaines. » Voya Reviews
« Brown dépeint avec brio le combat de Jersey pour continuer à vivre après un événement traumatisant. C'est tout simplement l'histoire déchirante d'une volonté de vivre à toute épreuve. »School Library Journal
À partir de 13 ans
Si vous ne l'avez pas encore lu, c'est ici !
mardi 12 mai 2015
Boy Hood
Une véritable odyssée de la vie réalisée par Richard Linklater
Un défi particulier : un film réalisé avec les mêmes acteurs pendant 12 ans.
Et c'est plutôt une réussite!
On passe 12 ans dans la vie d'une famille américaine centré tout particulièrement sur le garçon de ses 6 ans à ses 18 ans. C'est la vie avec ses bons et ses mauvais moments. C'est la construction d'un jeune homme et le combat, d'une mère qui assument l'éducation de ses deux enfants et qui prend son destin en main malgré de mauvaises rencontres.
C'est la vie quoi !!!
un film conseillé par Virginie
samedi 9 mai 2015
Les Dossiers de l'Actualité
Une revue d'actualité et d'information pour les adolescents et les jeunes adultes :
De 15 à 25 ans.Chaque mois, retrouvez l'essentiel de l'actualité remis en perspective dans de grands dossiers. 20 pages d'actualité dans un format pratique et un papier recyclé de qualité. Indispensable pour tous ceux qui cherchent à comprendre le monde d'aujourdhui.
De 15 à 25 ans.Chaque mois, retrouvez l'essentiel de l'actualité remis en perspective dans de grands dossiers. 20 pages d'actualité dans un format pratique et un papier recyclé de qualité. Indispensable pour tous ceux qui cherchent à comprendre le monde d'aujourdhui.
Les Dossiers de l’Actualité est un magazine mensuel qui traite à froid les grandes questions d’actualité économique, politique et sociale. Ses analyses s’adressent particulièrement à unpublic de lycéens et d’étudiants en attente d’une grille de lecture des événements survenus dans le mois. Chaque numéro est construit autour de trois dossiers approfondissant des faits majeurs de l’actualité française et internationale. Sur une vingtaine de pages, ses articles pointent ce qu’il faut en retenir et soulignent les enjeux sous-jacents. La lecture des dossiers est facilitée par des repères historiques, des données statistiques et des notions économiques rappelées en marge. Le magazine Les Dossiers de l’Actualité réunit tout le savoir-faire des éditions Bayard pour parler aux jeunes. Les informations importantes du mois sont brièvement récapitulées dans la rubrique « décodeur » du magazine qui présente ce flash actu sur une double page. Généraliste et aéré, ce titre pour les jeunes traite également de sujets plus légers et propose aux lecteurs des pages société, sport et culture. Sa rubrique « génération » livre une information pratique sur le quotidien des lycéens et étudiants car c’est l’âge des loisirs et des engagements associatifs. Avec l’abonnement aux Dossiers de l’Actualité, les jeunes affinent leur sens critique et enrichissent leur culture générale, un atout pour avancer en classe.
(avis de la rédaction)
mardi 5 mai 2015
Rail et rencontre
''J'ai honte! Parce que tu t' rends compte qu'est ce qu'elle m'a fait'' dit-elle en se hissant péniblement sur le marchepied du wagon le téléphone collé à l'oreille. Derrière elle un jeune homme efflanqué, légèrement vouté l'air accablé, semble la suivre dans un déhanchement souple et nonchalant. Il porte les signes de son appartenance: couture du pantalon au niveau des genoux laissant délibérément apercevoir un slip à la marque apparente sur l'élastique, blouson foncé, visière de la casquette rabattue sur le cou, baskets aux lacets défaits.
La gare d'Arpajon s'éloigne et le couple vient se vautrer sur la première banquette venue. Lui, la fixe d'un regard absent bercé par les rythmes réguliers d'une machine à laver sortis de ses écouteurs. Il est en mode lavage et elle en mode essorage:
''Alors t' vois, je lui ai fait comme ça...'' le reste se perd dans une bouillie d'un langage invertébré sans consonnes, ponctué souvent d'un répertoire scatologique de mots ayant au fil des années perdu leur sens fort d'origine, mais qui inciterait de conseiller l'interessée à se prémunir d'un traitement intestinal efficace
En revanche, ce sont les seuls mots accessibles à la compréhension des non-initiés et capables d'attester qu'il s'agit bien d'une conversation en langue Française exprimée avec une virtuosité à couper le souffle
''P'tain! non mais elle m'a foutu la honte et j'te dis elle va le regretter!...''
Machinalement, il a retiré sa casquette et posé sa longue main brune sur le genou dénudé de sa compagne. Elle ne le voit pas, ne remarque pas ses beaux yeux sombres et tristes ornés de longs cils recourbés, sa bouche pulpeuse qu'elle avait peut-être savourée quelque temps auparavant. Pour elle peut-être, il a soigné son petit carré de pelouse sombre et généreuse là haut au sommet de son crâne et rasé le pourtour soigneusement laissant une surface glabre ornementée d'une petite cicatrice rose, témoin d'un malencontreux dérapage du rasoir.
Les modes ont toujours été faites pour faire souffrir leurs fidèles adeptes. Que n'endurait-on pas autrefois sous le laçage des corsets et des escarpins trop étroits?
Notre langage vestimentaire ce sont nos antennes, sorte de substitut de phéromones emprunté au langage des fourmis
Il faut maintenant refuser toute gène en optant pour le tout laissez-aller
Mais doit-on penser pour autant que d'être obligé de remonter sans cesse un pantalon qui menace de s'écrouler au bas des pieds, de risquer de s'entraver la marche avec des lacets défaits puissent apporter le confort souhaité?
Et faut-il aussi penser qu'un rasage quotidien du crâne ne nécessite pas une corvée non moins négligeable?
La fille a maintenant atteint une logorrhée verbale effrénée. Elle se dope de l'outrance de ses propos. La colère entretient la colère comme un feu que les moindres brindilles ravivent sans cesse.
Elle ne voit pas que son voisin accaparé par un article du quodidien Le Monde vient de poser découragé son journal, pour tenter une séance d'hypnose à son encontre
Elle n'a pas non plus remarqué le départ ostensiblement précipité d'une autre voyageuse qui sous l'effet d'une exaspération non contenue est parti chercher refuge dans une zone moins agitée
Son teint laiteux s'empourpre par moment sous l'effet de la colère et de la moiteur du compartiment.
Elle a remonté au sommet du crâne ses beaux cheveux blond cendré en un bouquet branlant de boucles serrées permettant de découvrir un large visage clair et sans charme. Des yeux d'un bleu délavé se frayent un chemin dans cette palette de maquillage que des reines Egyptiennes auraient pu
jalouser
Notre malheureuse victime a maintenant posé un regard vague sur la généreuse poitrine de sa compagne que prolonge un menton à double étage. Rien n'est délimité dans ce corps adipeux. . Nul ne peut dire où finissent les seins et où commencent l'estomac et le ventre. C'est comme un paysage vaguement mamelonné mais sans réels points culminants, enveloppé d'un tee shirt sur lequel la statue de la Liberté s'exibe sur l'avant scène de son buste, le socle posé sur l'estomac
Une mini-jupe tente avec effort de comprimer le reste et permet d'offrir aux regards blasés le spectacle des cuisses marbrées, des genoux ayant enfoui leurs rotules depuis longtemps déjà et des mollets encore rebondissants de jeunesse, ferrés à leurs extrémité de bottines à talons..
Le paysage défile morne et sans âme. Forêts et Etangs de l'Hurepoix ont cédé la place au béton. Dans le lointain, la tour de Montlhéry domine toute cette concentration pavillonnaire sans charme. Notre train a quitté maintenant Brétigny et file en direction de St Michel/Orge.
Progressivement, la vitesse ralentit à l'approche de la gare sans pour autant réveiller notre conteuse maintenant assoupie. Les freins crissent, la locomotive exhale un soupir devant le quai et s'immobilise.
Soudain comme mû par un ressort, le jeune homme se redresse, le regard affolé, entraîne violemment sa compagne qui tirée de sa torpeur lache quelque insultes et les voilà lancés comme par deux catapultes à travers le couloir.
