Ted se rendit d'urgence au
restaurant « Le Bout du Monde » pour parler d'un sujet d'une
importance capitale : le choix du cadeau d'anniversaire de Claude. Tous
les plans qu'il avait échafaudés avec ses amis Yolande et Zacharie pour lui
organiser une fête-surprise, s'écroulèrent par l'affectation inattendue à
l’autre bout de la France et à effet quasi-immédiat de leur ami, manager pour
une des plus grosses multinationales de la planète. Claude ne serait donc plus
là avec eux le jour J. « Convocation - réunion de crise pour annif – Bout
du Monde 19h00 », lui avait envoyé Yolande par mini-message. Ted trouva
non sans mal une place de stationnement, décida de braver la loi et de ne pas
mettre d'argent dans l'horodateur - il avait de temps en temps son côté Mister
Hyde qui se réveillait - et se dirigea vers le restaurant. Il entra et chercha
du regard ses amis. Zacharie lui fit de grands signes car ils y étaient
attablés tout au fond de la salle.
-
Ted, on est là ! s'écria Yolande
-
Salut, je ne vous avais pas vus !
- On a
remarqué, dit Zacharie en riant.
- J'ai cru
que tu ne viendrais plus.
- Entre les
travaux sur l'autoroute et trouver une place de parking, j'ai perdu beaucoup de
temps.
- Pas grave. L'essentiel, c'est
que tu sois là.
- On t'a
commandé une bière, dit Zacharie.
- Merci,
c'est gentil.
Etienne le
serveur du restaurant lui apporta la boisson et Ted régla immédiatement
cherchant à se débarrasser au plus vite de la petite ferraille qui encombrait
son porte-monnaie.
- Vous avez trouvé une idée en
attendant ? demanda Ted.
- Pas vraiment !
Ted ouvrit son sac à dos pour en
sortir plusieurs magazines féminins.
Zacharie le taquina lui demandant s'il ne
s'était pas trompé de revues; il le voyait plutôt dans le style voitures,
sport, et jeunes filles en bikini.
- Je lis tout ce que j'ai sous
la main. Tu ne sais jamais d'où peut venir l'inspiration ou la bonne
trouvaille.
- Bien dit ! répondit
fièrement Yolande.
Ils commencèrent à feuilleter
les magazines.
- Une eau de toilette ?
- C'est délicat. Il y a des
personnes qui sont plus ou moins sensibles aux
parfums.
-
Sais-tu s'il préfère les fragrances boisées ou plutôt fruitées ?
- Tu as raison ! dit
Zacharie. On pourrait se tromper.
Yolande posa le doigt sur une
page : « Regardez ici ! ».
Il y avait tout un article sur
le mari d'une star de la chanson américaine qui
avait loué un parc d'attraction une journée
entière pour l'anniversaire de sa dulcinée. Ted souligna qu'effectivement ce
cadeau-là semblait très original mais qu'aucun d'entre eux n'avait les moyens
d'offrir une telle folie même s'ils aimaient beaucoup Claude et mettaient
toutes leurs économies en commun.
-
Il est énervant Claude ! Il peut tout s’offrir avec son salaire. Qu'est-ce
qui pourrait bien lui faire plaisir ?
- Parfois, je l’envie, avoua
Ted. J'aimerais bien être comme lui juste pour voir ce que ça fait que d'être
un sybarite.
- Un quoi ?, demanda
Zacharie.
Ted le regarda avec des yeux
remplis de malice.
- D’accord, soupira Zacharie. Je
sais ce que tu vas me dire. Regarde dans un dictionnaire.
Yolande vint à la rescousse de
son chéri : « Laisse, je te prête mon Iphone ».
Alors que Zacharie pianotait sur l'écran
tactile pour découvrir la signification du mot Yolande et Ted continuèrent à
feuilleter les magazines et cornèrent plusieurs pages.
- Super ! s'écria Zacharie.
J'ai appris quelque chose aujourd'hui. Je le placerai ce mot, à la prochaine
occasion.
- Et si on lui offrait un
massage bien-être ?
- Sympathique mais très
pratique. Pour un cadeau pareil, il faudrait être sur place.
- Bien, on oublie.
- Il nous reste les
grands classiques : livre, CD, DVD ou bouteille.
- Oui, mais c'est
vraiment pas original !
- J'ai rien de mieux à proposer.
- Qu'est-ce qu'on fait ?
Ted feuilleta sans trouver. De
guerre lasse, il ferma le magazine.
- Peut-être un bon d'achat,
annonça Zacharie.
- Pas de risque de se tromper,
ajouta Yolande.
