« J’ai
une bonne nouvelle ».
Voilà.
C’est tout. Juste quatre mots. Ce n’est pourtant pas grand-chose ! Il
existe des phrases beaucoup plus longues dont la signification peut être
beaucoup plus intéressante ! Pourtant, « J’ai une bonne
nouvelle » peut avoir plusieurs sens cachés.
Pour
moi, « la bonne nouvelle » n’en était pas une, bien au contraire.
Elle a changé ma vie, d’une façon à laquelle je ne m’étais pas préparé.
Et
je vais maintenant vous raconter comment.
****
Je
m’appelle Hector. Je vivais depuis quatre ans dans une très belle maison, en
compagnie des deux jeunes propriétaires : Jeanne et Eric.
Après
leur mariage, ils avaient décidé d’acheter leur premier logement. Ils avaient
d’abord hésité à s’installer dans un grand appartement à Lille, mais ils
s’étaient finalement laissé tenter par une très belle maison dans la campagne
Normande, où tous deux trouvèrent du travail très rapidement.
Jeanne
enseignait à des étudiants perturbateurs l’art des lettres modernes, tandis qu’Eric
était éducateur spécialisé pour des enfants atteints de handicaps physiques.
L’un comme l’autre adoraient être au contact des enfants. Et après trois ans de
vie commune, ils commencèrent à imaginer une vie où ils n’auraient plus
seulement à s’occuper des enfants des autres.
C’est
ainsi qu’au mois de juillet 2010, est née la très attendue petite Sophie. Elle
n’était pas plus grosse qu’un ballon de baudruche, mais Jeanne et Eric la
chérissaient comme s’il s’agissait de la huitième merveille du monde.
C’est
à ce moment-là qu’ils décidèrent qu’il était temps de « changer de vie et
de découvrir de nouveaux horizons ». Je n’ai pas compris tout de suite ce
que cela voulait dire, et en quoi ce changement pouvait impacter ma vie. Et je
le regrette aujourd’hui.
Eric
est arrivé un jour en courant dans la cuisine, tenant à la main un papier qu’il
serrait très fermement. Il criait à qui voulait bien l’entendre :
« j’ai une bonne nouvelle, une très bonne nouvelle ! ».
« Est-ce
que c’est…a demandé Jeanne en montrant le papier.
-
Oui ! »
C’est
alors que Jeanne s’est mise à crier également, serrant son mari dans ses bras
et exécutant avec lui quelques pas de danse au beau milieu de la cuisine. Moi,
j’observais la scène depuis l’escalier. Je n’avais alors aucune idée de ce que
pouvait bien être cette nouvelle. Mais j’avais comme un pressentiment.
Et
ce pressentiment s’est vérifié dès la semaine suivante. Déjà, depuis que Sophie
était née, Jeanne et Eric ne s’occupaient pratiquement plus de moi. J’étais
devenu invisible à leurs yeux, et je devais parfois me débrouiller par moi-même
pour trouver à manger.
Mais
depuis que cette « bonne nouvelle » était apparue dans nos vies, tout
s’était aggravé. Je passais parfois des nuits entières dehors sans que personne
ne daigne venir m’ouvrir la porte. J’étais dans un tel état de solitude que je
tombais très facilement malade. Mais cela ne changeait en rien leur
comportement à mon égard.
Même
Sophie ne me faisait plus rire. Et pourtant, Dieu seul sait à quel point
j’adorais jouer avec elle lorsqu’elle est arrivée dans cette maison.
Un
jour, alors que je rentrais de ma promenade quotidienne, je découvris la maison
vide. Depuis quelques jours déjà, les cartons s’empilaient dans l’entrée,
disparaissant petit à petit chaque jour sans que je sache où. Mais ce jour-là,
plus rien. Plus de meubles, plus de tableaux, ni même de cartons. Tout avait
disparu, ainsi que Jeanne, Eric et Sophie. Je ne savais pas quoi faire, ni que
penser. Quand allaient-ils revenir ? Devais-je m’inquiéter qu’ils ne
m’aient rien laissé avant de partir ?
Je
m’assis alors sur le sol, pensif. Au bout de quelques heures, un bruit de clé
dans la serrure se fit entendre. Je courus dans l’entrée, heureux qu’ils soient
enfin rentrés. Mais lorsque la porte s’ouvrit, c’est une tête inconnue qui me
fit face : un homme d’un certain âge qui me regarda avec incompréhension.
« Et
bien, qu’est-ce que tu fais là toi ? Ils sont partis sans toi ? Je
venais juste voir s’ils n’avaient rien oublié. »
L’homme
entra dans la maison sans y être invité, et fit le tour de chaque pièce pour
vérifier qu’il ne restait rien. Visiblement, le fait que je sois là ne
constituait pas un « oubli » à ses yeux.
Au
moment de repartir, il condamna mon accès personnel et m’obligea à sortir de la
maison avant de refermer la porte.
« Tu
ne vas pas rester là tout seul quand même ! C’est sûr, c’est triste
qu’ils soient partis sans toi, mais que veux-tu, c’est comme ça lorsque l’on
est muté. Ils attendaient ça depuis si longtemps ! Les Alpes, ça a
toujours été leur rêve, ils ne pensaient plus qu’à ça depuis quelques
temps. »
Je
ne comprenais pas. Qu’est-ce qu’une mutation ? Et où se trouvaient ces
fameuses Alpes ? Peut-être pouvais-je les rejoindre ! S’ils me
voyaient arriver dans leur nouvelle maison, peut-être me laisseraient-ils vivre
de nouveau avec eux ? Ils auraient vu que je ne leur en voulais pas de
m’avoir oublié.