Au moment de franchir les marches, la sonnette de la fermeture des portes retentit. En un bond il a surmonté l'obstacle et s'apprête à se jeter sur le quai; mais notre malheureuse vient buter sur la première marche pour aller embrasser l'escalier de tout son long. Elle s'est heurté violemment les genoux et grimace sous la douleur en suffocant quelques bribes de son langage coloré.
Les passagers n'ont pas tous compris. Ravis qu'un tel spectacle vienne distraire leur monotonie quotidienne, certains même se hasardent à vouloir l'aider à se relever mais se retrouvent vite découragés par ses regards incendiaires et méprisants. Pour beaucoup d'entre eux il y a une solidarité en faveur du couple en cavale! C'est trop rageant, ils auraient pû réussir...
Imperturbables du fond du compartiment arrivent un petit groupe casquetté en uniformes gris et violets. Ce n'est pas le SAMU bien sûr, mais nos sympathiques contrôleurs de la SNCF!...
Ils prennent d'abord un temps fou à vérifier tous les autres passagers. Parfois l'un d'entre eux s'arrête un peu plus longuement auprès d'un usager qui ne retrouve plus son billet à tous les coups égaré au fond d'une poche et puis au bout de vaines recherches accepte la mine défaite ou l'air crâne pour certains la condamnation en bonne et due forme.
Voilà nos tortionnaires arrivés au niveau des malheureux fraudeurs.
''Avez-vous besoin d'aide mademoiselle?'' demande l'un d'eux
'' Non! Répond celle-ci en reniflant, le regard en pistolet ''C'est bon!''
'' Je suis obligé de vous demander votre titre de transport Mademoiselle''
Pas de réponse
'' Dans ce cas vous pouvez nous régler la somme sur le champs ou payer un supplément''
La réponse est donnée par son compagnon qui l'air encore plus abattu qu'à l'accoutumé avoue être totalement démuni ainsi que sa compagne.
Le train poursuit son voyage jusqu'à Ste Geneviève des Bois abandonnant nos deux malheureux sur un quai presque désert..
'' C'est quoi ça un titre de transport?'' glapit-elle en claudicant derrière lui
'' Moi, j'ai qu'mon billet de train!.. ''
'' Ta gueule Mélissa!''
samedi 2 mai 2015
Junior : Sous le lit
Si
seulement c'était la dernière fois ... Je serais tellement heureux pour Nina,
même si pour moi cela reviendrait à moins la voir ... Nina n'aurait plus à
rester sous le lit ...
Nina
était cachée sous le lit. J’étais blotti dans ses bras et elle suivait de ses
petits doigts mes coutures. C’était son jeu, il fallait suivre mes coutures,
les yeux fermés. Et, lorsqu’elle ne les sentait plus, elle rouvrait les yeux et
s’étonnait de retrouver ses doigts sur les petites billes violettes qui représentaient
mes yeux. Ces mains y dérivaient toujours. Même si elle ne voulait pas se
l’avouer, je sais que ce n’était pas qu’un jeu. C’était une manière de se
concentrer sur autre chose que sur les cris qui retentissait dans
l’appartement. Ils se disputaient sans arrêt. Les causes étaient toujours les
mêmes : l’alcoolisme du père, les absences de la mère et l’appartement
trop petit. Et l’issue était toujours la même, on retrouvait du sang sur la
moquette et la mère se maquillait encore plus que la veille. Nina, impuissante,
sous le lit, ne pouvait qu’assister à ces disputes, ces luttes, dont elle ne
comprenait même pas les causes.
La
première fois qu’elle y avait assisté, c’était il y a un an. Lorsque le père
s’était mis à boire et la mère à le tromper. Cette fois-là, lorsque Nina avait
voulu protester, elle avait reçu une gifle. Et depuis, lorsqu’elle entendait des
bruits de pas devant la porte, elle se hâtait de se glisser sous le lit. Elle y
avait installé son refuge. Il était constitué d’un oreiller, d’une couette,
d’un livre et d’une lampe de poche. Elle m’y avait aménagé une sorte de couche
où je restais, attendant avec égoïsme ce moment où elle me rejoindrait et me
câlinerait.
Au
début elle pleurait, et je sentais des perles d’eau salée se mêler à mes poils
verts. Mais maintenant elle ne pleurait plus, elle s'en voulait et se réfugiait
dans mon pelage pour ne pas avoir à y repenser. Elle pensait que c'était à
cause d'elle que la mère saignait. A cause d'elle que le père buvait. Moi, je
savais bien que ce n'était pas de sa faute, qu'il n'y avait aucun rapport même
... Qu'il y avait juste un homme brutal, jaloux, et accro et une femme battue,
perdue qui ne savait pas comment réagir face à son mari. Mais, mon rôle n'était
pas de le lui expliquer, juste de se faire câliner et de lui amener un peu de
réconfort. Lorsque la moquette se tachait de quelques gouttes vermeilles, le
père s'arrêtait de cogner. Il s'excusait, se justifiait par la boisson, et
sortait de la pièce en titubant, l'air penaud. La mère et Nina savaient très
bien que les lendemains seraient semblables. Au loin, les pas lourds du père
disparaissaient. La mère se relevait, essuyant ses larmes, elle se dirigeait
vers la salle de bain. Nina attendait alors quelques minutes, le temps qu'il
fallait pour que les bleus de la mère soient camouflés, et rejoignait sa mère.
Là, de sous le lit, j'entendais toujours les même phrases "Ne t'inquiète
pas Nina, je n'ai pas eu mal ... Tu sais, il ne faut pas que tu en parles à
l'école ... Papa ne s'est pas contrôlé, mais il nous aime ... Il est sans doute
au travail ... Et moi, il va falloir que j'aille prendre mon service ...".
Je ne savais pas si elle y croyait mais moi, je n'étais pas dupe, je savais que
le père était retourné au bar et que la mère irait rejoindre son amant. La mère
finissait par lui expliquer ce qu'elle pouvait manger le soir même.
Puis
la porte claquait. Et Nina m'attrapait par la patte pour me prendre dans ses
bras. Elle s'asseyait sur le canapé, moi sur ses genoux et elle pleurait. Elle
ne s'arrêtait que lorsque son ventre se mettait à gargouiller. Elle mangeait rapidement
un morceau, se glissait sur le canapé et me serrait contre elle du plus fort
que ses petits bras lui permettaient. Je pense que si j'avais eu une cage
thoracique, elle me l'aurait brisée ... Puis elle s'endormait tout en douceur
et son étreinte se relâchait.
Junior - Omnis Cellula e Cellula
Et si c’était la dernière fois ? Cette question parmi tant d’autres, sans réponse et qui ne vise aucun sujet en particulier, elle est dans ma tête. Ado perturbée par le seul fait de me poser la question de si l’existence a un sens.
Je m’appelle Audrey, j’ai quatorze ans et demi et j’ai une vie plutôt banale, j’ai rien de la « Belle au bois dormant » ou d’une fée, je n’ai pas de super pouvoir ni la chance de pouvoir me téléporter. J’ai un père et une mère qui m’aiment, un petit frère et une grande soeur. On peut dire que c’est une vie monotone, ne s’exposant effectivement à aucun but concret.
