Dans ce petit village de Quintal, situé à quelques
kilomètres d’Annecy en haute Savoie, les habitants n’ignoraient absolument rien
les uns des autres. D’une certaine manière, ils étaient un peu comme une grande
famille : on prenait soin de la veuve Huguette qui ne s’était jamais
remise de la mort de son mari, on épaulait la jeune postière qui venait
d’arriver et on jugeait ce pauvre Paul au chômage, titubant sous l’effet de l’alcool
et vagabondant dans le village les yeux rouges et hagards. Des rumeurs
circulaient régulièrement et se répandaient comme une trainée de poudre. Assez
curieusement, la majeure partie du temps, elles se révélaient vraies. Peut être
parce que les habitants ne se laissaient pas aller à des déformations,
résultant plus d’une mauvaise écoute que d’une intention de nuire. Non ils
enregistraient les conversations, l’oreille attentive et en alerte. Lorsqu’ils
entendaient quelque chose, ils sentaient une certaine force leur parcourir
l’échine. Pareils à des journalistes venant d’enregistrer un scoop, ils se
savaient porteurs d’une nouvelle qui allait animer tout le village.
Alors lorsque ce premier samedi du mois de juillet,
le barman du bar le plus populaire de Quintal annonça à Simon que Pauline était
une femme aux mœurs légères qui le trompait sans vergogne, il s’attendait à ce
que ce dernier se mette en colère et
l’insulte ; mais à sa grande surprise, il n’en fut rien. Cette rumeur ne l’inquiétait pas. Il avait
toujours eu confiance en sa femme et
l’idée qu’il y ait ne serait-ce qu’un fond de vérité dans ses racontars lui
semblait complètement aberrant. Froissé par les paroles du barman, il reposa
brutalement son verre de bière dont il était en train d’apprécier les saveurs
rafraîchissantes et se mit en colère.
- - Arrête Jean-Claude ! Tu as toujours
été mauvaise langue ! Tu es jaloux ! C’est sûr que ta Susanne
n’arrive pas à la cheville de Pauline !
Interloqué, Jean-Claude écarquilla les yeux. Simon
était son ami depuis plus de quinze ans et n’avait jamais manifesté la moindre
animosité à son égard. Ce qui était étrange c’est que c’était plutôt quelqu’un de
nature suspicieuse à tel point que les habitants l’avaient surnommé « le
père parano ». S’il avait par exemple perdu sa tondeuse, il venait
immédiatement accuser ses voisins qui lui rappelaient avec humour qu’il la leur
avait prêtée la veille. Visiblement, l’amour avait eu un effet miraculeux sur
le quinquagénaire, au point de ne jamais mêler sa femme à ses accusations.
C’était plutôt une bonne chose sauf en de pareilles circonstances. Jean-Claude
aurait mis sa main à couper que la rumeur était vraie. Le fait que Simon
dévalorise sa compagne l’avait profondément blessé. Alors le ressentiment
l’emporta sur l’affection qu’il
ressentait à son égard et il éclata d’un rire mauvais, en le foudroyant du
regard.
- - Non mais attends mon petit gars !
Tu es sérieux là ? Comment peux tu croire que je puisse que je puisse être
jaloux de ton anorexique ! Elle trouve avec les hommes le plaisir qu’elle
n’a pas dans la nourriture !
Il s’en voulut immédiatement d’avoir tenu des propos
aussi virulents. À Quintal, on décrivait Jean-Claude comme un type gentil mais
soupe au lait. Il était vrai qu’il se laissait souvent dépasser par ses émotions
mais n’aurait jamais fait de mal à une mouche. Incrédule, il dévisagea pendant
plusieurs secondes son ami qui semblait lutter pour ne pas lui mettre son poing
dans la figure.
- - Tu me donnes la nausée
Jean-Claude ! Je te jure tu me donnes la nausée ! Tu ferais mieux
t’occuper de ta famille au lieu de médire sur la vie des autres !
Sans lui laisser le temps de répondre, il partit en
claquant la porte. Il jugea que dans de pareilles circonstances, le silence
était la meilleure des défenses.
