J’ai une bonne nouvelle, nous avions fini par trouver
quelqu’un pour conduire le rafiot (disait Nati au téléphone). Il faut
dire que Dieu était avec nous, la météo était clémente cette nuit-là. Il
faisait très froid, j’étais assis à côté d’une érythréenne de seize ans. Elle
n’est pas accompagnée non plus. Elle a pour nom Samira quelque chose. Sa bouche
pulpeuse, ses grands yeux magnifiques, son visage de lune et mou comme un
fromage, m’ont frappé. Elle ressemble tellement à Saba…
Mon père, un ancien jardinier, a une maladie du foie. Maman,
âgée de quarante-quatre ans, d’une amabilité et d’un naturel tout à fait
débonnaires, est femme de ménage à la mairie d’Adama, troisième ville
d’Éthiopie. Je suis le cinquième enfant de ce ménage oromo[1].
J’entre bientôt à l’Université de Liverpool.
J’ai quatre frères et deux sœurs. Nati, celui qui me
parle au téléphone depuis l’Italie, est l’un d’eux. Mes deux premiers frères,
des jumeaux, vivent à Shashamané en Éthiopie ; l’un chauffeur de taxi et l’autre,
vigile d’un centre commercial. Ma première sœur, Abeba (vingt-six ans) quant à
elle, aide la journée dans un salon de coiffure, et se prostitue la nuit dans
les rues d’Addis-Abeba. Elle allait rarement voir nos parents, et préférait
toujours ne pas se retrouver en tête à tête avec notre père.
Le troisième garçon du ménage est victime d’une paralysie
depuis la tendre enfance, et sa situation fendait de douleur le cœur de notre
mère qui le baptisa Manalebesh (qu’il y a-t-il de plus que toi). Auparavant,
papa écarta l’idée de l’envoyer à l’école ; il avait décrété que « le
scolariser serait un gâchis », et qu’il fallait économiser assez d’argent pour
payer les factures, et surtout s’occuper de ses frères plus jeunes, dont Nati
et Saba la benjamine.
Papa fut au service de Yohannes Mercha, un officier tigréen
de l’armée éthiopienne, pendant quinze ans, à partir de l’été 1993, il avait
trente-cinq ans à l’époque. Quand il fut engagé par M. Mercha à Adama, celui-ci
l’invita à venir s’installer dans sa vaste propriété avec maman et leurs
enfants : les jumeaux, Abeba et Manalebesh âgé d’un an.
Je suis le seul enfant que mes parents ont eu chez M. Mercha,
et ce dernier (d’après mes parents) m’a trouvé tellement joli et intelligent,
qu’il m’a adopté. Durant les quinze années passées au service de son employeur,
papa était un homme à tout faire ; il était jardinier, plombier, et
gardien. Quant à maman, elle était la ménagère et la cuisinière de la maison.
Papa emménagea en 1997 pour maman et les enfants, dans un
appartement loué au sein d’un modeste quartier de la ville, mais lorsque
l’épouse de M. Mercha était en déplacement, maman revenait s’installer dans
leur maison pour s’occuper de leur fils dont elle était aussi la nounou.
Quand Nati naquit en 1998, il fut scolarisé et il montrait
des signes prometteurs ; il s’intéressait à la géographie, au calcul, à la
grammaire et au dessin. En 2004, mon père adoptif m’envoya à Londres. J’allais
étudier dans un collège militaire et faire la médecine à l’université. Ce fut
un bon présage pour mes parents qui voyaient Nati et moi plein d’avenir.
Papa était bon musulman. Malgré les difficultés, il avait
toujours préservé sa tendance à croire que ses économies serviraient à assurer
l’éducation de ses tout derniers enfants, leur donner une chance d’avoir une
vie plus souriante que la sienne. Malheureusement, il serait bientôt ruiné par
cette maladie qui le rongerait avec acharnement. Mai 2006, alors que naissait
Saba le septième enfant, un grand malheur arriva : mon père adoptif
décède, empoisonné lors d’un dîner. Son épouse, une femme svelte et élancée du
nom d’Oana, avait toujours détesté aussi bien maman que papa, sa mort n'y
changeait rien. Elle les traitait avec autant de mépris et finit par les virer
à tour de rôle sans même verser leurs dernières payes.
