L’escapade devait être de courte
durée. Tel était programmé le passage de cet inconnu rencontré lors d’un trajet
Paris – Londres.
Le samedi quatorze avril 2012,
j’avais bouclé mes cliques et mes claques, rempli du strict minimum mon sac de
voyage et sur un coup de tête, mon départ allait prendre l’allure d’ une belle
échappée. Je sortais de ma routine, j’explosais le miroir qui figeait toujours
l’image d’une femme raisonnée, organisée et prudente. Je savais qu’un nouveau
chapitre de mon quotidien allait être bousculé telle une boule de flipper et
qu’au bout de la partie, je gagnerai des nouvelles saveurs dans le
mille-feuille de la vie…
Top chrono, le train ne m’attendra
pas et je courre comme une marathonienne dans les couloirs du métro parisien.
Direction gare du Nord, pas de talons, des baskets pour marcher, presser le pas
et courir. J’arrive sur le quai, je me précipite dans l’Eurostar, essoufflée, la bouche pâteuse, je me pose
enfin à ma place en bousculant mon voisin pas très vivace, il est
9 h00, départ 9h04 arrivée 10h39,
je ferme momentanément les yeux et retrouve une respiration normale.
Bref face à face car je dois être
cramoisie par cette cavalcade effrénée. Je n’aime pas qu’on me dévisage à mon
insu quand je m’abandonne à la détente dans un espace où la proximité ne mets
pas de distance « sociale ». Un subterfuge, je sors le magazine que
j’ai pris au hasard dans le porte-journal avant de partir, la barrière est de
mise mais voilà qu’il fredonne une petite musique qui me rappelle ma jeunesse
et l’année de naissance de mon fils aîné.
Il gagne des points, j’adore le
morceau de l’album qu’il tente de chuchoter, j’ai dans la tête des flashs back
qui remontent à la surface. Un peu fausse la tentative, même avec les écouteurs
dans les oreilles !!! J’espère qu’il va s’arrêter car je ne me vois pas
faire tout le voyage en la compagnie d’un chanteur du dimanche, en l’occurrence
plutôt du samedi, pour massacrer
vocalement ce groupe anglais qui a bercé la fin de mes années 90.
J’ai déjà lu le magazine, pas de
chance, deux heures trente à regarder
les décors longeant les rails…
« Je rends visite à ma sœur,
installée depuis peu dans le quartier de Greenwich au sud de la Tamise, vous
connaissez ? ».
Mince, un bavard…Après tout, je ne
vais pas faire ma sauvage, sa conversation pourrait être plus inattendue que le
défilement linéaire du tableau qu’offre les fenêtres du train.
« Un peu. Je connais son parc
qui a une vue extraordinaire sur la Tamise, c’est l’endroit idéal pour faire
une pause entre deux visites touristiques. » Je me détends un peu,
finalement sa voix et son intonation sont assez
reposantes.
« Oui, un lieu spacieux,
assez calme, qui abrite un kiosque à musique et les bruyères sont magnifiques
du début de l’été jusqu’à la fin de l’automne. ».
« J’aime aussi les petits
coins paisibles dans les grandes agglomérations. Vous connaissez le jardin de
Bercy à Paris ? Je l’adore car on y cultive quelques pieds de vignes
symboliques. Il s’y trouvait d’anciens entrepôts vinicoles. J’habite en région
parisienne un joli village où il y avait un immense vignoble et ma maison a été
construite sur un ancien coteau ».
« Je vis de l’autre côté de la
Seine dans le treizième arrondissement depuis plus de vingt ans, je connais
bien Bercy Village et ses jardins ».
Nous sommes encore en France, son
téléphone sonne et là me vient un petit sourire, je plisse les yeux, cela me
rappelle le jour où je me suis retrouvée dans l’ascenseur de la Tour
Montparnasse où j’ai entendu exactement le même morceau « T’es si
mignon.... » Renée THE MOLE le rire s’élevait, incontrôlable… encore une
fois je vais éclater, craquer… Quel soulagement !!! Un rire nerveux, un
mélange de ricanement et d’étouffement pour finalement ressembler à un rire de
Diva.
« Je suis désolée, mais
c’était plus fort que moi, c’est inattendu le choc des cultures entre RENEE THE
MOLE et la MUSE anglaise ».
« Ah oui !!! Ma fille
adore et je sais que c’est elle qui m’appelle quand je l’entends. C’est très
bête et puérile !!! » Il pique un fard pour un quadragénaire c’est
étonnant…Tiens je deviens niaise, pas bon signe, je glousse telle une oie
blanche. Pfff !!! Allez arrêtes un peu d’acquiescer à ses moindres
paroles, ressaisies-toi.
Je l’observe, pas d’alliance, mains
bien entretenues, assez fines, à mon goût. Les mains des hommes sont
primordiales, les siennes me plaisent. Lui aussi, ses attitudes, sa gestuelle,
ses intonations et sa façon de parler posément, naturellement en rythme. Une
petite musique douce et affirmée à la fois, en accord avec son visage pas de
distorsion, pas de fausse note.
« Je suis presque partie sur
un coup de tête !! Hier matin je n’avais rien prévu pour mon
week-end et hop merci Internet, en trois clics
le tour était joué. »
« Vous êtes une femme
impulsive et aventureuse ! »
« Pas du tout, je suis tout le
contraire mais bref, je vais devoir courir pour me trouver un hôtel ou un B
& B pour ce soir…Une façon un peu « space » de visiter Londres,
j’irai à la centrale de réservation, ça ira plus vite. »
« Ma sœur a justement une
maison où il y a trois chambres d’hôtes je peux l’appeler et voir si une de ses
chambres est libre ? »
« Pourquoi pas, c’est très
aimable à vous, au fait je m’appelle Roxane et vous ? »
« Sylvain » . Il compose
le numéro, ses mains tremblent un peu.
« Calou ? C’est sylvain,
tu vas bien ? Je vais être rapide. Te reste-t-il une chambre à louer pour
ce soir ? Oui ! Ecoutes elle ne l’est plus, ma voisine de train
Roxane serait enchantée de te la louer. Le train n’a pas de retard, nous
arriverons vers 10h30 à la gare. A tout à l’heure. Moi aussi je
t’embrasse. »
« En plus pas de taxi à payer,
ma sœur s’est proposée de nous chercher. »
« Merci, c’est inattendue, je
suis ravie, c’est mon jour de chance ! »
Mais qu’est-ce qu’il t’arrive, toi
devenue si misanthrope et si sèche, la vie ne t’a pas fait de cadeau ces
dernières années et tu faiblis, tu flanches sur un inconnu ??? Chez le
coiffeur, tu détestes parler de la pluie et du beau temps et tu te laisses
aller à des conversations anodines et creuses ? Ok, j’essaie de me montrer
avenante, je n’en reviens pas de cette coïncidence, pas besoin de stresser pour
l’hébergement, je vais jouer au loto, c’est cool cette chambre qui « tombe
du ciel ».
Finalement, je suis restée une
semaine. Sept jours où j’ai découvert Londres à travers les yeux de Sylvain, je
me suis laissée guider, j’ai re-découvert l’appétit du Bonheur.
Paris - Londres , en solo,
Londres-Paris en duo. C’est pas mal pour une virée où à l’aller je voyageais
avec une valise « lourde » de papiers froissés. Pour le retour ma valise était
« allégée » de lettres
capitales.
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