Le soir venu, il ne désira même pas en parler à sa
femme. Il savait ce qu’il en était. Il avait confiance en son ressenti. C’était
un homme intuitif auquel aucun détail n’échappait. Néanmoins, il ne résista pas
à l’envie de fouiller dans son téléphone portable, juste pour être sûr qu’il ne
se trompait pas. Et il ne se trompait pas.
- - Chéri, tu as passé une bonne
journée ?
La voix de Pauline était jeune et légère. Ses yeux
semblaient sourire lorsqu’ elle parlait. C’est peut être cela qui faisait
qu’elle avait un charme presque irrésistible.
- - Une journée sans surprises ;
lança-t-il avec une pointe d’ironie.
- - Sans surprises ? La mienne en fut
remplie ; s’extasia-t-elle.
- - Oh mais je n’en doute pas ! Une
aussi jolie serveuse doit recevoir de très généreux pourboires…
- - Il est vrai que je n’ai pas trop à me
plaindre ; sourit-elle.
Elle roula des yeux et regarda son mari avec
embarras.
- - J’ai complètement oublié que je
travaillais ce soir. Je vais devoir t’abandonner. Je suis vraiment désolée. Je
sais qu’on avait prévu de passer la soirée en amoureux…
- - Ce n’est pas ta faute. A quelle heure
rentres-tu ?
- - Oh je ne sais pas trop. Ne m’attends
pas !
Mais débordant d’amour pour la jeune femme, il
désobéit et se forçat à rester éveillé. Le tic tac du réveil rompait avec le
silence pesant de la pièce. Il avait le temps à penser à son mariage, à sa
confiance aveugle envers sa femme. Etait-ce un cadeau du ciel de n’avoir aucun
doute ou un mensonge autant envers lui-même qu’envers les autres ? Le
fonctionnement de la pensée humaine est un processus très complexe, dont même
Freud ne devait pas maîtriser toutes les ficelles. Il était déjà quatre heures
du matin et Pauline n’était toujours pas rentrée. Il commençait à s’inquiétait.
La fermeture du restaurant ne s’était jamais faite après une heure du matin
étant donné le peu d’influence au village. À huit heures du matin, elle n’avait
toujours pas donné signe de vie. Il lui était forcément arrivé quelque chose. Du moins c’est la version
qu’il donnerait à la police. Ils finiraient très certainement par retrouver le
corps aux alentours du lac d’Annecy. En effet, il avait lu sur un des textos
« Retrouve moi au bord du lac à Annecy
mon amour ». Et il avait pris soin de répondre « Ce sera un
adieu car on ne peut pas continuer comme ça. J’aime mon mari mais j’ai envie de
te revoir une dernière fois ». La piste retenue serait l’amant fou de
jalousie et il serait blanchi. Il avait tout prévu. De la mise en scène face à
son ami barman à son alibi : il était dans son lit en train d’attendre sa
femme. Le film Limitless était passé
à la télé sur NT1. Il pourrait sans problème raconter le film qu’il avait vu à
maintes reprises. Personne ne se douterait qu’il avait étranglée sa femme et
transporté le corps jusqu’au lac d’Annecy. En plus une voisine qui rentrait de
vacances était venue le remercier d’avoir arrosé les plantes ; à vingt et
une heure précisément, heure à laquelle sa femme avait rendez-vous avec son
amant au bord du lac. Mais il ignorait un détail. Des SMS que Pauline avaient
pris soin de supprimer mais qui étaient soigneusement enregistrés dans le
téléphone de Julien Duval : «
Je crois qu’il se doute de quelque chose, j’ai peur de mon mari. Un jour il m’a dit que s’il
découvrait que je le trompais, il me tuerait. J’étais terrifiée Julien. Il m’a
alors précisé qu’il plaisantait mais je te jure qu’il m’a fait froid dans le
dos ». De plus Simon Durand, ignorait un autre élément. Annecy était
un code, jamais Pauline et son amant ne s’étaient jamais retrouvés à cet endroit
et le barman du Cardinal de Chambéry pourrait
témoignait avoir vu les deux amants à plusieurs reprises .Simon serait finalement
inculpé de meurtre et finirait le restant de ses jours en prison.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire