– J'ai
une bonne nouvelle : mes parents ont renoncé à acheter la villa qu'ils ont
visité la semaine dernière à Palavas.
Du
doigt, Jessica me montre la file ininterrompue de l'autre côté de l'autoroute.
Impressionnant ! Des kilomètres et des kilomètres de ferraille en partance pour
les vacances. Juillet meurt à moitié. Et le 14 tombe un samedi. Pas de chance !
– Tu imagines si mes parents déménageaient dans le Midi… quelle
galère !
Je me mords les lèvres pour rester aimable. Fêter mon anniversaire à
Paris… tu parles d'un bonheur ! D'autant que si nous montons en voiture c'est
uniquement parce que Jessica a oublié de prendre les billets de train sur
Internet.
J'avais pourtant dit que je m'en occuperais, trois mois avant la date de
notre départ, manière d'avoir un bon tarif. Elle avait insisté pour s'en
charger. Lourdement. Je m'étais reposé sur elle. Ce en quoi j'avais eu tort.
À l'aveu de son oubli, il ne restait que des places plein tarif. Hors
budget. D'où ce déplacement en voiture. Ma hantise. Presque à égalité avec les
visites chez mes beaux-parents. Mais cette fois-ci, j'ai été appâté. Une surprise
m'attend pour mes trente ans.
Je n'ai aucun doute là-dessus… c'est d'ailleurs ce qui m'agace par
avance.
Je pense que vous connaissez cette chaîne de coiffeurs : celle qui vous
promet d'être dans le vent sans être
décoiffé. Plus de trois cents salons… Et bien tout cela appartient aux
parents de Jessica. C'est dire si ces derniers peuvent me faire un beau cadeau
pour mon anniversaire. Là aussi que nos convictions respectives entrent en
collision. Pour synthétiser, je dirais que nous n'avons pas la même vision de
la société… ni les mêmes possibilités financières.
Depuis plus de cinq ans, je refuse toutes les propositions des parents de
Jessica. Cela leur ferait tellement plaisir
de nous mettre le pied à l'étrier. Être redevable ? Non merci ! Je préfère un
petit chez moi qu'un grand chez les autres.
Cette situation provoque parfois des tensions entre Jessica et moi.
Exemple : ce voyage en voiture pour cause de billets de train trop chers.
Tu es trop fier ! me
reproche-t-elle parfois. Elle montre moins de scrupules que moi à piocher dans
la cagnotte familiale.
À part ça – ça me coûte d'en faire l'aveu – mes beaux-parents
sont charmants et assez simples. Riches certes mais sans l'esprit
petit-bourgeois.
– Tu sais, question climat, cela ne me dérangerait pas qu'ils vivent
au bord de la méditerranée. On serait juste parti la veille pour éviter ça, je
réponds en désignant l'annélide multicolore qui serpente de l'autre côté de la
route.
– Oui… c'est vrai… mais dans ce cas, tu aurais encore raté ton petit
pèlerinage.
– Pèlerinage ! Comme tu y vas !
– Pas de panique, je te taquine ! N'empêche que tu es quand même
bien content de faire le détour, nostalgie
boy, non ? ajoute Jessica d'une voix mutine.
– Le contraire serait mentir.
Jessica fait référence à un marché que nous avons passé tous les deux.
Puisque nous devons, par sa faute,
faire la route en voiture, j'ai jugé l'occasion propice pour faire un petit
arrêt juste à côté d'Autun. Je désire lui montrer la maison dans laquelle j'ai
grandi jusqu'à mes quatorze ans avant. Cela n'impose qu'un modeste détour.
Cette visite, nous l'avons très souvent remise au cours des années précédentes
pour une raison ou pour une autre.
J'ai envie que Jessica découvre cette maison dont je lui ai souvent parlé
mais que je n'ai jamais revue depuis de nombreuses années. Depuis l'avoir
quittée en fait.
À force de m'entendre l'évoquer au travers des souvenirs d'enfance qui y
sont liés, je pense qu'elle souscrit volontiers à ce vieux désir que je caresse
depuis un certain nombre d'années.
– Où tu m'as dit déjà qu'on devait quitter l'autoroute ?
– À Beaune ?
– Y'a du bon vin par-là non ?
– Je veux ! Pommard, Aloxe-Corton, Vosne-Romanée…
– Dis donc… pour un gars qui ne boit jamais d'alcool tu t'y connais
drôlement.
Je ne peux m'empêcher de rire.
– Tu connais plein de chanteurs… ça ne t'empêche pas de chanter
comme une casserole !
– Pas faux, admet-elle en souriant. … Tu crois que tu vas
reconnaître facilement ?
