J’ai toujours su au fond de moi que
je n’étais pas une jeune femme comme les autres. Il m’est difficile d’expliquer
ce ressentiment. Une chose est sur, c’est que j’ai reçu à ma naissance un
odorat bien supérieur à la moyenne. Je
suis capable de suivre une personne en me laissant guider uniquement par mon
instinct olfactif. Je me suis rendue compte de cette capacité pendant mon
enfance…j’étais imbattable durant nos parties de cache cache.
Je sais que je ne tiens pas ce don de ma mère, avec ses allergies, elle est tout
le temps enrhumée. Peut-être de mon père….je ne l’ai jamais connu, il est mort
avant ma naissance et ma mère me parle peu de lui. C’est comme qui dirait un
sujet tabou dans la famille. Mais maintenant j’en connais la raison. Il faut
avoir l’esprit ouvert pour croire mon histoire, car elle n’est pas banale, elle
peut même faire peur car elle touche en nos croyances.
Tout à commencer par une simple
rumeur. Les gens de mon village racontaient qu’il y avait un loup énorme de la
taille d’un ours qui rôdait près des habitations. Il était rapide comme l’éclair.
La seule trace de sa présence était les cadavres d’animaux sauvages et
domestiques que l’on pouvait trouver parfois au petit matin. Le plus étrange
dans cette histoire, c’est qu’il ne laissait aucune empreinte. Ses proies
étaient comme vidées de leur sang et cet animal attaquait toujours à la
jugulaire….Plus personne n’osait sortir le soir. Sauf ma mère, cette rumeur ne
l’inquiétait pas. Elle n’avait rien changé à ses habitudes. Quand nos voisins
lui parlaient des derniers massacres de la bête, un sourire narquois se formait
sur son visage. Elle écoutait s’en jamais faire aucun commentaire. Je trouvais
son attitude très bizarre. Il faut savoir que ma mère est plutôt de nature très
sociable, et je dirai même bavarde. Mais sur ce sujet, elle restait sans voix
et elle me regardait d’une façon étrange, comme-ci elle voulait me faire
comprendre quelque chose. Si j’ai la chance d’avoir un super odorat, question
intuition, sixième sens, je suis une vraie calamité.
Les jours passaient rythmés par le
train train quotidien. Depuis plusieurs semaines, la bête n’avait fait aucun
massacre. Tout le monde commençait à penser qu’elle était partie ou bien
qu’elle était morte. J’aurai pu partager leur enthousiasme si je ne l’avais
aperçu un soir en sortant les poubelles. Je me suis bien gardée de rapporter ce
que j’avais vu, car je n’en étais pas très sur moi-même. Tout était allé si
vite. Par contre, je peux affirmer qu’il ne s’agissait pas d’un loup. La bête
s’est sauvée en sautant dans le feuillage d’un arbre. Elle a une agilité et une
rapidité exceptionnelle. J’en suis restée clouée sur place. Mais je ne suis pas
une femme pour rien. La curiosité a été la plus forte, et je me suis approchée
de l’endroit où je l’avais aperçu. J’ai immédiatement capté les effluves
de la bête. Cette odeur m’était familière mais je ne me rappelais plus où
j’avais bien pu la sentir. Bizarre que l’odeur de la bête réveille des émotions
en moi. Je ne saurais décrire ce parfum…..une odeur de terre, de foin, de grand
air, de grand ciel. La bête émanait une
odeur de champ. Je m’attendais plutôt à sentir une senteur de puissance, de
bouc.
Ce soir là, la bête hanta mes
rêves. Elle m’apparaissait sous la forme d’un centaure, mi homme mi bête. Son
regard avait quelque chose de très captivant….deux grosses billes rouges
qui fixaient tristement la lune pleine.
Je me trouvais tout près d’elle, cachée dernière un énorme chêne. Je pouvais
sentir très nettement son odeur des champs. J’essayais de m’approcher pour voir
son visage, mais les reflets de la lune rendaient les contours de son visage
flou et la bête s’évapora dans la nuit.
Le lendemain, ma mère m’envoya
chercher des œufs frais et du fromage chez notre voisin. C’était une corvée
pour moi. Pas que je n’aimais pas rendre service à ma mère, mais j’étais très
mal à l’aise en la présence de mon voisin. Il était très distant et ne parlait
que par nécessité. Son regard était très inquisiteur, j’avais toujours
l’impression qu’il essayait de lire au plus profond de mon âme, avec sa façon
de me fixer dans les yeux. J’étais encore à mes réflexions lorsqu’il partit me
chercher mes œufs et mon fromage. Lorsqu’il me tendit le panier de ma commande,
un long frisson me parcouru le corps. Je n’arrivais plus ni à bouger, ni à
articuler le moindre son. Je venais de
réaliser qu’il sentait comme la bête. C’était la première fois, que je doutais
de mes capacités olfactives. Ce n’était pas possible. Un homme et une bête ne
pouvaient pas avoir cette même senteur. A moins qu’il s’agisse de la même
personne. Mais c’était impossible. Même si je trouvais mon voisin solidaire et
sauvage, je le voyais mal tuer des animaux et sauter dans un arbre avec autant
de rapidité et d’agilité que la bête. Mon voisin me regardait avec étonnement.
Je me ressaisi et pris le panier qu’il me tendait. Je pris congé de lui et
parti à vive allure.