Ce
soir-là, l’homme me laissa dormir chez lui. Mais dès le lendemain, je fus mis à
la porte. Visiblement, il considérait n’avoir aucun compte à me rendre, et
plutôt que de m’aider, avait décidé de me laisser livré à moi-même.
Seul,
sans abri, je n’avais alors qu’une solution : partir à la recherche de
Jeanne, Eric et Sophie. Pendant des mois, je marchai en direction des Alpes, me
fiant aux directions indiquées par des inconnus et guidé par mon instinct. J’ai
bravé la pluie, la neige, et toutes sortes de mésaventures, dans le but de
retrouver ceux que je chérissais tant.
Il
m’est arrivé de pleurer, inconscient du temps qu’il me faudrait pour traverser
cette épreuve. Mais jamais je n’ai abandonné. Leurs visages guidaient ma route.
Je
ne leur en voulais pas, je savais qu’ils devaient avoir une bonne raison pour
m’avoir laissé là-bas. Peut-être avaient-ils dû partir en urgence, et ne me
trouvant nul part au moment du départ, avaient décidé de s’en aller, les larmes
aux yeux, en se promettant de revenir me chercher dès que possible.
Je
voulais leur éviter de se sentir coupable. Je voulais me jeter dans leurs bras,
et leur montrer que je leur pardonnais tout, qu’on pouvait repartir de zéro en
oubliant ce passage de nos vies qui n’avait pas été une réussite.
Cette
idée me poussait à avancer toujours plus loin. Je voulais retrouver mon
confort, mais pour cela, je savais que je devais souffrir avant. Souffrir de
faim, de fatigue, de solitude.
Un
jour, alors que je dormais tranquillement sous un pont, quelqu’un m’a attrapé.
J’avais beau me débattre, je n’étais pas assez fort contre cette main qui me
maintenait le cou. On m’a enfermé dans une voiture. Il faisait noir, je ne
savais pas où on m’emmenait. Tout ce que je savais, c’est que j’avais peur.
Vraiment peur.
****
« Et
voilà comment je suis arrivé ici.
-
Et bien mon vieux, tu n’as pas eu une vie
facile. Mais tu sais ici, d’autres ont eu encore moins de chance que toi. Tu
vois Sylver là-bas ? Durant plus d’un an il a été battu chaque jour pour
des raisons qu’il n’a jamais comprises. Et Ginger qui est là, a passé un mois
entier enfermée dans un placard car elle a eu le malheur de casser un vase
d’une grande rareté. Nous avons tous une histoire triste à raconter, moi y
compris. Tout ce qui nous maintient en vie maintenant, c’est l’espoir d’être
envoyés un jour dans une meilleure famille. Alors on attend, et on espère.
Tiens en parlant de ça, c’est l’heure des visites. Fais-toi beau ! »
La
porte s’ouvre, et une ribambelle d’enfants entrent en courant dans la pièce,
suivis un peu plus loin par leurs parents. Les enfants s’arrêtent devant chaque
cage, souriants et riants un peu plus à chaque nouvel animal qu’ils découvrent.
Une
petite fille s’arrête devant la cage d’Hector. Elle le regarde longuement, un
grand sourire sur les lèvres et les yeux pétillants.
« Oh
maman maman, est-ce que je peux avoir ce petit chat ? Il est tellement
mignon ! »
La
maman s’approche et observe le chat roux qui se met à ronronner.
« C’est
vrai qu’il est mignon. Quel âge a-t-il ?
-
5 ans madame. »
La
femme se tourne vers sa petite fille.
« Tu
n’en a pas vu un autre ? Il n’est pas tout jeune.
-
Non maman, c’est celui-là que je veux,
j’en suis sûre !
-
Bon très bien. Alors c’est
d’accord. »
La
petite fille pousse un cri de joie et attrape avec délicatesse le petit chat qu’on
lui tend. Elle passe plus d’un quart d’heure à le caresser et à jouer avec lui.
Hector
se plait tellement avec cette petite fille qui prend soin de lui, qu’il a peur
de se réveiller dans sa cage, et se rendre compte que tout ceci n’était qu’un
rêve. Mais lorsqu’on le fait entrer dans un sac bien douillet, et que la petite
fille le transporte à l’extérieur du bâtiment pour l’installer sur la plage
arrière de la voiture, il doit se rendre à l’évidence : il a trouvé une
nouvelle famille. Il espère simplement que sa nouvelle vie se terminera mieux
que la précédente. Bien entendu, il n’a pas oublié Jeanne, Eric et Sophie. Mais
depuis quelques temps déjà, il se demande s’il serait parvenu à les retrouver
un jour. Et même dans ce cas-là, l’auraient-ils accepté ? Après-tout,
peut-être l’avaient-ils laissé volontairement…
Alors
que la voiture s’éloigne, il observe avec tristesse le panneau « Refuge de
la forêt » accroché au-dessus de la porte du bâtiment qu’il vient de
quitter. Il espère que ses camarades auront également la chance de pouvoir un
jour profiter de la vraie liberté. Cette liberté qu’ils méritent tous
tellement, mais que certains humains sont si enclins à vouloir leur enlever.
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