– Je ne sais pas. Dans mon souvenir tout est clair mais est-ce
fidèle à la réalité ? Mystère !
– La vie… tu sais… ce n'est pas ce que l'on a vécu mais ce dont on
se souvient et la manière dont on s'en souvient…
Je dois écarquiller des yeux de manière assez convaincante pour que l'on
puisse me confondre avec un poisson des grands fonds car Jessica se met à rire.
– Tranquille mon gars… je ne suis pas subitement devenue
intellectuelle. Il s'agit d'une citation de Gabriel Garcia Marquez. Je l'ai lue
hier sur le quatrième de couverture de son bouquin. Pas mal vu quand même !
– Plutôt. Du coup, ce n'est peut-être pas la peine de s'arrêter.
Imagine que rien ne cadre.
Je ne suis pas sérieux bien sûr.
– Ça m'étonnerait tout de même. Tu n'es pas vieux au point d'avoir
tout oublié.
Nous quittons l'autoroute à Beaune, longeons la verdure presque martiale
du vignoble avant de nous enfoncer dans une interminable sarabande de pâtures
séparées par des haies vives où triomphe la blancheur des prunelliers.
Avec le joli mimosa qui fleurit dans le ciel, le paysage défile. Superbe.
Une chance !
La pluie par ici est plus souvent au rendez-vous que souhaitée.
Nous progressons sur une route étroite. Je suis presque fier de ma performance.
De village en village, je nous ai conduits jusqu'au cimetière depuis lequel on
peut apercevoir la maison.
– Au moins, les voisins ne sont pas bruyants ! souligne Jessica,
amusée.
– Oui… mais plus nombreux. À l'époque, le cimetière était tout
récent. C'était curieux de voir un tout petit espace occupé par les tombes et
tout le reste en herbe.
– La tendance s'est inversée à ce que je vois.
– En quinze ans, rien de surprenant ! Mais bon, on n'est pas venu là
pour visiter le cimetière. Tu vois la maison ?
Du doigt, je lui montre la bâtisse, quelques deux cents mètres plus loin.
Une maison bourgeoise bâtie sur deux niveaux. Vus d'ici, tous les volets
paraissent fermés. Ils ont conservé la couleur blanche que je leur ai connue.
C'est idiot mais cela me fait plaisir.
– Eh ! Vous aviez une vraie baraque de bourges !
– Tu peux parler ! C'est quand la dernière fois que tu as vécu en
HLM ?
– J'taquine.
– Je sais. Et puis voyez-vous… jeune écervelée, si nous pouvions
habiter là c'est parce que le loyer était raisonnable… à condition d'entretenir
tout le parc autour de la maison. Et ça, mademoiselle, ça n'était pas de la
tarte ! j'ajoute pour me défendre.
Je suis fier d'avoir grandi dans cette maison mais je me souviens de tous
les travaux de jardinage auxquels mes frères et moi avons participé dans la
mesure de nos modestes moyens. Une certaine honnêteté m'oblige à reconnaître
que ce n'était pas toujours de gaieté de cœur.
– Bon, on va la voir de plus près cette casbah ?
– Avec plaisir.
J'emprunte le petit bout de route qui conduit à la ferme située juste
au-dessus de la maison. Ferme où j'ai grillé de bien plaisantes heures en
compagnie des animaux… et de la plus jeune des filles des fermiers.
Je range la voiture sur le bas-côté. Jessica me regarde. Je
la regarde. Puis nous faisons tous les deux la grimace. Juste avant la grande
allée bordée de frênes qui mène à la maison se trouve une barrière. Fermée.
Claironnant en son centre sur un panneau rectangulaire :
Propriété Privée Défense d'entrer.
– C'est con, je regrette.
Je ne veux pas le montrer à Jessica mais je suis très déçu.
– Tu crois qu'elle est fermée à clé ?
– Ça changerait quoi ?
– À nous éviter de l'escalader.
– Mais on ne peut pas rentrer Jess.
– Tu n'as pas l'intention de voler quelque chose… tu veux juste jeter un coup d'œil. Personne ne nous
dira rien. Surtout que ça m'a l'air bien calme.
– Tu crois ?
Je suis tenté. Aller au moins jusqu'à la grille d'entrée. Revoir la maison
de près. Je sais que ce sera aujourd'hui ou jamais. Je ne vais pas me rejouer éternellement
le coup du pèlerinage.
– Mais oui ! Au pire, on expliquera que tu as grandi dans cette
maison.
– Allez, tu as raison ! Qu'est-ce qu'on risque ?
