Ressentant un grand inconfort sur son
cheval, Élisabeth-Charlotte de Bavière, duchesse d’Orléans dite Liselotte voulait
rajuster sa jupe. Elle s’arrêta un moment pour y remédier et c’est à cet
instant précis qu’un lièvre détala à toute vitesse créant un mouvement dans
toute la compagnie. Alors qu’elle n’était pas remise correctement en selle, le
cheval de Liselotte voulut suivre ses compagnons. Lorsqu’un cavalier tenta de
s’approcher pour lui apporter son aide, cela ne fit qu’effrayer l’animal. Sa
cavalière penchée sur un des côtés de la selle ne tenait plus que par la force
de ses bras accrochés au pommeau et par un pied sur l’étrier. Quand son cheval
se retrouva un peu à l’écart, la duchesse se laissa choir sur la pelouse. A
peine fut elle tombée à terre que la violence de la chute fit perdre ses moyens
à Sa Majesté. Devenu tout à coup livide, l’astre céleste avait sérieusement
pâli perdant alors de sa splendeur. Son visage maculé par la peur laissait
entrevoir un tout autre aspect de sa personne. Le Roi-Soleil se précipita
auprès d’elle pour s’assurer qu’elle n’était pas blessée gravement. Il l’accompagna
lui-même jusqu’à sa chambre et veilla sur elle jusqu’à ce qu’il soit pleinement
rassuré sur son état.
Depuis que Liselotte était à la Cour,
après son mariage avec Monsieur, duc d’Orléans, frère de Louis XIV, elle
manquait rarement une partie de chasse avec le Roi, ce dernier ayant d’ailleurs
redoublé d’assiduité en la matière depuis qu’elle était là. Ces moments
privilégiés entre beau-frère et belle-sœur ne manquaient pas d’alimenter des
rumeurs grandissantes sur une éventuelle liaison. La froideur de ses rapports
avec son époux n’encourageait pas la Palatine à faire des compromis pour tenter
de plaire à Monsieur. Elle préférait à n’en pas douter la compagnie du Roi.
Bien peu de femmes avaient pu résister
au charme de Louis XIV, pas même la robuste et solide Liselotte qui lui vouait
une admiration sans failles. Jamais la duchesse d’Orléans ne s’était permis
d’engager une quelconque entreprise de séduction auprès de Louis le Grand. Elle
avait trop de considération pour la reine Marie-Thérèse et trop de respect pour
les valeurs morales telles que l’honnêteté et la droiture.
Si les sentiments de la Palatine pour
son illustre beau-frère faisaient peu de doute, il n’en était pas de même pour
ceux du Roi. Cet accident de chasse en apparence anodin, bien qu’ayant provoqué
une grande frayeur chez beaucoup de courtisans, semble pouvoir dissiper les dernières
incertitudes qui subsistaient sur l’existence ou non d’une affection de Louis-Dieudonné
pour Élisabeth-Charlotte de Bavière allant au-delà des conventions. Son
indulgence dont il faisait preuve envers sa belle-sœur était également
suffisamment éloquente. Après tout, l’abondante correspondance de cette
dernière ne passait-elle pas entre les mains du Roi ? Quand on connait la
liberté d’expression dont elle faisait preuve, il était bien étonnant que Louis
le Grand ne lui en tienne pas rigueur.
Cette rumeur ne l’inquiétait pas outre mesure,
la Palatine n’en avait que faire de l’hypocrisie ambiante et du pullulement de
tous les racontars possibles et inimaginables à la Cour. Ce sport mondain était
de loin celui que Liselotte exécrait le plus et rien de tel ne pouvait
l’affecter, il n’en était pas de même pour le Roi. Aussi gardait-il les
distances convenables au plus grand malheur de sa belle-sœur, même s’il appréciait
son franc-parler et son humour. Certes elle se contentait largement de ces
retrouvailles tant à la messe qu’à la chasse, mais la présence de Madame de
Maintenon, la « vieille » comme aimait à la surnommer Liselotte, lui
était insupportable. Elle avait un profond respect pour la reine et la liaison
entretenue par Louis XIV avec cette parvenue lui donnait de l’eczéma. De son côté
Madame de Maintenon ne pouvait souffrir Liselotte à cause de sa complicité
privilégiée qu’elle entretenait avec le Roi. Elle fit tout son possible pour
détruire cette relation à maintes reprises et par bien des manières mais sans
jamais vraiment y parvenir. Son arme favorite : la délation.
Quel ne fut pas le désarroi de la
princesse Palatine quand peu de temps après le décès de la reine Marie-Thérèse,
la « vieille » parvint à se faire épouser du Roi-Soleil, secret de
polichinelle que le Roi essayait vainement de garder. Le doute planait toujours
aux yeux de la duchesse d’Orléans. Il n’a été question que d’administrer des
saignées à la reine alors que percer l’abcès dont elle souffrait fut plus
salutaire et ce contre l’avis du chirurgien. Ce dernier n’exécuta ces saignées
qu’à contre cœur sachant pertinemment que cela ne ferait que précipiter la mort
de la reine. Liselotte elle-même fut victime d’un tel abcès et refusa les bons
conseils insistants du même médecin ayant ordonné les saignées de la reine, Fagon.
Une fois l’abcès ouvert, elle s’était parfaitement remise de cette affection.
Elle ne manqua pas d’ailleurs de faire part de sa façon de penser à Fagon en
présence du Roi, ce dernier ayant eu peur une nouvelle fois pour la santé de sa
belle-sœur.
Élisabeth-Charlotte de Bavière, duchesse
d’Orléans, belle-sœur de Louis XIV et mère du régent compta parmi les rares
femmes qui réussit à toucher véritablement le cœur du Roi-Soleil plus qu’il
n’aurait voulu l’avouer. Affection profonde et sincère, relation d’autant plus
sincère que platonique, un lien indéfectible qui les a uni de nombreuses années. Les derniers mots de Louis XIV pour
sa belle-sœur en témoignent : « On a fait tout ce qu’on a pu pour que
je vous haïsse, Madame ; mais ils n’ont pas réussi [ajoutant qu’il]
l’avait bien trop connue, pour ajouter foi à ces calomnies. »
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