Lundi 1er mars… Le
rire s’élevait, incontrôlable… « Encore ce maudit cauchemar » maugréa
Paul. Il se leva et se prépara un café. Assis sur son clic-clac défraîchi, le
breuvage lui réchauffa le cœur. Fixant attentivement sa table basse qui
emplissait l’espace de son studio de 20 m², il arracha avec rage une feuille de
son éphéméride tout en jetant un regard furtif sur sa montre. Celle-ci marquait
inlassablement la mesure insipide et désolante de sa vie. La sonnette
retentit.Surpris, il se redressa d’un bond et se dirigea vers la porte
d’entrée. Il entrebâilla la porte. Mercedes, la concierge de l’immeuble,
tout sourire, lui faisait les yeux doux… Un regard à vous transformer en
iceberg, se dit-il. Elle aimait voir ce jeune homme taciturne, d’allure
excentrique avec son chapeau et son long imperméable. Déçu par cette visite
impromptue, Paul abaissa son regard sur cette bouche en cœur enfouie dans les
plis de son double menton. Elle laissait échapper les effluves d’une haleine
bien anisée qui le répugnaient. Paul recula instinctivement. Elle s’empressa de
lui dire : « Bonjour M. Tipe, le
facteur a laissé à la loge l’avis de passage pour un recommandé. Vous
savez de quoi il s’agit, peut-être ? ». Paul la remercia. Elle
insista. Il la congédia sèchement et lui claqua la porte au nez. Frustrée,
Mercedes laissa échapper : « Quel
goujat celui-là. Monter 7 étages pour ce vaurien… ». « ça
ne m’étonnerait pas que ce soit un avis d’expulsion ! ». Paul rouvrit brusquement la porte. D’un
ton menaçant mêlé de mépris, il susurra : « Attendez, j’ai failli oublier… je vais vous donner le pourboire
que vous méritez ». Apeurée, Mercedes dévala les marches quatre à
quatre, un bruit de chute résonna dans la cage d’escalier tout comme un cri de
douleur. « Pas classe la
Mercedes » prononça-t-il d’une voix forte pour être sûr d’être entendu.
A ce moment précis, Christiana, sa sulfureuse voisine de palier, sortit de chez elle inquiète.
« Que se passe-t-il, M. Tipe ? ».
« Mercedes s’est prise
pour un bolide en descendant les escaliers, elle a probablement fait un vol
plané. Mais il ne faut pas s’inquiéter ses 100 kg lui ont probablement servi
d’airbag ». Puis il rentra chez lui sans état d’âme. Eberluée, Christiana se
précipita à la rencontre de Mercedes. Plus de peur que de mal. Paul n’avait pas
vraiment tort, elle était bien rembourrée et cette fois-ci ça l’avait bien servie.
Mercedes s’écria « Ah
ce pervers ! Il m’a fichu une peur bleue….! ».
Christiana prévenante l’accompagna
à l’hôpital pour s’assurer qu’elle allait bien. « Ce n’est pas un mauvais bougre, c’est juste un rustre, probablement
timide. Il ne doit pas savoir se conduire avec les femmes tout simplement ».Pleine
d’espoir, Mercedes laissa échapper « serait-ce
sa façon de me faire la cour ? ». Christiana la regarda mi- amusée mi- sceptique « peut-être ».
Mardi 2 mars…. Paul arpenta
nerveusement son studio, puis accola son sinistre visage contre la fenêtre. A
ce moment précis, il vit Mercedes s’appuyant au bras de Christiana, entrer dans l’immeuble en boitant. Quel duo,
la pie bavarde et la plantureuse Christiana, la jolie fêtarde collectionnant
les conquêtes masculines!Il appréhendait de se rendre à la Poste récupérer son
pli. Il ne voulait pas se retrouver face à elles.Mon recommandé attendra
demain, décida-t-il puis il sortit son canif de la poche de son veston et l’aiguisa tout en pensant à elles.
Mercredi 3 mars…. Des hurlements
réveillèrent en sursaut Christiana. Elle se leva et constata qu’ils venaient de
chez son voisin. Elle frappa à la porte. Les hurlements fusaient. « Ouvrez-moi M. Tipe, autrement
je vais devoir appeler la police » s’écria Christiana d’un ton inquiet. Les
hurlements firent place au silence. La porte s’ouvrit. Paul, le regard hagard, visage blafard, la
rassura. « J’ai fait un cauchemar. Cela m’arrive souvent. Merci
d’être intervenue ». Emue, Christiana lui proposa de boire un verre chez elle. Désorienté, Paul accepta. Elle l’avait souvent
entendu hurler mais pas à ce point. Elle voulait qu’il lui dise tout de ses
phobies. Paul passa la nuit chez Christiana.
Jeudi 4 mars….Christiana
regarda l’homme allongé à ses côtés. Aucune confidence, tout ça pour rien. Elle
avait honte. Elle fronça les sourcils puis ferma fortement les yeux. Paul
feignait de dormir, une nuit avec elle l’avait comblé. Elle l’effleura, se leva
discrètement puis partit travailler. Paul jeta un œil sur ce studio plus grand
que le sien et meublé avec soin. Il se leva, alluma la sono et écouta la
gymnopédie n°1 d’Erik Satie, cette musique, à elle seule, meublait tout l’espace. Deux accords de septième majeure suffisaient à le
plonger dans une béatitude qui assourdissait tous ses démons. Puis, il retourna
chez lui.