La barrière est fermée. Le contraire aurait été surprenant. Un mètre.
Rien d'insurmontable. Cela fait remonter quelques souvenirs à surface
d'enfance. Parfait… je suis venu pour ça !
Je fais la courte échelle à Jessica. Dans l'envolée de sa jupe, l'éclair
blanc de sa culotte ajoute du piment à l'aventure. Main dans la main, nous remontons
l'allée. Tout est silencieux… et clos.
Je m'approche du garage double situé à égale distance entre la grille et
le pavillon. Je colle mon visage à l'un des oculus en plastique. La matière est
si vieille que j'ai bien du mal à voir à l'intérieur. Apparemment, deux
véhicules s'y trouvent garés. Dont je suis bien en peine de préciser la
couleur. Je m'en inquiète auprès de Jessica. Pas de la couleur bien sûr mais de
la présence des deux voitures.
– Voitures ou pas, il n'y a personne. Tu vois bien que tous les
volets sont fermés ! Allez, ne t'invente pas des excuses… montre-moi le parc !
Je m'approche du muret et commence à lui détailler le saule pleureur
cachant un banc en pierre, les deux cerisiers dans lesquels nous grimpions pour
nous gaver les bonnes années, les massifs de pivoine, les rhododendrons. Par
souci du détail, je dois avouer que la végétation semble avoir été délaissée
depuis longtemps. Les haies mériteraient un bon coup de cisailles dans leur
chevelure hirsute.
Sans m'avertir de ce qu'elle s'apprête à faire, Jessica s'approche de la
grille, saisit la poignée et la tourne. Elle pousse ensuite le battant.
Celui-ci s'ouvre.
En grinçant… comme dans les mauvais films !
– Eh ! Tu es folle ou quoi ?
– S'ils n'ont pas pris la peine de fermer c'est qu'ils ne craignent
rien. Allez, fais-moi faire le tour de ton jardin d'enfant.
J'hésite. C'est engageant. Et cela semble peu risqué.
Un petit frisson d'interdit me fait franchir le pas.
Le parc est moins grand que dans mon souvenir. Comme quoi… Un demi
hectare planté de pins, de sycomores, de noisetiers, de bouleaux… Et dans ma
tête, quelques musaraignes blessées par le chat que nous tentions de soigner, les
taupes que mon père s'ingéniait à enfumer, les écureuils spiralant leurs
courses au long des troncs… et de nombreux enterrements d'oiseaux.
– Dis donc, elle aurait besoin d'être rafraîchie ta maison !
Jessica a raison. Le crépi se décolle et la peinture des volets – si
candide vue de loin – laisse apparaître le bois sombre des panneaux.
La toiture en revanche semble avoir été récemment restaurée.
– Tu sais, elle n'est pas toute jeune. Si je me souviens bien, elle
date de 1875. Elle a quand même encore de la gueule la vieille dame !
Jessica prend soudain un air mutin.
– Tu crois que la porte est fermée à clé ?
– Bien sûr.
– On essaye.
– Vas-y si ça t'amuse.
Je ne prends pas de grands risques. Pour quelle raison aurait-on fermé la
barrière extérieure et laissé ouverte la porte d'entrée ?
Elle pose la main sur la poignée.
– Attends, je frappe avant, on ne sait jamais.
Elle soulève le heurtoir de bronze en tête de lion et le laisse retomber
deux fois sur sa base. Cela fait un potin d'enfer… et il ne se passe rien.
– Il n'y a personne on dirait.
– Ou alors ils sont sourds ! je rigole.
Prenant appui sur la poignée, Jessica tourne la clenche. Pousse… et la
porte s'ouvre en gémissant cette fois comme dans les films d'horreur. Ledit
geignement – bassement métallique et impersonnel – couvre le mien, gêné
et presque douloureux. Il dure peu. Rapidement remplacé par un rire amusé
devant la mine abasourdie de Jessica.
– T'attendais pas… hein ?
– Comme tu dis !
Jessica arbore aux commissures des lèvres ce petit sourire que je connais
bien. Celui qui n'ose pas triompher mais prépare le terrain. Un sourire de vainqueur.
– Bon, maintenant referme et on y va.
– T'es fou ! C'est l'occasion rêvée de visiter la maison en toute
tranquillité.
– Tu plaisantes… j'espère.
Je n'y crois pas trop. Jessica possède un petit côté casse-cou qui
m'effraie parfois.
– Sûrement pas. Allez ! Une petite visite vite fait et on se sauve.
– Ce n'est pas raisonnable.
La chose est tout de même très tentante. Le risque n'était pas si grand
au vrai.