Au fil des ans, papa vieillissait à vue d’œil, il perdait du
poids, le blanc de ses yeux jaunissait et il présentait quelques fois des
confusions mentales. On lui diagnostiqua une maladie du foie aiguë. Mais le
traitement de sa maladie n’était pas une mince affaire, et l’argent venait
bientôt à manquer. Maman avait fort à faire ; non seulement, elle devait
s’occuper de lui, mais aussi de mes frères (Manalebesh, Nati et Saba), et
trouver un nouveau travail, elle n’avait même plus le temps d’avoir des amis.
Nati prêtait une attention distraite aux discussions de nos
parents, mais c’est quand maman fut embauchée à la mairie d’Adama pour deux
fois moins ce qu’elle gagnait chez mon père adoptif, que la ration alimentaire
diminua, et qu’il n’y avait plus d’argent pour ses livres, qu’il commença à
s’inquiéter. Il était sensible à la souffrance de maman, il l’avait toujours
bien aimée, qu’il décida d’alléger ses efforts au profit de Saba. Ce qu’il se
rappellerait toujours, ce fut le jour où il surprit maman en train de se
tailler les veines ; elle souhaitait mourir, mais il était là pour l’arrêter et
alerter les secours. Ce drame allait sans doute bouleverser la personnalité de
mon frère pour le reste de sa vie.
Alors, se sacrifier pour que la petite Saba puisse être
entretenue et scolarisée avec le reste de l’argent, Nati n’y voyait rien
d’autre qu’une nécessité. « L’aventure, oui pourquoi pas ? », ce fut son idée.
Après tout, il rêvait de faire de la peinture en Europe, et il avait bien
entendu quelqu’un sur qui compter là, quelqu’un chez qui habiter : bien sûr,
moi qui rentre bientôt à l'université de Liverpool. Je partagerai mon
appartement avec lui et un camarade étudiant.
Au départ, Nati ne savait pas trop comment s’y prendre, parce
qu’il n’avait ni argent, ni passeport, et même s’il en avait, sa demande de
visa ne serait sûrement pas prise en compte. Le fonctionnaire de l’ambassade
lui dirait probablement que son dossier n’était pas au complet, et que sa
demande de visa ne pouvait pas être considérée. Comme je le connais, Nati
insisterait peut-être, il dirait qu’il était bon dessinateur, il fatiguerait le
fonctionnaire de ses supplications, et lui demanderait s’il pouvait l’aider,
mais ce dernier lui répondrait encore probablement : « Écoutez Monsieur, je
vous dis que votre dossier n’est pas recevable, je ne peux rien pour vous. Mais
si vous insistez à le déposer, je le recevrai avec les frais de visa, sans même
consulter votre dossier, ni donner une suite à votre demande. Voulez-vous
toujours le déposer ? » Quelle arrogance cela devait être !
Et encore, s’il arrivait à ce que son dossier soit complet,
l’ambassade se réserverait toujours le droit de donner son visa à qui elle
voulait, sans rendre compte à personne.
Tout bien considéré, Nati voulait me rejoindre à Liverpool,
et moi, je voulais l’accueillir, un simple devoir de famille et de sang. Mais
les passeports, les visas bidon et machins ne l’intéressaient pas, car il
savait qu’il y avait un moyen de contourner toutes ces formalités grossières,
néanmoins il fallait de l’argent, beaucoup d’argent même, parce que les
passeurs ne négocient rien du tout.
Nati emménagea ensuite à Addis chez Abeba où il associa le
job de laveur de voitures et de cireur de chaussures. Il prit également part à
des activités de revente de drogue, de jeu, de racket et à des cambriolages.
Recherché ensuite par la police pour avoir essayé de voler la montre d’un
touriste suédois, de près de mille dollars US qu'il avait laissée dans une
bijouterie pour la faire réparer, Abeba le planqua chez l’une de ses amies,
jusqu’au jour où il envisagea un grand coup risqué plein d’étincelles : se
venger de Mme Mercha pour le mauvais traitement qu’elle avait fait subir à nos
parents et pour finir, la voler. Là aussi, mon frère n’y voyait rien d’autre
qu’une nécessité.