Il fallait que j’en aie le cœur
net. Ce soir, je décidais de jouer à la miss détective. Habillée tout de noir
de la tête aux pieds, je me rendis chez mon voisin à la tomber de la nuit pour
mener mon enquête. Il devait y avoir une
explication toute simple. La bête était imprégnée de son odeur car il en était
le propriétaire. Il fallait simplement que je trouve où il pouvait bien
l’enfermer. Cela ne devrait pas trop me prendre de temps, car il habitait une
petite fermette. Il ne possédait que 4 vaches et une vingtaine de poules.
D’ailleurs, je me suis toujours demandée comment il arrivait à vivre. Ce
n’était pas avec la vente de ses œufs et de son fromage qu’il pouvait s’en
sortir. Absorbée par mes réflexions, je ne vis pas mon voisin qui venait à ma
rencontre. Il se planta devant moi, croisa les bras sur sa poitrine et il ne
bougea plus. Mon cerveau fonctionnait à plein régime pour trouver une raison
valable à ma présence chez lui. J’avais beau me torturer l’esprit, aucune explication
ne me venait. Lorsqu’au bout des plus longues minutes de mon existence, il
sortit de son mutisme pour me dire que je ne trouverai pas les réponses à mes
questions ici, et que ma mère détenait toutes les réponses. Sur cette phrase,
il partit. J’ai cru que mon cœur allait s’arrêter de battre. Je ne comprenais
plus rien. J’aurai voulu lui demander des explications mais j’étais sous le
choc. Comment pouvait-il connaître le but de ma venue chez lui ? Il
n’avait tout de même pas le don de télépathie.
J’ai pris tout mon temps pour rentrer chez moi
afin de réfléchir à la manière de raconter cette histoire à ma mère. Quand
j’arrivai chez moi, la lumière de la cuisine était allumée malgré l’heure
tardive. Cela ne présageait rien de bon. Ma mère avait dû se rendre compte de
mon escapade nocturne.
Je trouva ma mère assise devant une
tasse de café et elle m’invita à m’asseoir en face d’elle. Je m’exécutai et
j’attendis la suite. Elle me dit simplement que notre voisin avait téléphoné.
Je lui répondis aussitôt que je pouvais tout lui expliquer mais d’un geste de
la main, elle m’ordonna de me taire. Elle
me dit qu’elle savait qu’un jour ce moment arriverait et qu’il fallait qu’elle
me parle de mon père. Il y avait des choses qu’elle avait omis de me
dire à son sujet. Elle me demanda d’écouter son histoire sans l’interrompre.
Elle me parla de la rencontre avec mon père durant un bal d’été. Il l’avait
invité à danser et ils ne s’étaient plus quittés de la soirée. Ma mère me dit
qu’ils ont eu un coup de foudre et que pour la première fois elle se sentait
enfin vivante. Ils se voyaient le plus souvent possible. Ils étaient
inséparables. Un soir, mon père lui dit qu’il fallait qu’ils parlent, et qu’il
ne lui en voudrait pas si par la suite elle décidait de ne plus le revoir. Ma
mère lui dit qu’il n’avait rien à
craindre car elle l’aimait et rien de ce qu’il pouvait lui révéler ne changerait
en rien les sentiments qu’elle éprouverait pour lui. Mon père lui raconta cette
nuit là l’histoire de sa famille. Ma mère me regarda droit dans les yeux et me
rappela que mon père était un être exceptionnel et très bon, qu’il était
important que je me souvienne de ça, et que ce qu’elle allait me dire ne
changeait en rien la nature profonde de mon père. Elle me saisit ma main posée
sur la table et me dit sans lâcher mon regard que mon père était un vampire.
Les légendes, les films au sujet des vampires étaient exagérés. Un vampire
n’est pas un être sanguinaire suceur de sang humain. C’est un individu plus
fort et plus rapide, et qui a besoin de se nourrir de sang mais pas
exclusivement. Mon père mangeait la même chose que nous, seulement un défaut
génétique faisait qu’il avait besoin de boire régulièrement du sang frais pour
vivre. Son corps ne pouvait fabriquer du fer, le seul moyen pour lui de
l’assimiler était de le trouver dans le sang d’être vivant. C’est la raison
pour laquelle les vampires ont le teint très pâle, et non parce qu’ils
craignent le soleil. Un vampire n’est
pas un être immortel, il est aussi sensible que nous aux maladies, aux virus et
il vieillisse. Mais comme il est différent du commun des mortels, il fait peur.
Alors il est obligé de se protéger en ne parlant de son secret qu’à des
personnes de confiance. Ma mère était certaine qu’un jour les mentalités
évolueraient, et qu’il serait accepté. Je ne sus que dire face à ces révélations.
Je lui demandai si notre voisin en était un. Elle me répondit que oui. Elle me
dit que j’étais à moitié vampire. C’était la raison pour laquelle mon odorat
était si développé, et que j’étais tout le temps anémié. Il était très
important que je ne parle de cela à personne, sauf un jour à l’homme qui
partagerait ma vie, car il se pourrait que mon enfant soit différent….
Les légendes, les contes ont
toujours une part de vérité, déformée au cours du temps à cause de leur
oralité. Mais il est important de les connaître pour comprendre le monde qui
nous entoure et ne plus avoir peur….
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