– Allez, ne fais pas ton timoré. C'est toute ton enfance qui
t'attend là-dedans !
L'argument choc. Auquel je devrais résister… Mais bon, les filles sont
très fortes pour transformer nos résistances inexpugnables en spaghettis trop
cuits !
Une boule d'émotion heurte ma poitrine. Cinq marches. L'entrée. Les
quatre portes sur lesquelles elle ouvre. Tout cela me rappelle tant de
souvenirs que je ne sais lesquels privilégier. J'ouvre la porte de droite,
celle qui donne sur la salle. Une bouffée de chaleur nous assaille. La pièce
est sombre. Il nous faut du temps pour nous habituer à la pénombre.
Une chance encore que les volets à claire-voie dispensent un peu de
lumière.
De rares meubles occupent l'espace. Tous sont recouverts de housses
claires. Dans l'âtre, quelques bûches calcinées gisent sur les chenets à tête
de cerf. Sur le chapiteau en marbre de la cheminée, une chouette empaillée – et
pleine de poussière – nous jette un regard étonné.
Quelques flambées à la mauvaise saison éclairent soudain ma mémoire.
Nous continuons la visite. À pas lents. En silence. La cuisine est vide.
Elle a conservé son évier en pierre et son carrelage blanc à liseré bleu. Je
livre la couleur parce que je la connais. La trop faible lumière me priverait
sans cela de cette précision.
Nous glissons rapidement sur la pièce qui servait de bureau à mon père.
Elle est vide… et je n'ai jamais aimé sa cheminée en plâtre. Nous débouchons
face à l'escalier. Marches quatre à quatre, glissades sur la rampe, chocs sur
la grosse boule en laiton chapeautant le pied de rampe. Des bêtises en
pagaille. Des jeux d'enfants.
Chaque marche craque sa plainte. De lourdes toiles d'araignée dansent
dans le fin rayon de soleil qui s'insinue par une persienne cassée. Le palier
est plus étroit que dans mon souvenir. Toutes les chambres sont vides. Celle de
mon frère aîné, à gauche. Celle de mes parents qu'il fallait traverser pour
parvenir à celle que nous occupions avec mon frère cadet juste après la salle
de bains. Tout est plus étriqué. Le parquet me semble déformé et les fenêtres
plus petites.
Le grenier encore… et la visite sera complète.
L'échelle de meunier qui permet de l'atteindre est très étroite… j'ai
grandi !
– Si tu savais Jess les parties de foot qu'on a fait là !
– Plutôt limité le terrain.
– Je ne me souvenais pas qu'il l'était autant. Je me rappelais
surtout du trou dans lequel il ne fallait pas tomber, je précise en désignant
l'espace réservée à l'échelle de meunier.
– Et des poutres à éviter avec la tête.
– Aussi, je concède. Bon, ben voilà… tu as tout vu. Alors ?
– C'est quand même une belle maison. Et puis c'est la tienne, alors
ça lui donne un petit caractère particulier.
– On redescend ?
– C'est parti.
À peine avons-nous posé le pied sur le palier qu'un choc ébranle la
maison, suivi d'un couinement plaintif. Puis de nombreux coups se succèdent. Le
heurtoir ! Le peu de lumière qui provenait du rez-de-chaussée a tout à coup disparu.
Sauf erreur de ma part, quelqu'un vient de refermer la porte et s'efforce – à
sa manière pour le moins originale – de nous faire savoir que notre
présence à l'intérieur ne lui est pas inconnue.
Jessica fait une telle tête que je n'ai pas à cœur d'en rajouter.
– Et merde ! constitue la seule parole sensée que je trouve sur
l'instant.
– Qu'est-ce qu'on va faire ? me demande-t-elle d'une voix piteuse.
– À part descendre et s'expliquer…
– Qu'est-ce qu'on risque ?
Je tente de la rassurer.
– Pas grand-chose à part d'être pris pour des voleurs.
Pas à pas, nous redescendons l'escalier puis traversons la salle sur la
pointe des pieds. Je m'approche lentement de la porte. Je ne me sens pas fier.
Je cherche des mots pour me justifier. La poignée s'abaisse… je force. Pour
rien. La porte est fermée à clé. Misère !
– Ouvrez-nous, dis-je d'une voix timide.
Silence.
– Ouvrez-nous s'il vous plaît, je risque en montant d'une octave.
Nouveau silence.
– On fait quoi ? chevrote Jessica. J'ai la trouille !
– Ne bouge pas.
Je retourne dans la salle à manger et me dirige vers la fenêtre à
l'opposé de la porte. Je l'ouvre.