La vie expose cependant à toutes sortes d’obstacles, certains sont plus hauts que d’autres. J’en ai eu quelques uns sur mon chemin, mais il y a toujours eu ma mère pour me soutenir, m’aider, m’expliquer les choses. Parfois il m’arrive de me dire que c’est peut-être la dernière fois que je pourrai la serrer dans mes bras. Quand je lui demande « est-ce que tu m’aimes ? », elle me répond « à ton avis ? » ou « tu le sais très bien ». Mais elle ne comprend pas que si je lui demande, c’est parce que j’ai besoin d’être rassurée. Elle croit en la réincarnation. Je suppose qu’elle ne doit jamais se demander « et si c’était la dernière fois » puisque tout recommence. Quand son premier mari est mort d’un cancer s’est-elle demandé « et si c’était la dernière fois ? »
Mon père, il se lève à cinq heures tous les matins pour qu’on puisse manger, pour qu’on puisse dormir sur un matelas sans se soucier du lendemain, pour qu’on puisse aller voir notre famille, pour qu’on puisse partir en vacances, pour qu’on puisse vivre car c’est l’argent qui fait tourner le monde, qui contrôle le monde, et ça au fond tout le monde le sait (même si certaines personnes n'osent l'avouer). Quand mon père pleure (et Dieu sait qu’il ne pleure JAMAIS), ça détruit tout mon monde en quelques fractions de secondes, ma sœur pourra le confirmer et il pourra toujours compter sur nous deux si ça ne va pas. Je me rappelle de ce soir où cela n’allait plus il retenait ses larmes mais sa douleur était si présente… Je lui ai fait son lit dans le bureau, mis un mot, une bouteille d’eau et des mouchoirs. La blessure ne se referme jamais, il y a seulement un pansement qui la couvre. Je crois que c’est ce soir-là que mon père s’est demandé « et si c’était la dernière fois ? »
Hormis l’importance qu’à ma famille pour moi, il faut que je vous raconte une toute petite histoire ne prenant seulement que trois minutes de votre vie tout au plus à lire, j’aime les histoires courtes, les histoires longues on peut risquer dans oublier l’essentiel :
C’était un clochard comme on dit, un SDF, il était seul dans le froid de Paris à arpenter les rues. Il avait la quarantaine. Après quelques temps de boulot dans une petite épicerie du coin (héritage de son père décédé) celle-ci ferma et ne pouvant plus payer son loyer d’appartement…Il n’avait jamais été riche, c’est vrai mais il ne pensait pas, du moins il ne s’était jamais projeté ainsi, c’est à peine s'il détournait le regard quand il voyait des SDF dans la rue en se disant « moi je n’ai pas fini comme ça et j’ai réussi à m’en sortir ».
Aujourd’hui c’est lui qui fait la manche, qui vole dans les magasins et qui dort sur son banc. Oui parce que maintenant c’est son banc, il mange dessus, lit dessus (le même ouvrage sans cesse, une oeuvre théâtrale plus précisément), dort dessus, il était devenu indirectement à lui, il lui appartenait.
Il était sur son banc, attendant on ne sait quoi puisqu’il n’avait rien à attendre et encore moins à espérer. Il attendait les pièces, bien sûr, que les passants pourraient lui donner …mais il attendait. Pas de véritable vie ; puisqu’il aurait été mieux pour lui de mourir, pas d’amis, pas de femme puisque celle-ci l'avait quittée quand elle apprit qu'il était fauché ; parce que dans cette société misérable où il y a une idéologie comme quoi l’existence humaine serait divisée en plusieurs races et que certaines seraient inférieures à d’autres ; qui voudrait d’un homme comme lui ? Il n’avait pas de métier car il n’avait pas de diplôme, il n’avait pas d’avenir.
Un jour une petite fille, s’arrêta devant lui :
« - Bonjour.
- Bonjour, répondit-il tout aussi poliment.
Elle le regarda un instant intriguée...
- Pourquoi t'es assis sur ce banc ? Pourquoi il y a des vieux cartons à côté de toi ? Et pourquoi tu es tout sale ?
Toutes ses questions le fit rire en son fort intérieur, elle devait avoir huit ans tout au plus et découvrait la vie, enfin ça c’était pas la vie.
- Le banc, c’est parce que c’est plus confortable que par terre ; les cartons, c’est parce que ça tient chaud la nuit ; quand à la saleté…je ne sais pas, sans argent on doit sûrement devenir sale, sans argent on attire la saleté peut être.
- Tu n’as pas de maison ? dit-elle.
- Si, j’ai une maison.
- Elle est où alors ?
- Elle est là. Il ne désigna rien en particulier parce que sa maison c’était son banc.
- Elle est moche, toi aussi t’es moche avec tes gros yeux rouges ! s’écria-t-elle.
Il ne prêta pas plus attention à cette remarque, désobligeante soit-elle.
- Et toi que fais-tu dehors à cette heure ? » demanda t-il étonné.
Et elle partit. Sans réponse, sans un mot, sans au revoir ; comme elle avait pu dire bonjour auparavant.
Un SDF ça dépend de tout, sa survie dépend de tout ; du climat, des gens et de l’argent, et parfois même d’un simple banc, parce que oui ce banc c’est tout se qu’il avait et oui ce banc c’était son seul ami, son seul…le seul qui restait auprès de lui. Ça peut paraître stupide mais c’est comme un enfant avec son doudou, moi par exemple quand je n’ai pas mon doudou, je suis triste, il me manque quelque chose je ne suis pas bien parce que lui aussi c’est le seul. Alors oui, j’ai quatorze ans mais il n’y a pas d’âge pour avoir ce quelque chose qui nous rassure, ce quelque chose qui nous guide, qui nous garde, qui nous protège…Et bien, c’est pareil avec son banc, si son banc n’était plus là, il n’aurait plus de repère, il n’aurait plus rien puisque c’est tout ce qu'il a. C’est comme quelqu’un qui fume qui n’a plus ses cigarettes, quelqu’un qui boit qui n’a plus ses bouteilles, quelqu’un de sourd qui n’a plus ses appareils, quelqu’un d’aveugle qui perd les sensations, quelqu’un qui a des lunettes et qui les perd...
Ce sont des métaphores, des paradoxes, parce qu’on a tous, ce petit truc, le petit truc, notre petit truc.
Alors oui, pour moi ; la race humaine s’arrête aux attraits physiques et la vérité se cache là où elle n’est pas. Mais il faut savoir que l’humain n’a pas été fait dans un moule mais on voudrait faire d’un tableau une république. Bien sûr on est des molécules reconstitués, on est des atomes, des cellules, des êtres vivants, des humains, mais au fond on est rien.
De toute façon, le monde n’est constitué que d’images floues, de pensées insensées et de réactions inutiles, parce que le problème à tout ça, c’est la vie et tant qu’elle sera là et même peut-être au-delà rien ne sera fini.
Mais cette histoire a une suite, ne prenant également que trois minutes de votre vie tout au plus : Quelques temps après que Lisa (oui elle s’appelle Lisa, j’avais oublié de vous dire) ait parlé au clochard pour lui demander les raisons de sa présence sur ce banc, elle revint avec de l’argent.
«- Bonjour dit-elle.
- Bonjour répondit-il étonné de la revoir après son départ un peu précipité de l’autre jour.
- Voilà du fric pour vous, j’espère que ça vous fait plaisir ?
- Non garde tes sous. Il était très content évidemment qu’elle lui offre des sous mais il considéra qu’à son âge elle n’avait pas à dépenser son argent (de poche probablement) pour un clochard comme lui.
- Si, j’insiste prenez-les !
- Ok et bien merci beaucoup ma petite c’est très très gentil de ta part, n’hésite pas à revenir me voir si tu as besoin de quelque chose », malgré le fait que je ne pourrais rien t’apporter (de positif) de plus à ta vie, pensa t'il.
Le lendemain, le clochard (et puis zut on va l’appeler Olivier, ce sera plus pratique pour continuer à vous raconter mon histoire et puis un clochard c'est une personne avant tout), donc Olivier alla au magasin qui vendait des bouteilles de vin et avec les 20 euros que lui avait offert Lisa il s’acheta une bouteille (de vin, vous l’aurez deviné).
Vous me direz probablement que ce n’est pas un gars bien, un type honnête, qu’il aurait mieux fait de s’acheter des gâteaux ou une couverture mais alors il va falloir me trouver autre chose que « il a acheté du vin ce n’est pas bien » ou je ne sais pas quoi d’autre dans ce genre. Parce que acheter du vin c’est une chose mais la raison de cet achat s’en est une autre.
Il est alcoolique. Etre alcoolique ce n’est pas non plus la mer à boire (excusez-moi pour ce jeu de mots), ce n’est pas une honte, ni un péché c’est juste une maladie, je considère ça comme une maladie, une maladie pas très honnête je vous l’accorde mais qui vaut bien non pas la pitié mais le respect de tous. Mais bien sur cela n’excuse rien. Lisa ça elle l’avait bien comprit qu’il était alcoolique.
Mon histoire devenant un peu longue je vais vous la raccourcir (Lisa donne les sous le premier jour, il achète la bouteille le deuxième jour et donc nous y voilà…)
Le troisième jour, Lisa lui redonna vingt euros et le lendemain il s’acheta une bouteille. Le cinquième
jour, Lisa lui vole tous les sous qu’il avait amassé au cour de sa journée puis le lendemain, elle lui offrit des gâteaux et ainsi de suite ce même numéro bizarre . Le septième jour, la petit fille le retrouva par terre à côté de son banc ivre mort, pleurant et riant en même temps. Elle le tapa (sans raison aucune), pas spécialement violemment mais assez pour qu’il tombe dans les pommes.