- D'accord, je me charge de
tout, répondit Ted. Je vais voir avec la billetterie de ma boîte et je vous
tiens au courant.
Ils finirent leurs verres et
quittèrent le restaurant. Ils se séparèrent devant la voiture de Ted dont le pare-brise
ne portait pas de papillon.
Malgré le demi-échec de cette
réunion, Ted n'aimait pas s'avouer vaincu. Son imagination trouverait quelque
chose de mieux qui puisse marquer le coup ; c'était quand même
l'anniversaire de leur ami, bon sang. Ça s'agitait en tous sens dans sa tête,
il en jaillirait bien une étincelle. Il gara sa voiture, passa prendre le
courrier et commença à en faire le tri. Entre les factures, une carte postale
du pays basque de Bastien et des prospectus publicitaires, il eut le plaisir
d’apprendre qu'il avait gagné un bon d'achat dans une bijouterie. Et si...
***
Le lendemain, armé de son
GPS, Ted quitta son travail sous un beau soleil de printemps et décida de se
rendre dans cet hypermarché de la bijouterie. Il jeta quand même un oeil sur le
plan-papier qu'il avait imprimé : il arrivait parfois à son GPS d’être un peu
farfelu, lui indiquant des chemins qui n'existaient pas et autres subtilités du
genre. Dans ces cas-là, Ted le surnommait Lulu allez savoir pourquoi ?
Pour l'instant, le spectre de
Lulu se tenait coi et Ted écoutait aveuglement les directives annoncées : -
virage imminent, tournez à droite, au rond point 3ème sortie. Sauf qu'il n'y
avait pas de 3ème sortie. Lulu venait de faire un retour fracassant et
s'évertuait à répéter en boucle : « vous êtes arrivé, vous êtes
arrivé ». Effectivement Ted était bien arrivé, mais devant un restaurant
chinois et non la bijouterie demandée. Il tourna une bonne dizaine de minutes
dans la zone pour trouver le magasin puis il se gara et entra, tout émoustillé,
prêt à faire son achat.
Comme il pouvait s’y attendre,
la majorité de la clientèle était constituée du beau sexe et les quelques
hommes - on pouvait les compter sur les doigts d’une main – accompagnés de leur
femme, semblaient perdus et n’avoir qu’une hâte, celle de s’échapper au plus
vite de cet enfer commercial.
Ted
se lança courageusement dans les longues allées à la recherche du cadeau :
le must et rien d’autre ! Après être passé au stand montres et bagues, il
se trouva au rayon or, le dépassa rapidement, car une dépense ici n’était pas
envisageable pour son budget, il fallait l’admettre. Arrivé au rayon argent, il
put regarder à loisir les bijoux exposés. Presque tout de suite, une jolie
chaîne trouva grâce à ses yeux sans hésitation : couleur, longueur,
maillage, tout était parfait.
- C’est à qui ? demanda la
conseillère de vente.
Se sentant l’âme galante, Ted
s’effaça pour laisser son tour à la dame arrivée bien après lui. Erreur fatale.
Elle commença à essayer une,
deux puis dix paires de boucles d’oreilles tandis que le sourire de Ted fondait
comme neige au soleil et qu’elle continuait sans vergogne à essayer encore
quantités d’autres modèles. Toutes les autres conseillères étaient occupées.
La radio diffusait un vieux tube
d’ABBA « Take a chance, take a chance… » et Ted se surprit à penser
que lui aussi allait finir par « prendre une chance » comme on dit au
Québec, et étrangler la cliente avec ses foutues boucles d’oreilles. Mais il se
reprit rapidement. Il faisait beau, il avait trouvé une idée originale comme
cadeau, il n’avait pas d’obligation de la soirée, alors pourquoi s’énerver. Il
décida de s’improviser cinquième membre du groupe ABBA et chantonna dans son
coin la suite de la chanson. Il jeta à nouveau un coup d’œil à la vitrine
contenant les chaînes. Il avait peut-être choisi un peu vite ce modèle sous le coup de l’émotion.
Il se prit à observer attentivement les maillages et les différents éclats
d’argent quand la dame attaqua l’essai des boucles de la troisième vitrine.
À la radio, on venait de quitter
la pop suédoise pour du disco. Ted fredonna « You make me feel
miiiiiiiiiiiiiiiighty real… » qu’il s’amusa à traduire en français par “Tu
me fais ressentir, un truc à faire rougiiiiiiiiiiiiiiiir”. Il savait pertinemment
que c’était faux mais cela lui plaisait et lui passait le temps.
Un couple l’arracha à sa
fantaisie et lui demanda son avis sincère sur un collier que le mari désirait
offrir à sa femme, à qui il ne plaisait pas vraiment.
