-J’ai une bonne nouvelle, Chef,
annonça le premier stagiaire tout rayonnant de joie.
-Oui , ça y est, Chef, cette fois on l’a ! annonça
le second stagiaire.
Le Chef s’arrêta d’écrire et leva les yeux sur les
deux primates qu’il était chargé de cornaquer.
.-Vous avez quoi ? Le tiercé
gagnant ?
Les deux
primates en question redoutaient toujours l’humour du Chef qui était de toute
évidence en voie d’alcoolisation comme chaque matin. Aussi se contentèrent-ils
dans leur réponse d’être d’une parfaite sobriété.
-Non Chef, on l’a arrêté, précisa
le premier auxiliaire.
-Vous avez arrêté quoi ? La boisson ? demanda le Chef.
-Non Chef, mieux que ça, nous avons
interpellé l’arrêté.
-Bravo les petits gars. Mais je
vous signale qu’on interpelle d’abord et qu’on arrête ensuite.
-Si vous voulez, Chef, mais le résultat est le même. On a enfin chopé
le tireur.
-Et vous l’avez chopé comment
ce tireur ? A l’improviste ?
-Non aux jambes. Quand il est passé
devant nous, avec Jean-Michel on a plongé et cette fois on l’a eu.
-Pourquoi dites-vous « cette
fois ? »
-Parce qu’il nous a déjà tiré
dessus la semaine dernière. Mais on vous
l’avait pas dit, vu qu’on l’avait loupé.
Mais par contre lui, il nous avait pas loupés. On a encore les marques. Vous voulez voir
Chef ?
-Non merci, je viens de déjeuner.
- C’est dommage, parce que c’est
bizarre, chez Jérôme et chez moi les cicatrices
sont au même endroit, au niveau du cœur
et…
-Bon, ça va ! On n’est pas à
la visite médicale ! Vous n’allez pas vous foutre à poil dans mon bureau ! s’énerva le Chef.
Les deux stagiaires jugèrent
prudent de ne pas insister. L’alcoolisation
matinale du Chef semblait en bonne voie mais était encore insuffisante. Ils se turent et attendirent.
- Enfin je vous dis tout de même «
Bravo » pour cet acte de bravoure, dit le Chef. Ça nous fera au moins un tireur à la tire en moins qui ne pourra plus tirer.
-Vous n’y êtes pas, Chef ! C
était pas un tireur à la tire. Il tirait simplement sur.
-Comment ça il tirait
sur ? Il tirait sur quoi ? Sur le brun, sur le jaune ? C’était
pas un blanc ? Dites-le tout de suite que c’était un étranger qui n’était
pas de chez nous !
-Vous n’y êtes toujours pas Chef, c’est celui qu’on a eu des tas de
plaintes ces derniers temps.
-Celui qui tire sur tout ce qui bouge, de jour comme de
nuit et aussi les jours fériés?
-Voilà ! Vous y êtes enfin, Chef.
C’est celui qui tire des projectiles .Et vous ne devinerez jamais comment qu’il
est.
Le second auxiliaire tint à faire
remarquer au premier auxiliaire que le Chef était tout à fait apte à deviner tout seul, vu qu’il était Chef !
-N’est-ce pas Chef, que vous êtes capable de deviner ?
-Non, je ne vois pas, dit le Chef
qui aurait dû voir, vu que…_
-En
fait, Chef, le tireur est tout simplement un mineur.
-Vous avez arrêté un mineur ?
demanda le Chef.
-Ben, on ne lui a pas demandé ses
papiers, mais à première vue c’est un mineur qui n’a pas l’air majeur.
-Ou à la limite un majeur qui était
encore mineur il y a peu, tint à préciser le premier stagiaire.
-Et pourquoi lors de votre interpellation
ne lui demandâtes-vous pas ses
papiers ? voulut savoir le Chef.
Là, les deux auxiliaires prirent leur
temps pour répondre.- et après hésitation sur le verbe- répondirent conjointement qu’ils ne pouvaient pas
demandater les papiers à ce mineur-majeur, vu qu’il n’avait pas de poche sur
lui pour mettre d’éventuelles pièces d’identité, vu qu’il était pratiquement
tout nu.
-Tout nu !!! Mais Nom de Dieu, hurla le Chef, vous vous rendez compte que vous avez sauté sur un enfant tout nu et en plus mineur ! Et bien Messieurs,
tenez-vous le pour dit, quand on est auxiliaire de police municipale, même
stagiaire, on n’a pas à sauter sur un enfant tout nu, même mineur. Mettez-vous bien ça dans le
crâne. Cela peut être mal perçu. Surtout de la part de parents un
tantinet pointilleux ou mal intentionnés
à notre égard, ou les deux à la fois !
-Pardon Chef de vous rectifier. Nous tenons à ce que les choses « soyent »
bien claires : on l’a pas sauté. On est pas des bêtes ! On a
simplement sauté sur ! C’est pas tout à fait pareil. Convenez-en
Chef !