Vous l’aurez peut être comprit, elle aussi elle était malade. Le neuvième jour Lisa tapa Olivier (qui était lui ivre mort, comme à son habitude) assez fort pour qu’il tombe et se fracasse le crâne sur le béton.
Fin de l’histoire ; on pourrait penser que la fin est spéciale, brutale, étrange je ne sais pas mais non c’est juste la vérité je ne vais pas modifier la réalité, non seulement je n’en ai pas le pouvoir (parce que je suis banale) et en plus ce serait malhonnête de ma part.
Le neuvième jour, donc, il décéda, je voudrais vous décrire ce jour en particulier, pas parce que c’est le jour où il est mort mais parce que c’est ce jour si que l’on comprend qu’au final on n’a pas beaucoup d’importance aux yeux de ce monde.
C’était un jour comme les autres, les passants lui donnaient quelques pièces, il buvait, le soleil n’était pas pressant car c’était l’hiver, quelques personnes se moquaient de lui, d’autres s’apitoyaient. Au moment où il est mort, il n’y avait personne, personne pour crier à l’aide et personne pour dire qu’il était en train de mourir, personne, sauf Lisa. Il est mort sans un bruit doucement et lentement. Si on y réfléchit bien le plus « triste » dans tous ça ce n’est pas que après sa mort il n’y avait personne à prévenir, ni femme ni enfant et encore moins petit-enfant, ni même voisin ; le plus triste c’est que Lisa l'a regardé mourir et est resté assise à le regarder bien trois jours avant que quelqu’un se soucie de lui, parce qu’effectivement on pourrait croire qu’il dormait, on en voyait pas la différence puisque ce banc était sa place depuis quelques années maintenant et que Lisa était avec lui.
Olivier n’avait pas d’importance aux yeux du monde. Il n’était pas oublié puisqu’il était méconnu. Ce n'était même pas un visage pour les passants, le temps et l'alcool et pleins d'autres facteurs n'ont fait que dégrader son visage.
J’ai pas envie que vous vous apitoyez sur ce clochard parce que après tout c’est comme ça et pas autrement, on ne peut pas changer sa vie ni changer la tienne ou encore moins la mienne. Je ne sais pas si on a tous nos problèmes mais on a tous notre histoire. Son histoire n’est pas triste sous prétexte que c’est un SDF, sous prétexte qu’il est mort et qu’il est inconnu du monde, son histoire n’est pas joyeuse sous prétexte qu’on lui donne des pièces ou je ne sais quoi encore ; son histoire est banale parce que tant d’autre sont comme lui, tant d’autres vivent dans la rue mais tant d’autres au contraire ont de l’argent. Tant d’autres sont comme Lisa abandonnée, délaissée, oubliée …
Au fil des années qui passent après notre décès les gens nous oublieront.
Deux âges différents, deux « maladies » différentes, deux personnes pareilles.
Je voudrais bien savoir quel individu, quelle chose, quel énergumène, quel humain a osé dire que l'argent ne fait pas le bonheur, demandez à Olivier si l'argent ne fait pas le bonheur !
J'ai quelques fois entendu que la vie mérite d’être vécue, je réfléchis encore sur cette phrase, peut-être
que oui c'est vrai elle mérite d’être vécue… mais je me dis ça simplement parce que la phrase sonne bien...
De toute façon une chose est sûre, une seule chose est certaine dans ce vaste monde, une seule chose qu'on me répète quand je m'invente une vie, quand j'aurais aimé changer les choses, depuis toute petite ma mère me chuchote le soir à l'oreille « avec des SI on refait le monde » pendant que je pensais « tout s'explique du début ».
Parce que je sais que je ne peux pas refaire le monde, personne ne peut refaire le monde…
J'avais une dernière question, qui est le misanthrope qui a dit qu'il fallait de tout pour faire un monde ? Ce fichu proverbe (si on peut dire que c'est un proverbe), ne veut rien dire, il est d'une inutilité dérangeante (même si les autres proverbes n'ont pas forcément d'utilité si ce n'est un but littéraire). « Il faut de tout pour faire un monde », c'est bien là quelque chose pour excuser la misère humaine non ?
Le monde est beau, la vie est belle, la mort n'est que sa cadette, en conclusion Omnis cellula e cell…
J'… J'ouvris… J'ouvris les yeux…. J'ouvris vraiment les yeux… Mon réveil avait sonné ! J'ai eu peur, pour rien ! Tout ça n'était qu'un mauvais cauchemard ! D'un autre côté, ce n'est pas plus mal, la vie ne peut pas être comme ça… Ça serait trop nul, trop ridicule !
Junior - Mère inconnue
Et si c’était la
dernière fois …
La dernière fois
une bataille avait commencé…Entre moi et ma donneuse de vie, pas une mère, une
sadique…
Elle m’avait
promis à l’âge de cinq ans qu’elle serait toujours pour moi comme un ange
gardien, le lendemain elle avait disparu comme dans un tour de magie…
Je l’ai revu dix
ans après, je croyais, là, aujourd’hui, que j’allais verser des larmes de joie
mais je suis restée entre la colère de m’avoir abandonnée et l’impassibilité.
J’avais tout
fait pour l’oublier et, à présent, tout
cela pour rien, je me demandais pourquoi était-elle là ? Et où était mon
doux et cher père ???
Ma donneuse de
vie, m’a répété : « Désolée pour ton père… » en baissant
l’intonation à chaque fin de phrase.
En plein milieu
de sa deuxième phrase, je l’ai coupé.
« Désolée
de quoi ? » en haussant le ton , et c’est à ce moment précis que
la guerre avait commencé.
« Qu’as-tu
fait à mon père Cruella !!! » disais-je en gueulant. Tout le quartier
avait entendu.
« Cruella ?
Petite peste !! Honte à toi !!! ».
« C’est
plutôt toi qui devrait avoir honte de m’avoir abandonné !!! ». Mon
ton s’amplifiait de plus en plus exalté.
« Ca
suffit ! dit-elle en criant de toutes ses forces. Elle m’a pris
brutalement le bras à m’en couper la circulation, m’a traîné, je me débattais,
et Clac, elle m’a giflé.
Puis je l’ai vu
verser une larme de tristesse qui dégoulinait sur sa joue.
Je ne savais
pas, je ne comprenais plus rien. Pourquoi s’était-elle excusée pour mon
père ?
Puis Cruella a
interrompu mes pensées. Elle s’était arrêtée devant la porte de chez mon père
et sortit un trousseau de clés. Elle me traîna jusqu’à l’intérieur, ferma à
double tour. Je voyais une autre femme qui s’approcha de ma mère et l’embrassa.
Ce n’était pas
le fait qu’elle ait une compagne qui me choqua mais que faisait-elle
là ??? Chez mon papa. Bizarre …
Puis Midzi
Déligot, son amoureuse, me donna une lettre sur Henry Buldit mon père. Je suis
devenue pâle…
J’ai ouvert la
lettre avec la tremblote…Et me mis à la lire.
Monsieur Henry
Buldit décédé à cause d’une tumeur….J’avais trop peur de lire la suite. Je me
sentais si triste, j’ai fondu en larmes.
« Non ce
n’est pas possible !!!… » Je resserrais mes poings. J’avais la haine
et la rage, j’avais imaginé un film… Que ma mère était partie pour le laisser
pourrir pendant sa dépression et que cette p****n de tumeur s’était installée
comme une fatalité.
Non ma mère ne
l’a pas tué directement mais avait commencé par lui briser le cœur.
Encore sous le
choc, j’ai pris un couteau, ma mère ne m’a pas laissé faire…je me suis
seulement blessée la main, je saignais beaucoup…
« Appelles
les pompiers !!! » disais-je .
« Non…je
ne peux pas » me dit-elle. C’est Midzi qui alla chercher la trousse de
secours et qui appela les pompiers pendant que ma mère compressait ma plaie.