- Madame, ce collier est atroce
sur vous.
- Merci, jeune homme. Je le
savais, voilà dix minutes que j’essaie d’en persuader mon mari.
- L’intuition féminine sans
doute, souffla de manière assassine la vendeuse se tournant vers Ted. Elle
venait de voir s’envoler une commission des plus juteuse. Le couple s’absorba
dans le choix d’autres modèles moins onéreux et bien plus jolis.
Ted
ne s’en préoccupa plus et contempla à nouveau sa vitrine. Le disco laissa place
à un des nombreux succès de Madonna. Et Ted ne pouvant rien faire d’autre, partit
une nouvelle fois dans l’univers de la chanson. Oh oui ! Comme il voudrait
être sur la « Isla Bonita là où le soleil réchauffe le ciel » et
pas ici, où l’autre cruche faisait toujours sa valse-hésitation entre les 150
modèles en exposition à son grand désespoir et celui de la pauvre vendeuse
prête à lui faire sauter le caisson.
Quand elle partit enfin avec son
tout premier choix, la conseillère prit une grande respiration pour se redonner
du courage et pria la personne suivante.
- C’est à moi. Bonjour Madame.
- Bonjour Monsieur. Que puis-je
pour vous ?
Ted désigna du doigt la
chaînette pour homme qu’il avait choisie dans la vitrine et admirée depuis
presque une heure.
- Vous auriez dû me dire que
vous aviez déjà choisi. J’aurais compris, dit-elle.
Ted sourit et lui demanda son
avis bien qu’il fût sûr de son choix.
- Regardez, elle est de la même
longueur que le collier que je porte, dit la vendeuse. Comme ça, vous voyez
mieux.
- La longueur est parfaite, dit
Ted.
- Je suppose que c’est pour un
cadeau.
Et là, Ted eut une idée.
- Oui ! Nous sommes à
plusieurs. J’offre la chaînette et mes amis ajouteront une montre ou un
médaillon. Vous avez des pendentifs astrologiques ?
- Oui, bien sûr je vais vous les
montrer, ils sont par ici.
Ted regarda les différents signes
du zodiaque.
- Il nous faudra celle du signe
du sagittaire.
- Il y a plusieurs modèles. On
va les essayer avec la chaîne.
Le premier pendentif était trop
petit, le suivant trop clinquant quant au dernier, Ted refusa catégoriquement,
le modèle était trop gros.
- Avec ce médaillon, ça ferait
« grosse vache ».
Ils partirent dans un éclat de
rire.
- Je cherche quelque chose qui
fasse plutôt « cabri » si vous voyez ce que je veux dire.
- Je comprends. En tout cas,
votre choix pour la chaîne est très classe et discret.
- La personne est très spéciale
donc le cadeau doit l’être aussi. Mes
amis viendront pour le complément.
La vendeuse explosa de rire et
n’arrivait plus à se contenir. Elle essaya de s’excuser.
- Je suis désolée, c’est la
fatigue. Je vous jure que c’est nerveux.
Ted vit bien qu’elle était
sincère et joua le jeu en riant de bon cœur lui aussi. Malgré tout, il reprit
contenance et sortit le bon de réduction de son portefeuille.
- Ah, vous avez gagné un
coupon ?
- Oui, c’est pour cela que je suis
venu dans votre magasin. Sinon je n’y aurai pas pensé.
- Quel est le nom de votre
société ?
- J2F !
- Comment ?
- J comme la lettre J, 2 comme
le chiffre 2 et F comme la lettre F
- Je ne trouve pas, dit-elle en
pianotant sur le clavier de l’ordinateur.
- J comme Jean 2 comme 1+1 et F
comme François.
- Ted vit les différentes
sociétés affiliées à la bijouterie qui défilaient sur l’écran mais la sienne
n’apparaissait pas.
- Ce sera encore long ?
La vendeuse continuait à taper
encore et encore sur l’écran mais il était arrivé au bout de sa patience.
- Écoutez, on oublie le bon, je
paie et c’est réglé.
- Non, vous avez doit à une
réduction mais elle n’est acceptée que si la machine trouve le nom de votre
société.
- Dites, je ne l’ai pas inventé
ce bon. Je l’ai eu dans ma boîte aux lettres, donc j’existe et ma société
également.
- Regardez avec moi les noms des
sociétés.
Ted vit Jagrège,
Jorangebusinessservice, Jalcatel, Jorthoclinical et la liste était encore
longue.
- Mais ce n’est pas possible
Madame. Ma société est située à cinq
kilomètres d’ici. Nous sommes la seule entreprise du coin ouverte jour et nuit
24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Je veux payer et partir. Vous êtes très
sympathique mais là, ça fait plus d’une heure que je suis dans le magasin et ça
commence à faire long.
