mardi 9 mai 2017

Mon ancienne vie

« J’ai une bonne nouvelle ».
Voilà. C’est tout. Juste quatre mots. Ce n’est pourtant pas grand-chose ! Il existe des phrases beaucoup plus longues dont la signification peut être beaucoup plus intéressante ! Pourtant, « J’ai une bonne nouvelle » peut avoir plusieurs sens cachés.
Pour moi, « la bonne nouvelle » n’en était pas une, bien au contraire. Elle a changé ma vie, d’une façon à laquelle je ne m’étais pas préparé.
Et je vais maintenant vous raconter comment.
****
Je m’appelle Hector. Je vivais depuis quatre ans dans une très belle maison, en compagnie des deux jeunes propriétaires : Jeanne et Eric.
Après leur mariage, ils avaient décidé d’acheter leur premier logement. Ils avaient d’abord hésité à s’installer dans un grand appartement à Lille, mais ils s’étaient finalement laissé tenter par une très belle maison dans la campagne Normande, où tous deux trouvèrent du travail très rapidement.
Jeanne enseignait à des étudiants perturbateurs l’art des lettres modernes, tandis qu’Eric était éducateur spécialisé pour des enfants atteints de handicaps physiques. L’un comme l’autre adoraient être au contact des enfants. Et après trois ans de vie commune, ils commencèrent à imaginer une vie où ils n’auraient plus seulement à s’occuper des enfants des autres.
C’est ainsi qu’au mois de juillet 2010, est née la très attendue petite Sophie. Elle n’était pas plus grosse qu’un ballon de baudruche, mais Jeanne et Eric la chérissaient comme s’il s’agissait de la huitième merveille du monde.
C’est à ce moment-là qu’ils décidèrent qu’il était temps de « changer de vie et de découvrir de nouveaux horizons ». Je n’ai pas compris tout de suite ce que cela voulait dire, et en quoi ce changement pouvait impacter ma vie. Et je le regrette aujourd’hui.
Eric est arrivé un jour en courant dans la cuisine, tenant à la main un papier qu’il serrait très fermement. Il criait à qui voulait bien l’entendre : « j’ai une bonne nouvelle, une très bonne nouvelle ! ».
« Est-ce que c’est…a demandé Jeanne en montrant le papier.
-          Oui ! »
C’est alors que Jeanne s’est mise à crier également, serrant son mari dans ses bras et exécutant avec lui quelques pas de danse au beau milieu de la cuisine. Moi, j’observais la scène depuis l’escalier. Je n’avais alors aucune idée de ce que pouvait bien être cette nouvelle. Mais j’avais comme un pressentiment.
Et ce pressentiment s’est vérifié dès la semaine suivante. Déjà, depuis que Sophie était née, Jeanne et Eric ne s’occupaient pratiquement plus de moi. J’étais devenu invisible à leurs yeux, et je devais parfois me débrouiller par moi-même pour trouver à manger.
Mais depuis que cette « bonne nouvelle » était apparue dans nos vies, tout s’était aggravé. Je passais parfois des nuits entières dehors sans que personne ne daigne venir m’ouvrir la porte. J’étais dans un tel état de solitude que je tombais très facilement malade. Mais cela ne changeait en rien leur comportement à mon égard.
Même Sophie ne me faisait plus rire. Et pourtant, Dieu seul sait à quel point j’adorais jouer avec elle lorsqu’elle est arrivée dans cette maison.
Un jour, alors que je rentrais de ma promenade quotidienne, je découvris la maison vide. Depuis quelques jours déjà, les cartons s’empilaient dans l’entrée, disparaissant petit à petit chaque jour sans que je sache où. Mais ce jour-là, plus rien. Plus de meubles, plus de tableaux, ni même de cartons. Tout avait disparu, ainsi que Jeanne, Eric et Sophie. Je ne savais pas quoi faire, ni que penser. Quand allaient-ils revenir ? Devais-je m’inquiéter qu’ils ne m’aient rien laissé avant de partir ?
Je m’assis alors sur le sol, pensif. Au bout de quelques heures, un bruit de clé dans la serrure se fit entendre. Je courus dans l’entrée, heureux qu’ils soient enfin rentrés. Mais lorsque la porte s’ouvrit, c’est une tête inconnue qui me fit face : un homme d’un certain âge qui me regarda avec incompréhension.
« Et bien, qu’est-ce que tu fais là toi ? Ils sont partis sans toi ? Je venais juste voir s’ils n’avaient rien oublié. »
L’homme entra dans la maison sans y être invité, et fit le tour de chaque pièce pour vérifier qu’il ne restait rien. Visiblement, le fait que je sois là ne constituait pas un « oubli » à ses yeux.
Au moment de repartir, il condamna mon accès personnel et m’obligea à sortir de la maison avant de refermer la porte.  
« Tu ne vas pas rester là tout seul quand même ! C’est sûr, c’est triste qu’ils soient partis sans toi, mais que veux-tu, c’est comme ça lorsque l’on est muté. Ils attendaient ça depuis si longtemps ! Les Alpes, ça a toujours été leur rêve, ils ne pensaient plus qu’à ça depuis quelques temps. »