« Ecoutes
ma petite fée… Vers tes quatre ou cinq ans tu étais très malade et moi ta maman
j’ai dû voler des médicaments parce qu’ils coûtaient très chers. »
« Et tu
t’es fait attraper … » Lui ai-je chuchoté pour ne pas trop gaspiller
mes forces.
« Oui »
j’ai vu ma mère fondre en larmes.
« Quand
as-tu rencontré Midzi ? »
« En
prison . Gardes ton calme. »
« Pourquoi
tu ne me l’as pas dit plus tôt ? »
« J’avais
peur que tu ne me crois pas . Je me suis évadée…. »
Tout à coup la
police enfonça la porte, les pompiers derrière…Je voyais de plus en plus flou,
ma mère se débattait…
« Souviens-toi
de moi … »
« Et puis
plus rien… » Les voisins du quartier avait dû appeler la police en
m’entendant crier de douleur à cause de ma foutue main.
A ma guérison,
j’ai été placée dans une famille d’accueil, je n’ai jamais réellement connu ma
mère.
Junior - L'Oiseau en cage
Et si c’était la dernière fois
que je mettais les pieds dans cette salle ? Et si c’était la dernière fois
que je leur parlais ? Ça me manquerait un peu, tout de même. Bien qu’on ne
puisse pas dire qu’ils soient irréprochables.
Ils me haïssent, ils me
craignent, ils me dédaignent et ils m’ignorent. Ils me renvoient, me mettent
des mots, des heures de colle et puis c’est tout. Ils ne voient pas que je
n’attends que de l’espoir, ils ne voient pas que chez moi c’est un malheur
continu. Ils sont aveugles, ils ne voient pas que je veux faire des efforts
mais que je n’y parviens pas. Pour eux, c’est moi. Le Cancre.
Je l’avoue, j’ai passé des heures
à inventer des blagues pour les agacer. Je le reconnais, je n’ai jamais
travaillé. Je me repens : oui, jamais je n’ai écrit ma leçon. Mais si à
chaque fois que l’on fait des erreurs on ne peut pas se faire pardonner, si on
ne peut même plus s’excuser ici-bas, je ne sais plus ce que je fais là.
Alors je les regarde, un par un,
d’un air un peu piteux mais pas trop quand même -ils doivent comprendre que
malgré tout, je ne les porte pas dans mon cœur. Je me rends compte que tout ça
va me manquer s’ils me renvoient à jamais. Que même mon professeur de français
et ses renvois continuels, que même mon détestable professeur d’anglais, que
cet envahissant professeur d’Arts Plastiques, tous, ils vont me manquer. En fin
de compte, je pourrais faire des efforts, s’ils me pardonnaient. Alors je
bredouille :
-Je m’excuse.
Le CPE me toise sévèrement -c’est
qu’il commence à me faire peur !- et me lance méchamment :
-On ne s’excuse pas soi-même.
Je le regarde bêtement. Je n’ai
pas compris, mais ce n’est pas grave. Je laisse passer et, pensant bien faire,
je m’exclame :
-Je ne m’excuse pas
moi-même !
Ils ont un rire moqueur et me
regardent, les yeux plissés, un sourire mesquin aux lèvres. Je ne sais plus
trop où me mettre.
-Euh… Pardonnez-moi, je souffle.
Mais ça ne leur va pas non plus.
Le Principal hausse les sourcils et semble se demander si je suis bête ou si je
le fais exprès. Bip ! Mauvaise réponse. Je veux juste bien faire,
moi !
-Ce
n’est pas trop le moment, Thomas.
J’ai l’impression que les murs
s’écroulent lentement autour de moi. Que les mots prononcés par le Principal
arrivent doucement, très doucement à mes oreilles pour, après, m’heurter de
plein fouet. Si ce n’est plus l’heure des regrets, et bien je devrais y aller.
Mais je reste figé.
-Bon, et bien… Je suppose que
nous allons décider de la punition de Thomas.
La voix doucereuse d’un de mes
professeurs -je ne les regarde pas, je ne sais pas lequel d’entre eux parle- me
semble soudain lointaine, très lointaine. J’attends, pétrifié, que la sentence
arrive mais, étrangement, elle ne vient pas. Je m’apprête à entendre la voix
grave et lente du Principal, disant que je serais renvoyé définitivement, mais
ce n’est pas elle que j’entends. A la place, vient une voix un peu cristalline,
douce et enfantine.
-Je propose que nous discutions
un peu avant d’annoncer la sentence.
J’ouvre de grands yeux en reconnaissant
la voix. C’est une petite fille de ma classe, qui a un prénom un peu bizarre.
Hestia, ou quelque chose comme ça. On m’a dit que c’était un nom grec de
déesse, mais de quoi ? Le mystère règne.
Je ne comprends pas ce qu’elle
fait là alors qu’elle devrait être en cours, et apparemment, je ne suis pas le
seul à me poser des questions.
-Devant un tribunal, la loi
autorise l’accusé à avoir un avocat.
Un silence un peu pesant suit
cette déclaration loufoque.
-Et…? demande le CPE, visiblement
surpris.
-Et je suis l’avocate de
Thomas !
Ça y est, je suis totalement
désemparé. Je m’apprête à lui dire de déguerpir, parce que je n’ai pas besoin
de son aide, mais curieusement, aucun son ne sort de mes lèvres. Je ne savais
pas qu’on pouvait devenir paralysé à cette vitesse. C’est fou, le corps humain.
Je sens que la présence d’Hestia inquiète les professeurs mais moi elle
m’apaise. Je suis tout de suite plus calme et moins nerveux.
-Commençons.
-Je t’en prie ! dit le prof
de maths. On est tous suspendus à tes paroles, ma chère.
Je vois bien que c’est ironique
et un fond méchant. Hestia prend un air peiné, ça lui fait mal. Mes poings se
contractent et je pince les lèvres. Qu’ils me haïssent, qu’ils
m’injurient ! Mais elle, elle n’y est pour rien. Pourtant, c’est avec
assurance qu’elle entame son discours.
-Et bien voilà. Je pars du fait
que je n’ignore pas que Thomas est en tort.
Elle veut m’enfoncer, ou
quoi ? Je lui lance un regard paniqué et elle me sourit.
-Thomas, il nous a causé beaucoup
de soucis cette année. Il nous a énervé, embarrassé, il a été pénible. Il nous
a gâché des heures de cours. Thomas, moi, je ne l’aime pas. Il n’y a aucune
amitié qui circule entre nous, et je crains que ce soit à jamais le cas. Oui,
Thomas, c’est un garçon insolent. C’est un élève qui ne fait rien. C’est un
« cas lourd », comme vous dîtes. Et peut-être même un cancre. Mais
Thomas, c’est aussi un garçon qui manque d’affection. C’est aussi un élève qui
a des problèmes. Et c’est quelqu’un qui a besoin d’espoir pour tout miser
dessus.
Hestia marque une pause. Je
baisse la tête.
-Alors vous pourriez lui mettre
des mots, des heures de colle, vous pourriez le renvoyer. Mais à quoi cela nous
avance, à part à une vengeance personnelle ? Cela ne l’a pas fait avancer.
Le renvoyer n’arrangera rien. Et vous mentez si vous dîtes que vous pensez
arranger les choses en faisant ça.
Ce n’était plus des mots qui coulaient
de la bouche d’Hestia, c’était de la magie. J’avais les larmes aux yeux, car
elle avait raison. Et je pris le relai, voyant qu’elle me le tendait.
-C’est vrai. J’ai des problèmes.
Ma mère n’est jamais là, mon père me déteste. Je n’ai personne en qui faire
confiance, chez moi. Je n’aime pas l’école. Vous non plus, je ne vous aime pas.
Mais essentiellement car je sais que c’est réciproque. Bref. Vos punitions, je
m’en fous. Je préfère rien faire et avoir des heures de colle plutôt que de
bosser. Moi, bosser ? Vous voulez rire ? C’est une question de
principe, ouais !
Un regard appuyé d’Hestia vint
croiser mes yeux.
-Mais c’est elle qui a raison. Je
ne serais pas plus heureux si on me renvoie. Ça finira à l’internat, et adieu
ma belle liberté.
-C’est bon, on a compris, dit mon
professeur de français en me lançant un regard torve.
-Mais vous, bien sûr, ça vous
arrange, pas vrai ? j’hurle. Hein ? Vous débarrasser des cancres, ça
ne vous pose pas de problèmes ! Vous « nettoyez » le collège,
c’est ça ? Pour finir avec vos petits intellos ? Vous allez vous ennuyer, bon sang ! Et
vous dîtes être « enseignants » ? Mais enseignants de
quoi ? Du fait que les cancres, on arrive toujours à les virer ?
-STOP ! me coupe le CPE.
Thomas, tu te calmes, ou bien tu sors !
-Et bien je sors !
Je suis hors de moi. Je ramasse
mes affaires et sors en claquant la porte. Je m’en veux aussitôt. Ce n’est pas
la meilleure façon de remercier Hestia.
Je colle mon oreille contre la
porte de la salle des réunions. Et j’entends toute la discussion.
-Il s’est emporté, c’est tout,
dit la voix clame, douce et apaisante d’Hestia.
-Emporté ? tonne le prof
d’anglais. Je ne vois même pas pourquoi tu le défends.
-Je le défends parce que tout le
monde a une chance, et que malgré tout Thomas est quelqu'un de bien. C’est
dommage que vous refusiez d’entendre raison.
Elle va trop loin, c’est clair
comme de l’eau de roche. Je sens presque le regard furieux du professeur de
SVT.
-Hestia, reprend le Principal
d’une voix qui se veut calme et polie. Pourquoi n’irais tu pas en
récréation ?
-Parce qu’il n’est pas l’heure de
la récréation. Ça sonne dans vingt-cinq minutes.
-Je t’autorise à aller dans la
cour de récréation maintenant.
C’est plus qu’une autorisation,
c’est un ordre. Hestia semble l’avoir compris. Je l’entends soupirer. Elle sort
à son tour de la salle. Elle me voit.
Elle s’approche d’un pas chancelant
et je vois qu’elle a les larmes aux yeux.
-J’espère que ça va marcher, me
glisse-t-elle d’une toute petite voix.
-Oui, c’est sûr ! Tu es trop
forte, merci.
Je manque m’étouffer -ça doit
être la première fois que je dis ça- et je lui souris. Elle semble un peu
rassurée et fronce tout de même les sourcils, inquiète.
-Ça va aller.
Ma voix se veut rassurante mais
je suis persuadé qu’elle ne l’est pas, finalement. Hestia hoche la tête et va
en récréation.
Je reste dans le couloir.
J’attends. Les minutes passent, le temps s’allonge. J’ai horreur du temps. Je
regarde par la fenêtre. Hestia est toute seule dans la cour. Elle marche.
Malgré la fenêtre, j’entends les feuilles mortes qui craquent à chacun de ses
pas. La pluie commence à tomber. Elle tape contre la vitre de la fenêtre. Cela
fait une douce et triste musique. Hestia est toujours dehors, elle tourne en
rond depuis tout à l’heure, mais ça n’a pas l’air de la déranger. J’ai envie de
lui dire de rentrer, parce qu’elle va être toute mouillée, mais elle a l’air
mieux dehors que dedans. Moi aussi, je préférerais être dehors. Je serais plus
libre. Là, je suis un peu comme un oiseau en cage. Les gens, à l’intérieur de
la salle, veulent sûrement me couper les ailes.
La cloche sonne. Le brouhaha emplit
le collège. Et je reste dedans. Hestia se tient à l’écart des autres élèves.
Elle me fait peur, elle est toute pâle. Elle est recroquevillée dans un coin de
la cour, et la pluie tombe toujours sur sa tête. Ses cheveux sont trempés, et
des gouttes perlent sur ses joues. Du coup, j’ai l’impression qu’elle pleure et
ça ne me rassure pas.
La récréation se termine. Je suis
toujours dans ma cage. Franchement, les oiseaux, c’est fait pour voler, pas
pour rester enfermé. Mais il n’y a que cette petite fille, Hestia, qui s’en est
rendu compte. C’est bête.
Les élèves rentrent en cours.
Hestia est toujours dehors. Un surveillant la voit, lui dit de rentrer, mais
elle secoue vigoureusement la tête. Je comprends quelque chose comme
« j’attends qu’ils se décident ». Le surveillant hausse les épaules
et s’en va. La pluie cesse enfin de tomber. Le soleil revient peu à peu, mais
je me rends compte que, derrière ma fenêtre, il perd beaucoup en luminosité.
Puis la porte de la salle des réunions s’ouvre. Enfin ! Je fais un signe
de main à Hestia, elle lève doucement la tête et son visage s’illumine un peu.
Elle a peur, c’est certain. Peur pour moi. C’est gentil, et ça me donne un peu
de baume au cœur.
Le Principal me toise
dédaigneusement. Il commence à parler, mais je ne comprends rien. Il utilise
des mots savants, si bien que j’aurais bien aimé avoir un dictionnaire à côté
de moi. Mon souhait s’exauce : Hestia (dictionnaire sur pattes) arrive en
courant. Le CPE la voit et son visage se colore de rouge. Il est en colère. Je
ne l’écoute qu’à moitié, parce que je dois me concentrer sur ce que me dit le
Principal, mais je me rends bien compte qu’il la gronde. Ce n’est pas parce que
je suis fin observateur, c’est juste car j’entends la voix et le ton qu’il
emploie.
Hestia part. Il l’accompagne. Je
crois qu’il l’emmène en cours, et j’entends Hestia crier -pour une fois !-
« dîtes-moi ! ». Je ne comprends pas trop et je me concentre de
nouveau sur les mots bizarres du Principal. Il continue à déblatérer que je ne
suis qu’un incapable, que je ne sers à rien -mon amour propre en prend un coup
et je me mets à le détester- puis il dit un mot que je comprends. Sa voix ne
s’éteint pas mais je ne l’écoute plus. Le mot que j’ai compris, il est tout
simple. Il fait quatre lettres. Viré. Ce mot, c’est « viré ». Je suis
exclu définitivement du collège. Et moi qui avais pensé qu’ils accepteraient de
me redonner de l’espoir ! Mon moral tombe à zéro.
Je me tais, et hoche poliment la
tête comme si j’approuvais les paroles du Principal. J’ai envie d’en finir, et
vite. Il finit par se taire et puis je me tourne vers mes professeurs. Je me
sens trahi. Même eux ? J’avais été beaucoup trop naïf.
Les belles paroles d’une petite
fille ne suffisent donc pas ? Sont-ils si insensibles à ma douleur ? Seraient-ils
des monstres ? On me dit de partir, les cours sont terminés ou en tout cas
j’ai le droit de sortir du collège. Demain sera mon dernier jour. Et si je
regrettais ?
Je rentre chez moi. Mon père me
regarde d’un œil mauvais en buvant une bouteille de rhum.
-Viré ? Bien. Digne fils toi
être de père.
Il n’est même plus capable
d’aligner deux mots correctement.
Je me prends le plus gros savon
de ma vie quand je vais chez ma mère -mes parents sont divorcés. Elle ne pense
pas que je suis digne d’être son fils, contrairement à d’autres. Elle me crie
qu’après-demain, c’est « direction l’internat ». Au moins, je
pourrais dire au revoir à Hestia. C’est la seule qui m’a soutenue jusqu’au
bout. Je me dis qu’au collège, les autres « cancres » ont de la chance
d’avoir cette petite fille avec eux. Peut-être qu’un jour, elle pourra les
sauver puis les aider à travailler.
Le lendemain, au collège, c’est
le défilé des sourires narquois. Les élèves comme les professeurs. Ils sont
bien contents de se débarrasser de moi. Ça me rend malade de leur accorder
satisfaction, et surtout de devoir partir alors que j’avais une alliée. Le plus
dur reste à venir : regarder Hestia en face. Et si c’était la dernière
fois que je la voyais ?
Justement, la voilà. Elle me
regarde d’un air interrogateur. Je lâche d’un ton sec -pour en finir plus vite,
parce que ça me fait mal de le dire- :
-Viré. J’suis viré. C’est mort.
C’est mort pour mon avenir, ma
liberté. Le professeur d’histoire nous dit d’entrer dans sa salle. Je détourne le
regard, mais pas à temps : j’aperçois malgré tout les larmes d’Hestia. On
dirait des petites perles qui coulent sur ses joues roses de poupée, et moi
aussi j’ai envie de pleurer. C’est dur, la vie.