Après avoir fui Addis, il retourna à Adama, et réussit de
façon rocambolesque ce qu’il projetait. Lorsque maman apprit ce qu’il avait
fait, elle prit aussitôt la fuite et se réfugia au nord du Kenya chez sa sœur
cadette, une infirmière, avec papa, Manalebesh et Saba. Avec l’aide d’un ami
d’enfance, Nati avait mis la main sur l’une des boîtes à bijoux de la veuve,
après avoir tabassé le gardien, drogué et ligoté la nouvelle ménagère de la
maison. Il dilapida une grande partie des bijoux, mais garda quelques-uns
et récolta 273 276 birrs. Il envoya ensuite à nos parents 50 000 birrs (dont 20
000 pour Saba), joints d’une lettre dans laquelle il leur exposait comment il
comptait me rejoindre.
Nous avions roulé toute la nuit (me disait-il après la
traversée méditerranéenne). Il y avait une dizaine d’embarcations. Plein de
femmes enceintes et d’autres mineurs non accompagnés comme moi. Mais le
lendemain dans la matinée, la météo avait changé de face, la mer était subitement
devenue très agitée. Notre rafiot menaçait de faire naufrage, nous avions été
secourus par un navire marchand italien. Malheureusement, des corps avaient
aussi été repêchés en mer et d’autres, asphyxiés, avaient été découverts dans
la cale d’un bateau de pêche bondé. Dieu est avec moi, mon frère…
J’ai fait connaissance avec Samira si bien qu'à notre
arrivée en Sicile, nous sommes devenus amis. Je crois que c’est avec elle que
je vais continuer le voyage. Elle est aussi en transit ; elle va en Allemagne.
Elle rejoint une vieille amie de son père à Francfort. Dans un anglais
rudimentaire, elle m’a expliqué qu’elle a fui le pays parce que son père était
condamné à un service militaire interminable, et que c’est lui qui l’avait
encouragée à tenter l’aventure européenne. Elle parle un arabe que je
comprends. Mais, je parle l’italien mieux qu’elle.
À via Cupa à Rome, nous avions partagé la même tente. Dans
ce camp indécent, il n’y avait ni eau courante, ni électricité. Ce sont les
branches d’arbres qui nous servent de sèche-linges, de porte-habits et de
parasols. Via Cupa est le principal point de chute des migrants en transit.
Deux semaines après notre arrivée, une cinquantaine, essentiellement des
Érythréens, des Soudanais, des Somaliens, et des Afghans, ont pris la route du
nord de l’Italie, direction Milan. Nous étions parmi eux, Samira et moi. On ne
se quitte plus elle et moi, on est uni par nos origines et surtout par notre
âge parmi des gens qui ont passé la vingtaine et la trentaine. Mais ce jour, un
couple romain de passage, Mario et Gabriella, nous a interpellé Samira et moi,
puis ont proposé de nous aider à obtenir l’asile ici ; ils sont écœurés par les
épreuves dantesques que les Africains subissent pour gagner l’Europe. Gabriella
nous a même offert des sandwichs de qualité. Une femme généreuse.
Mon frère et son amie avaient raconté au couple romain la
traversée et le naufrage de leur rafiot évité de justesse. Mais ils refusèrent
toutes les propositions faites pour les aider, ils se montrèrent intraitables,
car pour eux, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suède, voire le Danemark étaient
mieux que l’Italie.
Mario était pourtant certain qu’ils avaient beaucoup de
chances d’être régularisés en Italie, et leur situation lui tenait à cœur.
Mario et sa compagne essayèrent en vain de les convaincre de rester. Ils les
hébergèrent pendant une semaine et les conduisirent jusqu’à Côme au nord de
l’Italie, en leur donnant de nouveaux vêtements, des chaussures, des articles
de toilette et un peu d’argent. Ils voulaient se rendre dans un camp à Milan,
mais Mario pensa que les déposer dans un camp à Côme serait mieux, parce que
cette ville était encore plus proche de la Suisse.
Crois-moi, à Milan et à Côme (disait Nati au
téléphone), les camps de réfugiés sont encore plus sauvages et plus indignes
qu’à Rome. C’est là que le départ pour l’Europe du Nord s’organise. À Côme, on
guette perpétuellement l’ouverture, le chemin escarpé par lequel on peut
quitter l’Italie. L’Italie est un foutoir mon frère. Mario a proposé de nous
aider encore, au cas où nous serions refoulés à la frontière suisse. Mais
j’espère que ça n’arrivera pas.