Je ne comprenais pas. Qu’est-ce qu’une mutation ? Et où se trouvaient ces fameuses Alpes ? Peut-être pouvais-je les rejoindre ! S’ils me voyaient arriver dans leur nouvelle maison, peut-être me laisseraient-ils vivre de nouveau avec eux ? Ils auraient vu que je ne leur en voulais pas de m’avoir oublié.
Ce soir-là, l’homme me laissa dormir chez lui. Mais dès le lendemain, je fus mis à la porte. Visiblement, il considérait n’avoir aucun compte à me rendre, et plutôt que de m’aider, avait décidé de me laisser livré à moi-même.
Seul, sans abri, je n’avais alors qu’une solution : partir à la recherche de Jeanne, Eric et Sophie. Pendant des mois, je marchai en direction des Alpes, me fiant aux directions indiquées par des inconnus et guidé par mon instinct. J’ai bravé la pluie, la neige, et toutes sortes de mésaventures, dans le but de retrouver ceux que je chérissais tant.
Il m’est arrivé de pleurer, inconscient du temps qu’il me faudrait pour traverser cette épreuve. Mais jamais je n’ai abandonné. Leurs visages guidaient ma route.
Je ne leur en voulais pas, je savais qu’ils devaient avoir une bonne raison pour m’avoir laissé là-bas. Peut-être avaient-ils dû partir en urgence, et ne me trouvant nul part au moment du départ, avaient décidé de s’en aller, les larmes aux yeux, en se promettant de revenir me chercher dès que possible.
Je voulais leur éviter de se sentir coupable. Je voulais me jeter dans leurs bras, et leur montrer que je leur pardonnais tout, qu’on pouvait repartir de zéro en oubliant ce passage de nos vies qui n’avait pas été une réussite.
Cette idée me poussait à avancer toujours plus loin. Je voulais retrouver mon confort, mais pour cela, je savais que je devais souffrir avant. Souffrir de faim, de fatigue, de solitude.
Un jour, alors que je dormais tranquillement sous un pont, quelqu’un m’a attrapé. J’avais beau me débattre, je n’étais pas assez fort contre cette main qui me maintenait le cou. On m’a enfermé dans une voiture. Il faisait noir, je ne savais pas où on m’emmenait. Tout ce que je savais, c’est que j’avais peur. Vraiment peur.
****
« Et voilà comment je suis arrivé ici.
-          Et bien mon vieux, tu n’as pas eu une vie facile. Mais tu sais ici, d’autres ont eu encore moins de chance que toi. Tu vois Sylver là-bas ? Durant plus d’un an il a été battu chaque jour pour des raisons qu’il n’a jamais comprises. Et Ginger qui est là, a passé un mois entier enfermée dans un placard car elle a eu le malheur de casser un vase d’une grande rareté. Nous avons tous une histoire triste à raconter, moi y compris. Tout ce qui nous maintient en vie maintenant, c’est l’espoir d’être envoyés un jour dans une meilleure famille. Alors on attend, et on espère. Tiens en parlant de ça, c’est l’heure des visites. Fais-toi beau ! »
La porte s’ouvre, et une ribambelle d’enfants entrent en courant dans la pièce, suivis un peu plus loin par leurs parents. Les enfants s’arrêtent devant chaque cage, souriants et riants un peu plus à chaque nouvel animal qu’ils découvrent.
Une petite fille s’arrête devant la cage d’Hector. Elle le regarde longuement, un grand sourire sur les lèvres et les yeux pétillants.
« Oh maman maman, est-ce que je peux avoir ce petit chat ? Il est tellement mignon ! »
La maman s’approche et observe le chat roux qui se met à ronronner.
« C’est vrai qu’il est mignon. Quel âge a-t-il ?
-          5 ans madame. »
La femme se tourne vers sa petite fille.
« Tu n’en a pas vu un autre ? Il n’est pas tout jeune.
-          Non maman, c’est celui-là que je veux, j’en suis sûre !
-          Bon très bien. Alors c’est d’accord. »
La petite fille pousse un cri de joie et attrape avec délicatesse le petit chat qu’on lui tend. Elle passe plus d’un quart d’heure à le caresser et à jouer avec lui.
Hector se plait tellement avec cette petite fille qui prend soin de lui, qu’il a peur de se réveiller dans sa cage, et se rendre compte que tout ceci n’était qu’un rêve. Mais lorsqu’on le fait entrer dans un sac bien douillet, et que la petite fille le transporte à l’extérieur du bâtiment pour l’installer sur la plage arrière de la voiture, il doit se rendre à l’évidence : il a trouvé une nouvelle famille. Il espère simplement que sa nouvelle vie se terminera mieux que la précédente. Bien entendu, il n’a pas oublié Jeanne, Eric et Sophie. Mais depuis quelques temps déjà, il se demande s’il serait parvenu à les retrouver un jour. Et même dans ce cas-là, l’auraient-ils accepté ? Après-tout, peut-être l’avaient-ils laissé volontairement…

Alors que la voiture s’éloigne, il observe avec tristesse le panneau « Refuge de la forêt » accroché au-dessus de la porte du bâtiment qu’il vient de quitter. Il espère que ses camarades auront également la chance de pouvoir un jour profiter de la vraie liberté. Cette liberté qu’ils méritent tous tellement, mais que certains humains sont si enclins à vouloir leur enlever. 

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