Vendredi 5 mars…. Il récupéra
sa lettre recommandée. Un sourire déplaisant planait sur son visage. Il vit Christiana
et Mercedes au bas de l’immeuble. Il leur fit un signe de la main. Mercedes n’en
revenait pas. Dix ans, pour qu’il daigne enfin la saluer ou bien s’adressait-il
uniquement à Christiana ? Une pointe de jalousie lui transperça le cœur en
voyant le regard de connivence de Paul et Christiana. Paul se sentait heureux
et amoureux.
Samedi 6 mars… Paul décida
de faire la grasse matinée. Il passa la journée à lire et relire le document
reçu la veille. Il avait réussi. Il fêta l’évènement en tête à tête avec Christiana.
Dimanche 7 mars… Il hurla
dans la nuit. Christiana le rassura. Elle lui demanda des explications mais
Paul refusa de se confier.
Dix mois passèrent… Hurlements
spasmodiques… Christiana se leva pour intervenir. « Paul, ouvre-moi la porte ». Le visage blême, il se
précipita dans ses bras.« Dis-moi, Paul, parle-moi
de tes cauchemars… Dis-moi tout… Et je te dirai Oui », lui
murmura à l’oreille Christiana. Paul resta dubitatif puis la fit rentrer chez
lui pour la première fois.Elle jeta un regard inquiet autour d’elle, le studio
lui paraissait spartiate. A maintes reprises, il l’avait en vain demandée en
mariage mais ne l’avait jamais invitée chez lui. Reprenant son courage à deux
mains, elle réitéra sa demande. « Dis-moi
tout pour un Oui.Mariage contre confession ».Abasourdi et grisé à la
fois, Paul accepta de tout lui dire.
« Mon cauchemar c’est Jako, un gris du Gabon et mes rêves d’acteur.
Dans mes cauchemars, mon animal de compagnie me regarde fixement. Je m’approche
pour le toucher, il me donne un coup de bec… j’ouvre la bouche pour lui parler.
Mais aucun son ne sort. Le perroquet se pose aussitôt sur mon épaule et me
souffle à l’oreille « Pauvre type ». Le lendemain, je suis auditionné
pour un rôle d’acteur. Mais aucun son ne sort. On me demande de partir. Je veux
protester, je veux retenter ma chance mais personne ne fait plus attention à
moi. Je me lève, remets mon pardessus et pars. Personne ne s’en aperçoit. Je rentre chez moi mais personne ne m’attend
excepté Jako, mon compagnon à plumes. ll me regarde dans le miroir, Jako se met
sur mon épaule et me chuchote à l’oreille le leitmotiv habituel « Pauvre
Type ». Je m’allonge, songe à tout ce que j’avais voulu exprimer lors de
mon audition, fait des tirades sans fin puis fatigué, échoue dans les bras de
Morphée. Demain,je parlerai. Le lendemain, nouvelle audition. J’ouvre la
bouche. Un son à peine audible « Ah » sort de mon gosier. J’en suis
surpris. C’est la seule chose que je parvins à dire ce jour-là. Les mois
passent,enfin ultime audition… J’ouvre la bouche, prononce d’une voix
tonitruante « Bonjour Mesdames et Messieurs. Vous avez devant vous,
Monsieur Pauvre TYPE euh excusez-moi pour ce lapsus Paul Tipe ». Les rires
fusent. Je souris. Enfin, les gens réagissent, je ne suis pas passé inaperçu,
on me remarque. Je suis même applaudi. Je rentre chez moi. Heureux. Je me
regarde dans le miroir, Jako se met sur mon épaule et ne dit mot. Normal, je
lui ai scotché le bec. Je m’allonge sur mon lit, je réalise que je n’ai
toujours pas décroché de rôle et le désespoir m’assaille. Jehurle. Je me sens
seul et incompris comme un pauvre type. Voilà tu sais tout Christiana. La seule
chose que j’ai obtenue dans ma vie est le diplôme reçu en recommandé dix mois
auparavant, celui de maitre de cérémonie funéraire ».
Christiana n’en croyait pas
ses oreilles. Dix mois auparavant, elle fêtait avec lui son diplôme de
chirurgien en réparation plastique. Embarrassé, Paul prétexta que c’était plus
ou moins le même travail. Il était thanatopracteur, expert en maquillage et
embaumement de cadavres. Christiana en pleurait de rire. Depuis dix mois, elle
faisait l’amour à un croque-mort. Hoquetant, elle parvint à lui
dire : « Je ne peux rien
pour toi, je ne suis pas producteur de films mais je découvre que tu as un
métier formidable. Hilare, elle ajouta
« Tout compte fait, tu devrais te mettre en ménage avec Mercedes.
Croque-mort en Mercedes, ça fait chic ».
Paul la regarda ébranlé par
ses moqueries. Dans ses yeux, il n’y avait pas d’amour. C’est vrai qu’il avait
menti sur son diplôme mais il l’aimait sincèrement. Croque-mort, c’est un
métier qu’on ne crie pas sur tous les toits. Elle aurait dû le comprendre, le
soutenir et non le ridiculiser.
La colère l’envahit. Christiana
et Jako ne faisaient plus qu’un.Ses rires incontrôlables l’exaspéraient.
Il se leva, fouilla dans sa poche de son veston puis
s’approcha du visage rayonnant de Christiana. A l’oreille, il lui souffla d’un
ton lugubre : « A ton tour de me faire confiance.Laisse-moi te rendre
plus belle pour notre mariage. Sois rassurée, j’ai obtenu mon diplôme avec
mention très bien».Il se précipita
sur Christiana et enfonça son canif bien aiguisé dans sa poitrine charnue… au
même moment, un Gris du Gabon s’échappait de son studio.
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