Le couple romain semblait bien connaître la situation à Côme
; des centaines de migrants bloqués après avoir été refoulés à la frontière suisse,
dormaient dans un parc public tout près de la gare Como San Giovanni. Certains
souffraient de problèmes de sous-nutrition, de syndromes de stress
post-traumatiques et de maladies de peau. Nati et Samira essayèrent aussi par
deux fois de rentrer en Suisse, mais leurs tentatives furent avortées
lorsqu’ils butèrent sur la douane de Chiasso au Tessin. Ils finirent par
trouver refuge dans une petite paroisse de Rebbio, un quartier populaire de
Côme, où ils appelèrent Mario qu’ils implorèrent pour qu’il les fasse quitter
l’Italie par la France.
Puis une nuit, aux environs de vingt-trois heures, alors
qu’ils étaient enroulés dans des couvertures le long du quai de la gare, un
jeune bénévole de Caritas Internationalis [2]s’approcha
d’eux. Il tapota Nati qui réveilla à son tour Samira. « C’est vous Nati ? » se
rassura-t-il avant d’annoncer : « Mario m'envoie vous chercher. » Le bénévole
leur demanda de ne prendre que les sacs et les présenta à deux hommes, l’un
était un policier chauve et l’autre avait un visage de plâtre. Ce dernier leur
serra les mains, et les embarqua à l’arrière d’un fourgon en leur disant d’un
ton tendre : « C’est vous les amis de Mario ? Montez, on vous emmène en France.
» Les deux aventuriers prirent peur à la vue de ces inconnus, mais rien que le
nom de Mario et de Gabriella les rassurait, et leurs visages sales et crispés
devinrent radieux. Ils ont ainsi quitté ce camp immonde où des centaines
d’autres migrants restés sur place, attendaient dans l’incertitude, la
désolation, et la maladie. À l’arrière du fourgon, Samira s’était endormie très
vite à côté de mon frère qui récitait des prières. Le fourgon s’était dirigé
vers le sud-ouest, et était entré en France par la Strada Statale 24 del
Monginevro.
Tandis qu’à cinq heures du matin, le fourgon était en région
Provence-Alpes-Côte d’Azur, près de la gare de Viévola, les policiers avaient
réveillé Nati et son amie, et leur avaient donné (toujours à l’arrière) deux
bouteilles de lait demi-écrémé, des croissants, et de l’eau minérale. « Vous êtes
en France, leur chuchota le chauve, vous continuerez le voyage avec une autre
voiture. »
Nati avait sur lui une petite carte de l’Europe, et quand le
policier l’informa qu’ils iront dans une commune nommée Lautenbach, dans le
Haut-Rhin, il annonça à son tour à Samira que l’Allemagne serait tout près, car
celle-ci le critiquait ouvertement de l’emmener en Angleterre plutôt qu’en
Allemagne. « Tu ne m’aides pas, lui disait-elle le visage grave, tu ne penses
qu’à toi, je ne te suivrai pas jusqu’en Angleterre, je prendrai ma route quand
j’en aurai l’occasion.»
À six heures, ils furent confiés à deux Français à bord d’une
Renault Clio IV noire, direction Lautenbach. Le chauve tendit alors à Nati deux
demandes d’asile manuscrites pour l'Italie et murmura : « Tenez ceci, au cas
où. Et quoi qu'il arrive, soyez toujours ensemble, serrez-vous les coudes. »
Le trajet dura près de huit heures, sans passer par la
Suisse. À ce niveau de l’histoire, Nati et Samira savaient que le couple romain
usait d’une influence certaine pour leur donner de précieux coups de main, mais
en vrai, ils ne savaient pas grand-chose, ils ignoraient que le couple n’était
pas romain, mais napolitain et de surcroît, des membres de la Camorra. Leurs
activités : le trafic d’animaux exotiques, le trafic de plutonium et d’êtres
humains, si bien que la facilité avec laquelle ils les firent entrer en France,
correspondait à celle avec laquelle ils faisaient circuler leurs marchandises
dans une trentaine de pays au monde.