- Là, j’ai trouvé ! Ils ont
écrit le chiffre 2 en lettres. Voilà pourquoi vous n’apparaissiez pas.
Ted ne put se retenir et entonna
le Messie d’Haendel : ALLELUIA, ALLELUIA…
- Il me faut vos coordonnées.
- Elles sont écrites là sur le
bon. Vous n’avez plus qu’à les retranscrire.
- C’est fait, et maintenant je
passe votre coupon de réduction au scan de la caisse.
Au bout de la troisième
tentative, le bip de confirmation de la lecture optique du code-barre ne se fit
toujours pas entendre, la vendeuse rouge de confusion se tourna vers Ted et ils
partirent d’un éclat de rire qui se fit entendre dans l’immense magasin. Le
rire s'élevait, incontrôlable... Le responsable s’approcha. Ted lui fit signe
que tout allait bien, la vendeuse n’y pouvait rien.
- Ne vous inquiétez, aucun
problème.
- Monsieur est un gentleman, dit
la conseillère la voix entrecoupée de rires. On va y arriver.
Elle scanna encore une bonne
dizaine de fois avant d’entendre le bip salvateur. Ted pardonna à la machine
récalcitrante et put enfin payer.
- Vous voulez un paquet-cadeau
et un petit sac pour aller avec, je suppose ?
- Bien sûr. Franchement je le
mérite.
Elle ouvrit un tiroir et regarda
Ted, désespérée : Je viens de donner le dernier à la dame aux boucles
d’oreilles !
Et elle repartit dans un
fou-rire nerveux.
- Je vais aller demander à ma
collègue s’il lui en reste. Si seulement tous les clients pouvaient être aussi
compréhensifs que vous
- Laissez, je m’en vais, dit-il
exténué. Je prends le paquet comme ça, juste la petite boîte rouge et c’est
tout.
- Merci, Monsieur.
- Je vous en prie.
- Bon, il me faut une pause. Je
vous assure qu’en vingt ans de carrière, une situation pareille ne m’était
jamais arrivée. Pardon pour le tracas. Revenez quand vous voulez. Je m’occuperai personnellement de vous.
- J’y compte bien !
Et ils repartirent tous deux
dans un fou-rire. Ted sortit enfin du magasin sous les yeux étonnés des
clients, des autres vendeuses et du responsable qui ne comprenaient rien à ce
joyeux délire.
Ted entra dans sa voiture, mit
le contact quand Lulu lui annonça fièrement « vous êtes arrivé, vous êtes
arrivé ». Ted, à bout de nerfs, déconnecta le GPS.
***
Arrivé chez lui, il avertit
Yolande et Zacharie de sa trouvaille et leur adressa un courriel explicatif.
Objet : eureka
|
Salut,
J’ai trouvé une super idée de cadeau. J’ai
acheté une chaînette en argent. L’un de vous pourrait ajouter un médaillon astrologique
(Claude est du signe du sagittaire) et l’autre une gourmette ou une montre.
Je vous mets en pièce jointe la photo de la petite chaîne afin que vous
puissiez assortir le tout.
A +
Ted
|
Il regarda le calendrier :
s’il envoyait la petite boîte rouge demain, elle arriverait mardi, donc deux
jours avant la date exacte. Il ne voulut pas prendre de risque et mit un petit
mot pour accompagner le colis « Tu as le choix - soit tu es un enfant et tu
craques – soit, mais alors vraiment par hasard, tu l’ouvres jeudi. Prends soin
de toi en ce jour. Ted ».
Il essayait d’imaginer la tête
que ferait Claude quand il ouvrirait le paquet. Il aurait payé cher pour vivre
cet instant. Ni Yolande, ni Zacharie ne répondirent à son courriel ce qui le
surprit.
***
Le jour J, Ted reçut un
mini-message sur son cellulaire : « Ai attendu jusqu’à aujourd’hui
pour ouvrir la boîte rouge. Suis au bord des larmes. Merci ».
Il ne pensait pas avoir frappé
si fort et il en était plus que satisfait. Il se connecta à sa boîte
électronique. Claude avait envoyé un courriel dont l’objet attisa sa
curiosité : Il s’intitulait « Cadeaux de mes amis ». Ted se demanda ce que Yolande et Zacharie
avaient bien pu choisir et offrir comme compléments de cadeau ; un
médaillon, une gourmette…
Quand Ted vit apparaître
l’image, il resta sans voix. Ils avaient frappés très forts dans l’originalité.
Il voyait sur l’écran…une bouteille de vin et un livre.
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