Cochonnerie ! Les volets sont barrés par deux planches clouées en croix. Deux
minutes pour en avoir le cœur net. Ça tient bon… et toutes les fenêtres sont
ainsi barricadées. Chez quel cinglé avons-nous mis les pieds ?
Condamner les volets et laisser la porte ouverte… un truc m'échappe !
Je devine Jessica au bord des larmes. D'une voix douce, je lui confie :
– Pas moyen, tout est condamné.
– Tu ne peux pas déclouer les planches.
– Avec quoi ! je m'exclame un soupçon de colère dans la voix. Tu
crois que j'ai un pied-de-biche dans ma poche de bermuda !
Ce n'est peut-être pas très gentil… mais si on est dans cette galère… ce
n'est pas vraiment de ma faute !
– Il y a peut-être un truc dans les meubles, propose-t-elle.
– J'en doute. Les outils c'est plutôt au garage qu'on les range.
– Ça ne coûte rien de regarder. Allez, insiste-t-elle d'une voix
suppliante.
Je la sens à rien de craquer. Après tout, si cela peut la rassurer…
pourquoi pas ?
Je soulève une des housses. Un canapé. De son côté, Jessica en ôte une
autre. Une table basse. À moins de s'en servir comme bélier… Je découvre un
buffet bas. Ouvre portes et tiroirs. Vides. Jess révèle une maie. Décale le
plateau. Et pousse soudain un cri… un hurlement terrible pour coller à la
vérité !
– Qu'y a-t-il ?
L'angoisse commence à me gagner moi aussi.
– Un cadavre ! hurle-t-elle d'une voix hystérique.
Je sens un frisson de terreur me glacer le dos. Il fait pourtant une chaleur
suffocante.
– Tu déconnes…
– Viens voir si tu ne me crois pas, ânonne-t-elle d'une voix
saccadée.
Je me rapproche, jette un œil au fond de la maie. Il fait sombre dans la
pièce… le meuble est profond… mais aucun doute n'est permis ! Il y a bel et
bien une forme humaine allongée au fond de la maie. D'un geste plein de rage,
je remets le couvercle. Les choses prennent une tournure que je n'aime pas.
Mais alors pas du tout !
– Elle est morte ?
C'est plus fort que moi, je m'emporte.
– Non, elle se repose. Tous les vampires font ça dans la journée !
– Ne crie pas, tu me fais peur.
– Tu nous a mis dans une belle galère ! Qu'est-ce qu'on avait besoin
de venir fouiner !
Je viens à peine de finir ces mots que les premières détonations
éclatent. Des claquements secs fusent sur les volets. En toute hâte, j'attire
Jessica vers la cuisine.
– Qu'est-ce que c'est ? s'inquiète-t-elle.
– Tu ne vois pas qu'on nous tire dessus.
L'hystérie commence à me gagner. Comme je regrette cet arrêt empreint de
nostalgie.
Enfin, détonations et claquements cessent. Je sens Jessica tremblante
contre moi. Je la serre dans mes bras. Comment pourrais-je lui en vouloir ?
– Ils sont partis ?
– Ça m'étonnerait.
Comme pour confirmer mes dires, une voix grave s'élève dans le silence
revenu.
– Nous allons rouvrir la porte. Sortez les mains en l'air. Nous ne
vous ferons aucun mal.
Quelques secondes plus tard, nous entendons claquer le pêne dans la
serrure.
– Qu'est-ce qu'on fait ? chuchote Jessica, la voix cassée.
– On fait ce qu'il dit mais avant on remet la housse sur la maie.
Avec un peu de chance, il ne saura pas que nous sommes au courant pour le
cadavre.
Je pose la main sur la poignée de la porte. Jessica, derrière moi, le
visage ravagé, lève haut ses bras. Je juge utile de l'imiter et lève mon bras
demeuré libre. Je me rapproche de la porte, pose la main sur la poignée. Me
retourne pour adresser un sourire rassurant à Jessica avant de tirer la porte à
moi.
Le jour nous aveugle, nous agresse… puis je les reconnais !
Gildas, Mathieu, Sophie, Lucile, Irène et les parents de Jessica. Dans
leurs mains : des pétards et des poignées de gravier. À leurs pieds, un
mannequin appartenant au magasin de fringues de Gildas.
Joyeux anniversaire… se mettent-ils tous à
chanter.
Je me retourne vers Jessica. Elle est radieuse.
– Je n'avais pas oublié
pour les billets mais… comme la maison était à vendre !
Trente ans… le bel âge… je ne suis pas vraiment sûr d'apprécier mon
cadeau.
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