Les deux hommes à la Clio habitaient dans une vieille et
commode maison à pans de bois, dans un endroit merveilleux proche de la
collégiale Saint-Michel au nord de Schweighouse, un beau petit village de
Lautenbach.
Edgar a une chouette amie, Marguerite. Elle a poché un
saumon à l’aneth, que nous avions mangé avec des pommes de terre nouvelles, une
salade de cresson et œufs durs, parfumée à la ciboulette. Edgar parle bien
l’anglais avec un accent allemand. Il a un nez fin recourbé en bec
d’aigle que Samira quitte rarement des yeux. Il nous a dit que Mario était son
ami d’enfance et que ce dernier lui avait demandé de nous conduire à
Schweighouse et de nous héberger le temps qu’il faudra. Je lui ai annoncé qu’un
passeur m’attendait à Calais pour m’emmener en Angleterre. L’autre s’est alors
indignée. « Dans cette saloperie de jungle ? » a-t-il crié.
Samira a dit qu’elle se rendait en Allemagne à Francfort, et Edgar lui a dit
que Francfort était environ à six heures de route de Schweighouse. Ils nous ont
donné des chambres libres en haut…
Nati et Samira passèrent la nuit dans le même lit, ils
écartèrent la possibilité de dormir séparément, et dans des chambres
différentes, ça aurait été pour eux une première depuis plusieurs semaines. En
cette nuit d’été, dans le doux lit de cette étonnante maison à pans de bois au
nord de ce village inconnu qu’est Schweighouse, les deux amis réalisaient la
chance qu’ils avaient d’avoir rencontré Mario et Gabriella. Après une douche
chaude bien méritée, ils étaient tellement contents que dans le lit, Samira noua
ses bras autour de Nati et se serra contre son dos. Pendant un moment, ils
commençaient à chanter, avant qu’elle n’autorisât sa main à se promener vers
l’érection de Nati. « C’est peut-être l’une des dernières fois où on est
ensemble », susurra-t-elle en lui passant la main dans les cheveux.
Puis on s’est fait face, dans le noir, et je lui ai
embrassé les paupières, le bout du nez, ensuite les lèvres. « Je ne
suis pas la seule à avoir envie de faire l’amour » a-t-elle murmuré. J’ai
répondu que tout me manquait aussi.
Au sommet de leur puissance sexuelle, un garçon de dix-huit
ans et sa compagne de seize ans, sont capables de faire et refaire l’acte un
nombre de fois stupéfiant au cours d'une nuit, et ce fut le cas de ces deux-là
cette nuit, et durant leur séjour chez les deux Alsaciens.
Samira tente d'appeler la vieille amie de son père qui est
à Francfort, mais son numéro ne fonctionne pas et quand ça passe, elle ne
répond pas. Cela met Samira dans tous ses états, elle refuse parfois de manger
et pleure. Quand elle me tourne le dos la nuit, je sens qu’elle pleure, ses
épaules sont agitées de secousses, mais elle ne fait pas de bruit.
Une seule fois, cette femme a répondu et lui a annoncé
qu’elle aimerait bien l’accueillir chez elle, mais qu’elle traversait une
période difficile, elle évoquait notamment l’incendie de son appartement.
Samira sait qu’elle ment, et elle a commencé à réaliser que le rêve allemand
pourrait bien devenir une tragédie.
Moi, je suis tombé sur un passeur dont j’avais le numéro depuis
le pays. Il m’a indiqué ses tarifs si je souhaite rejoindre l’Angleterre à
l’arrière d’un camion, dans un bateau de pêche ou dans un bateau de croisière.
Edgar m’a informé que si on voyage par voie terrestre, le risque de se faire
arrêter est plus important. Avec la complicité des membres de l’équipage, le
voyage à bord des bateaux de croisière est généralement plus assuré. Ça coûte
en contrepartie assez cher, deux mille euros, frère. Mais je suis prêt à
débourser cette somme.
Les dangers qui jonchent le parcours des migrants sont
inouïs. Le voyage de Nati et de Samira n’était pas matière à rire. Grâce à eux
et à la profondeur de leur histoire, j’ai tenu un journal que je vous livre.
Les conteurs ont toujours le pouvoir de couper court à l’histoire, mais je
n’aurai pas pu le faire à ce point.
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