Puis le professeur d’histoire
parle, parle et parle. Il écrit au tableau des lignes et des lignes en rouge,
en vert et en bleu. Et moi ça me fait mal à la tête, toutes ces questions qu’il
me pose, tous ces pièges, tous ces mots, toutes ces phrases… Je suis perdu.
Alors je me lève, je me dirige d’un pas digne au tableau. Le professeur,
interloqué, ne dit rien. Je prends le chiffon et j’efface le tableau. Tout. Les
définitions, les cours, les phrases, les points, les virgules, les mots,
tout !
Je prends un marqueur et dessine
un énorme bonhomme qui sourit sur le tableau. Aucune personne ne pipe mot, sauf
Hestia qui éclate de rire. Et moi, tout fier, je lui souris. Et si c’était la
dernière fois que… Oh, et puis non ! Ça ne sera plus la dernière
fois !
Et je sais que ce n’est pas ces
profs qui vont m’arrêter, ni le Principal, ni le CPE. Je sais que j’arriverais
à trouver le bonheur. Alors je fonce dans le bureau du Principal et je dis
d’une voix aussi calme que possible :
-Vous n’allez pas me renvoyer.
-Pardon ?
-Vous n’allez pas me renvoyer,
j’articule distinctement.
-Ah oui ? Et pourquoi ?
-Parce que ça voudrait dire que
vous êtes un bourreau du bonheur. Vous voulez me mettre en cage ? Les
oiseaux, ils ne peuvent pas s’envoler s’ils sont en cage, alors vous allez me
laisser !
Il ne comprend pas, mais je
continue :
-Je vous cède tout ! Je vais
même travailler ! Mais si je
dois partir, c’est « direction l’internat » et pour moi c’est prendre
un bus vers le terminus, direct !
Ma tirade n’est pas aussi
brillante que celle d’Hestia, elle est même vraiment nulle. Mais dans ma voix,
j’ai réussi à mettre mon espoir, ma tristesse, et tous mes sentiments. Le
Principal ne dit rien. Puis il acquiesce lentement, très lentement. Et moi
j’hurle de joie.
Deux jours plus tard. Hestia
sourit. Je lui souris. Elle m’a sauvé. Une hirondelle passe dans le ciel. Et
j’entends Hestia murmurer :
« Elle nous annonce des
jours meilleurs… »
Le Toulouse-Lautrec
J’ai honte …
Je me demande …
Ses enfants et ses petits enfants, moi, en premier, on lui en
a fait voir de toutes les couleurs, à la mémé !
Justement, le marchand de couleurs, la honte qu’elle a eue,
la semaine dernière, quand il a rappliqué pour lui dire que j’avais volé quatre
tubes de couleurs extra-fines. Un jaune, un magenta, un cyan et un blanc.
C’est à cause du « Femme nouvelle » que le père a trouvé
dans le caniveau. C’était un vieux « Femme nouvelle », vieux pour les
autres mais il était tout neuf pour moi. Je l’ai dévoré. Cinq, dix fois, je l’ai
lu. Maintenant, ils me l’ont confisqué. Mais je me rappelle encore très bien.
Il y avait une très belle image. On voyait un cheval de course monté d’un
jockey devant lequel se tenaient de dos un petit homme en habit vert, large
d’épaules, avec un chapeau haut de forme un peu penché et une grande femme
portant une superbe robe longue et blanche à sa droite. Tout cela sur fond de
très beaux nuages roses.
Moi, j’étais, pour sûr, sur un des petits nuages roses. Moi,
avec la belle robe de mariée.
Je me dis que toutes les femmes de la ville doivent porter de
belles robes comme celle-là. Moi aussi, j’irai à la ville un jour et j’en
porterai.
Enfin, c’était une belle image. Des explications étaient
données aussi sur les mélanges de couleurs. J’ai appris plein de choses sur les
couleurs « primaires ».
Après, je ne sais pas ce qui m’a pris. J’aime dessiner. S’il
n’y avait que moi, je ne ferais que cela. J’ai eu envie de peindre. J’ai eu
envie de la reproduire, cette image.
Chez le marchand de couleurs, trois francs et vingt centimes,
chaque tube de couleur.
Une fortune.
Je suis allée me confesser juste après.
Je n’ai même pas eu le temps de la faire, cette peinture.
J’ai dû tout rendre et ça m’a coûté vingt
« Je vous salue Marie » et trente « Notre Père ».
Sans compter la raclée, bien sûr.
Pourquoi est-ce qu’elle l’a enjambée, cette margelle, la
mémé ? Le grand-père pourtant, il ne la battait plus depuis son attaque au
cerveau. Oh, ce n’est pas l’envie qui lui manquait bien sûr mais, avec un bras
et une jambe seulement qui bougent, il ne pouvait plus, le pépé.
Non, décidément, c’est bizarre d’avoir choisi ce
moment-là !
Je me demande …
Retour à l'ombre
« J'ai honte pour vous ».
« À votre place, j'aurais honte
d'être revenu, après ce que vous avez oser faire ».
« Décidément, il manque pas de
toupet celui-là, de montrer sa face ici ! ».
« Ces gens-là... on aurait dû
les pendre à leur retour ».
Pierre avait pris l'habitude de ne
plus répondre à ces paroles, de ne plus s'indigner, de ne plus répliquer. Il ne
les écoutait même plus. Il aurait voulu ne plus les entendre mais elles étaient
toujours prononcées assez fort, quand il se promenait dans le village, quand il
passait dans la rue, quand il travaillait à l'usine. Depuis son retour, les
regards méprisants et les messes basses étaient quotidiens. Il était un fantôme
que tout le monde évitait soigneusement, mais dévisageait rageusement.
Plus d'une fois il avait voulu
partir de ce lieu qui l'avait vu naître, pour rejoindre une ville où il serait
devenu inconnu, ignoré, ou apprécié peut-être. Il ne supportait plus cette vie
de chien, sans reconnaissance mais pleine de calomnies qu'il ne méritait pas.
Plus d'une fois il avait voulu tout plaquer, impuissant et fou face à l'opinion
de la masse.
Chaque fois, Simone l'avait
dissuadé. « Si tu pars, disait-elle, tu leur donnes raison. C'est comme
reconnaître tes tords. Tu es innocent, la vérité finiras par éclater. Continue
d'y croire. Les archives des Allemands vont refaire surface un jour et on verra
bien que tu n'étais pas la taupe ». Et chaque jour, elle allait
courageusement faire son marché, affrontant les quolibets des femmes bien pensantes.
À vingt-neuf ans, avec quelques uns
de ses amis d'enfance, il s'était engagé dans la Résistance. Dans leur région,
les maquisards étaient nombreux et les sabotages allaient bon train. Les
Allemands étaient sur les dents et n'hésitaient pas à prendre des otages pour
obtenir des dénonciations ou à arrêter au hasard pour obtenir des
renseignements.
Un matin à l'aube, Pierre, Jean,
Gilbert, André et quelques autres furent cueillis au réveil. Personne ne sut
qui les avait trahi, ni comment les Allemands les avaient trouvés. Ils furent
trimballés de camps en camps, dans des wagons à bestiaux, pendant des jours.
Enfin, ils échouèrent à Auschwitz.
Pierre ne comprit jamais comment il
avait réussi à survivre, lui qui n'était ni plus fort, ni plus costaud que
d'autres, ni plus malin non plus. Pourtant il survécut. Tandis que les autres,
petit à petit, avaient été terrassés par le froid, la gangrène ou le désespoir.
Il survécut aux tâches titanesques, à la faim, à la mort.
Comme les autres, il avait pensé au
moment où il rentrerait. S'il rentrait. Ce moment où il reverrait Simone, ses
parents, sa maison, son village. Il était au moins sûr qu'ils étaient plus en
sécurité là-bas, qu'ils s'en sortaient bien.
Après la capitulation de
l'Allemagne, il avait quitté le camp de l'horreur. De Jean, Gilbert, André et
de tous les autres hommes du village, il était le dernier. Il était affaibli,
ne pesait plus qu'une quarantaine de kilos mais la perspective de revoir
Simone, ses parents, sa maison et son village lui avait redonné de l'énergie.
Cette liberté et la fin de cette guerre qu'ils avaient tant attendues dans ce
camps étaient enfin arrivées. Il n'y avait plus que lui pour voir ce jour
heureux.
Après des jours de voyage, des
heures de trains, d'attente et de marche à pied, il était arrivé un soir à la
gare de son village. Personne ne l'y attendait. Il aurait dû s'en douter, après
tout, le service postal n'avait pas dû être totalement remis en place et sa
lettre n'était sans doute pas encore arrivée. Il avait pris sa valise à la main
et s'était mis en marche. Ses parents avaient une petite maison au centre du
village, une petite maison en pierre, avec une avancée en bois pour les soirées
d'été, une petite maison dont l'emplacement laissait maintenant place à un trou
béant.
Pierre n'avait jamais imaginé qu'il
arrivât quelque chose à ses parents pendant son absence, encore moins qu'un
obus touchât la maison. Il n'avait pas pensé que la guerre continuait ici et
que les combats faisaient des victimes. Il avait pensé naïvement que rien ne
pouvait être pire que le camp, que la guerre s'était éloignée pour ses proches.
Que tout était mieux dehors.
Désemparé, il avait tenté de trouver
refuge chez un ami d'enfance, François, un des rares à n'avoir pas été arrêté
avec eux. Ce dernier ne l'avait pas reconnu tout de suite puis avait semblé
hésiter à lui ouvrir la porte. Son accueil avait été glacial. Il lui avait
expliqué rapidement que ses parents étaient décédés le jour où l'obus était
tombé, que Simone était repartie vivre chez ses parents, dans le village
voisin, en attendant son retour, qu'il pouvait l'héberger pour la nuit mais
qu'il devrait partir vite le lendemain matin pour ne pas déranger sa femme et
ses enfants.
Le lendemain, Pierre était reparti
de chez son hôte sans même l'apercevoir. Il avait senti qu'il n'était pas le
bienvenu et se demandait ce qu'avait vécu le village pendant son absence, pour
que son propre ami le traite comme un étranger. L'hostilité dont avait fait
preuve à son égard François se retrouvait dans l'attitude que les autres
villageois lui manifestaient quand il se présentait à eux.
Simone fut la seule à ne pas se
détourner de lui. Elle l'avait attendue tout ce temps, tout en aidant le maquis
qui s'était reformé quelques villages plus loin. « Les gens pensent que tu
es le traître, Pierre, lui avait-elle expliqué. Tu es le seul qui est revenu.
Ils sont persuadés qu'en contrepartie des renseignements que tu leur as
fournis, les Boches t'ont fait un traitement de faveur et c'est pour ça que tu
serais vivant aujourd'hui. Pour eux, tu es un collabo. Tu ne peux pas avoir
vécu des choses aussi horribles qu'on le dit dans ce camp, sinon tu ne serais
jamais ressorti vivant. C'est ça qu'ils disent ici. Ils le pensent presque
tous. »
Pierre tenta de mille façon de
prouver son innocence et parla de ce qu'il avait vécu dans le camp. Comment
tous les camarades étaient tombés, les conditions dans lesquelles ils avaient
tenté de survivre. Personne ne voulut l'écouter, personne ne voulut entendre
les détails. D'après certains, il devait déjà s'estimer heureux qu'on ne le
pende pas après ce qu'il avait fait, alors qu'il se taise. Tout le village
était contre lui, ou ceux qui le croyaient innocent se fondaient dans la masse
pour être tranquilles. Ils avaient besoin d'un coupable. Il était vivant,
c'était bien assez comme preuve de sa culpabilité.
Pierre tenta de reconstruire sa vie,
d'aller de l'avant. Il fut embauché dans la nouvelle usine de textile. Aucun de
ses collègues ne lui adressait la parole s'il n'y avait pas d'obligation
professionnelle. Personne ne se proposa pour l'aider à reconstruire la maison
de ses parents. Il passait ses journées en solitaire, regrettant d'avoir réussi
à rentrer, de n'être pas resté avec les autres.
Simone fut la béquille qui l'empêcha
de flancher quand la douleur et la solitude le frappaient. Elle consacrait son
temps à chercher comment innocenter son mari, harcelait les autorités pour
avoir accès aux archives allemandes. La vérité allait éclater un jour, ce
n'était qu'une question de temps, il fallait être patient : la vérité se
sait toujours. Elle cachait à son mari ses moments de désespoirs et de doutes,
ne lui présentait qu'une figure forte et optimiste. Elle remerciait le hasard
qui n'avait pas permis qu'elle ait un enfant, un être innocent et fragile qui
aurait aussi subi la méchanceté de
l'être humain.
Les années passaient, le couple
restait soudé contre l'animosité de la communauté. Mais la vie quotidienne
devenait de plus en plus dure. Simone marchait ainsi jusqu'au village de ses
parents pour faire les courses, les commerçants n'acceptant plus de la servir.
Pierre avait de plus en plus de mal
à supporter la solitude et l'ostracisme dont il était victime. Un soir, fatigué
et à bout de nerfs, il cogna un voisin qui l'avait traité de collabo. Aussitôt
cinq autres hommes lui tombèrent dessus, heureux d'avoir enfin un prétexte pour
le passer à tabac. Simone le garda au lit pendant deux semaines.
À son retour à l'usine, les regards
pesaient lourd sur son dos. Il se sentit épuisé, vidé de toute volonté de se
battre encore et encore. Un matin, Simone le retrouva sans vie, pendant à une
poutre en chêne du salon.
Un jour, François vint voir la veuve
de son ancien ami. Il semblait perturbé et contrit.
« Ne me ferme pas la porte au
nez, Simone. Je sais que ton mari était innocent. J'ai trouvé la preuve. Je
viens de la découvrir. Laisse-moi t'expliquer. Laisse-moi entrer et allons nous
asseoir, s'il te plaît. Écoute-moi, s'il te plaît.
Tu te rappelles, déjà avant la
guerre, je faisais partie de mouvements communistes. Oui ça a un lien avec
Pierre, laisse-moi développer je t'en prie. Du coup, très vite après le début
de la guerre, j'ai filé des petits coups de main à droite à gauche pour les
prémisses de la résistance. Rien de bien méchant, ni de très risqué. Passer une
lettre par-ci par-là, dégonfler les vélos des Boches... Un jour, un soldat m'a
quand même arrêté. Il n'avait pas réellement de raison, il voulait surtout
affirmer son autorité et celle de son gouvernement. Montrer qui décidait à
présent. Évidemment je n'avais rien à leur dire, rien d'intéressant. Mais je
leur ai tenu tête avec insolence et ironie. J'étais jeune et bête, comme on
dit. Je ne me rendais pas compte de la réalité du danger que j'encourais alors.
Ils ont fini par me lâcher, déçus.
Et le coq que j'étais a pu parader plein de fierté. J'étais sorti vivant, et
sans trop d'égratignures, de chez les boches.
Enfin, je me suis quand même fait discret quelques temps pour ne pas compromettre
mes camarades, avant de m'engager totalement quelques mois plus tard. C'est moi
qui ais incité Pierre, Gilbert, Jean et André à nous joindre. Je savais qu'on
pouvait leur faire confiance, qu'ils étaient prêts à tout pour le pays.
Trois ans après l'incident, le même
boche que celui qui m'avait arrêté m'a croisé de nouveau. Il n'avait vraiment
pas apprécié mon air effronté, s'était souvenu de mon visage et m'avait
reconnu, malgré la moustache que je portais à présent. Il m'a pisté pendant des
semaines, le temps de tout découvrir sur notre maquis, d'apprendre quelles
étaient nos habitudes, nos planques, nos caches et qui étaient nos hommes.
Tu te demandes comment je sais tout.
J'ai lu tout cela dans les archives de la Gestapo auxquelles j'ai pu accéder
grâce à un ami. J'ai vu les rapports signés de cet Ernst Hartmann.
La matin où il les ont arrêtés
j'étais auprès de Jeanine, elle venait de mettre au monde notre premier fils,
Henri. J'ai échappé à la rafle par hasard. J'ai été l'instrument de la trahison
mais je m'en suis sorti, Simone. Je ne sais pas pourquoi j'y ai échappé même
après... Ils sont morts à cause de moi, je suis le traître. Et Pierre était
innocent. »
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