Le Chef s’accorda quelques instants
de réflexion pour faire le point. Avec les
stagiaires qui entendaient intégrer le corps des policiers municipaux ce n’était d’ordinaire pas simple, mais avec
ces deux-là c’était plus que complexe.
Pour se donner un peu d’air, il lut attentivement le compte-rendu qu’ils
avaient fait de cette glorieuse arrestation.
-Vous n’avez pas mentionné de
quelle arme se servait le délinquant présentement arrêté.
-C’est normal, Chef, on ne savait pas dans quelle catégorie il
fallait classer son arme. Alors on a laissé en blanc pour éviter les erreurs.
Et on s’est dit qu’il fallait mieux demander au Chef, que vous sauriez
peut-être mieux que nous.
-Sûrement mieux que nous ! rectifia le second stagiaire.
-Mais ce gamin, il avait quoi,
comme arme sur lui ? Un bazooka, un char d’assaut, une bombe nucléaire, un
lance pierre à laser ?
-Ça existe ça, un laser à lance
pierre ? demanda le second stagiaire.
Le premier stagiaire jugea opportun
d’intervenir promptement, car il voyait
le Chef rougir de plus en plus et cette rougeur subite risquait de se répercuter sur la note de fin
de stage.
-Tais-toi, Jéjé,
tu risques d’énerver le Chef avec tes questions stupides.
Ce conseil était fort judicieux. Il
convenait en effet d’y « aller mollo » avec le Directeur de stage.
-J’attends, fit le Chef au bord de l’apoplexie.
-L’enfant mineur
tout nu, que nous eûmes l’honneur
d’interpeller, suite à vos judicieux conseils préparatoires, avait en sa possession personnelle un arc et des
flèches.
-C’est
tout ?
-Oui, Chef et il
s’en sert, nous a-t-il expliqué, non pas pour tuer mais simplement pour
atteindre.
-Atteindre
quoi ?
-Ça, on a pas demandé, confessa Jean-Michel. Nous on est que stagiaires, on peut pas tout de suite avoir le bon reflexe
comme quand on est vieux comme vous et qu’on a de la bouteille… !
Le terme de « bouteille » risquant
d’être pris par le Chef comme une allusion malencontreuse à son péché mignon, le premier stagiaire interrompit son collègue :
- Ce que veut
dire mon ami ici présent, c’est que nous ne voulions pas aller au-delà de nos
préroga ..ti..vati.. sations, en posant des questions qui ne figuraient pas
dans le manuel.
Le Chef
commençait à se demander avec le plus
grand sérieux, si ces deux là ne seraient pas mieux dans l’Armée, à la SNCF ou aux P.T.T
plutôt que dans sa brigade. Conscient cependant de la lourde tâche qui lui
incombait de remettre, autant que possible, sur le bon chemin ces deux égarés de la vie,
il ne laissa rien paraître de ses
craintes.
- Et il est où
votre Guillaume Tell ?
-On l’a laissé
derrière la gendarmerie.
-Sans
surveillance ?
-Ça risque rien,
le petit s’amuse avec son arc et ses
flèches.
-Parce que en
plus vous ne lui avez pas retiré son
arme ? demanda le Chef.
-C’est à dire
qu’il n’a pas voulu. Il est devenu
furieux quand on a essayé. Il nous a à nouveau
menacés de son arme. Et il vise bien le gamin, on en sait quelque chose.
Vous voulez vraiment pas voir nos cicatrices, Chef ?
-C’est une manie
chez vous de jouer les
exhibitionnistes ? Dites-moi plutôt
ce que vous avez fait ? tonna le Chef.
-On a préféré laisser tomber. On aime pas faire de peine aux enfants.
Vous savez, Chef, sous des dehors de brutes sanguinaires, nous sommes en vérité
deux grands sentimentaux.
-Un peu comme
vous, Chef !
Dans les jours qui suivirent on
proclama les résultats du stage. Contre
toute attente, Jean-Michel et Jérôme ne
furent pas admis à intégrer le corps de la Police Municipale.de
Saint-Florent sur Dordogne On les invita à prendre une autre direction. Leur
rêve de devenir les nouveaux Rambo de la Police Municipale
s’envola.
-Bof !
C’est pas grave, fit Jérôme, le principal n’est pas là. On s’en
remettra. Viens on rentre chez nous. On va se faire une petite soirée télé
sympa et puis on ira au lit de bonne heure.
-T’as raison, répondit
Jean-Michel, ce qui compte, c’est que partagions cet amour tout neuf qui nous est
tombé dessus.
-Un amour auquel
on ne s’attendait ni toi ni moi, il faut bien l’avouer ! précisa
Jérôme.
Et sur cet aveu,
ils échangèrent un doux regard.
-A propos tu te
rappelles comment il s’appelait ce petit connard de gamin qui nous a tiré dessus
avec ses flèches et qui a eu le culot de nous dire ensuite qu’il s’était
trompé de cibles et que ce n’était pas
nous qu’il visait !
- Je sais plus
trop, mon Jéjé…. mais je crois que
c’était un truc comme…
«
CUPIDON »
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