J’ai une bonne nouvelle. Une nouvelle
d’une femme dévouée qui a crée une vie a partir d’une aiguille !Je vous
laisse découvrir.
Il faisait
un temps terrible cette nuit-là ; il pleuvait des cordes et des hallebardes. Chaque goutte
donnait l’impression d’être continue, unie en un fil liant le ciel et la terre; le vent, enrageant les arbres, avariant ça et
là des plantes en en abattant des fleurs, soufflait impétueusement. Partout, la
vie gémissait, grelottait de froid,
tellement il gelait à pierre fendre. L’horizon
devint une chaîne montagneuse avec de gros nuages tellement noirs qu’on ne
pouvait distinguer la terre du ciel. En ce moment, on dirait d’apocalypse, chaotique, Sidi
Mohammed fit irruption, seul, dans une
rue balayée et déserte.
C’était un homme qui frisait la quarantaine, jouissant d’une grande taille bien
fuselée. Ses cheveux, ainsi que sa
moustache, étaient grisonnants. Quant à
sa physionomie, elle était parfaitement belle, mais, son visage portait tout de
même des témoignages d’un passé querelleur : son visage avait une
cicatrice sur la joue droite ; serait-ce là la raison qui le poussait à
s’habiller en noir et à cacher sa figure
avec un cache-col ?
Avant une heure, cet homme secret
était en réunion avec le mouvement national qui luttait contre le colonisateur.
Arrivé à sa modeste demeure construite en argile, située dans un
quartier populaire, Sidi Mohammed trouva sa femme LallaLakbira
en train de nourrir, elle-même, son fils Ali. Elle était une femme fidèle,
sincère et sage. Elle était âgée de trente-six ans, de taille moyenne. Les
traits de son visage faisaient penser à une femme de Souss. Elle était
assise sur un tapis où jouaient des miettes de pain. La teinte originale de ce tapis était
métamorphosée, avait complètement perdu son éclat d’origine à tel point qu’il
était difficile de savoir si elle avait été autrefois beige, blanche ou jaune.
Près d’elle, une armoire à glace
sombre et noircie par cinquante ans
d’usage, occupait le coin droit de la pièce près de la fenêtre. À gauche, une
porte, fermée par un verrou, donnait accès à la chambre voisine. La jeune femme
remarqua :
« Tu es revenu !
Sidi Mohammed, je sais que tu fais
l’impossible pour que notre pays soit
indépendant, personne ne peut le nier, seulement il faut être
prudent ! ».
Sidi Mohammed
jeta un coup d'œil froid sur sa femme et alla dormir sans rien dire.
Cette humble famille vivait péniblement de soupe et du pain molli dans
l’eau où LallaLakbira avait cuit quelques pommes de terre.
Chaque lendemain, à la pointe de l’aube,
sous les lueurs blafardes imbues de fraîcheur nocturne, le pèrede
famille partait en quête des vivres lui
permettant de subvenir aux besoins de sa famille.
Lors d’une nuit froide de Mars,LallaLakbira eut vécu une nuit on ne peut plus
foudroyante : elle reçut la pire nouvelle allant ternir sa vie.
Sidi Mohammed,
sa raison d’être, le sens de sa de vie et la source de son amour fut
décédé. Quand elle reçut la nouvelle, sa
vie s’effondra dans la misère et sous la désolation. D’un seul coup, elle s’étiola, devint morne,
se flétrit telle une fleur d’automne. Le soir de sa vie allait-il sonner ?
Même les fourmis dans leur terrier
s’apitoyèrent sur son sort, même les murs qui entouraient la pauvre
famille pouvaient compatir pour la douleur intense, lancinante qui assiégeait,
dans un silence lugubre, sa pensée. Des
nuits blanches pouvaient témoigner des affres de son isolement et de son deuil.
Elle se fut atrophiée à verser de chaudes larmes.
Qu’attendait-on d’une veuve perdue dans ses tortures ? Que
devait-elle faire, elle qui fut livrée à elle-même, dans ce monde impitoyable, inflexible et
implacable ? Elle n’avait même pas
enterré son mari ! Elle ne savait même pas où était son cadavre !
Passèrent des jours et des nuits. Et, en dépit de tout cela, la triste
LallaLakbira recouvrit son stoïcisme et jura de continuer son chemin, contre
vents et marées, pourvu que son unique fils Ali, dernier souvenir de Sidi
Mohammed, eût tous les moyens de vivre heureux.
Mais, le concours des circonstances, contrariantes, eut décidé autre
chose : notre brave femme, malchanceuse, fut
obligée de vendre sa propriété pour rembourser les dettes qu’elle eut héritées de
son mari !
En proie aux griffes du destin,
la mère d’Ali fut ainsi acculée à la misère, jusqu’à quand allait-elle attendre, et quoi
au juste, entre quatre murs ? Dans la chaumière, seule, rien qu’elle et le vide qui lui sonnait
sourdement dans les tempes; elle ruminait
des souvenirs qui n’allaient jamais se répéter, elle souriait et pleurait hystériquement par laps de temps.
Elle vivotait malgré elle sans se rendre compte qu’elle se dédoublait. Mais,
par intermittence, elle sentait quelque chose la piquer : c’était une
aiguille! LallaLakbira, pour gagner sa vie et parvenir à
nourrir son fils, eut acheté par un peu d’argent restant une bobine de laine et une aiguille. Elle brodait des motifs dans des tissus
qu’elle vendait chaque mardi à la kissaria moyennant quoi elle s’achetait de
quoi manger elle et son fils Ali.
Cet après-midi, Lalla Lakbira s’était laissé emporter par ces songes
comme une épave par des vagues affolées, quand tout à coup, Ali, exaspéré, cria :
-« Mais que
fais-tu maman ? Tu ne peux rien faire avec ces morceaux-là, réveille-toi et
accepte ton destin ! »
Ces mots durs étaient comme une épée qui fendit son cœur. Elle ne s’attendait jamais à ce genre de geste
venant de son fils qu’elle considérait comme relève d’espoir après son père.
Quelle déception !
Son tourment dura des jours, dura des semaines et des mois.
Entretemps, elle commença à sortir,
vêtue d’une djellaba blanche et chaussée de babouches également blanches, pour
vendre son ouvrage, quoique les coutumes et les traditions ne permissent pas
aux femmes de quitter leurs habitations. Pour observer ces us et coutumes,
LallaLakbira décida de vendre ses tissus à ses voisines et à ses proches. Et
peu à peu,
avec l’argent mis à côté, elle parvint à s’acheter de nouveaux
meubles. Le sourire,
comme une graine arrosée, se dessinait progressivement sur son visage.
Notre brave Lakbira allait-elle, au fil des années qui lui restaient à
vivre, retrouver le bonheur comme jadis
avec son mari subitement disparu ? Que
lui réservait-elle cette tiède matinée ensoleillée, alors que le printemps prodiguait largement à
la nature joie et bonheur ? Elle sentit, pour la première fois, une
certaine gaîté caresser son cœur jusqu’alors gros de chagrin. Etait-ce un
sentiment précurseur d’un événement heureux ? En tous cas,
ses sentiments viraient avec
l'habit au fond vert que la terre portait déjà, avec les fleurs qui souriaient, les oiseaux qui gazouillaient ou planaient dans l’azur.
Au moment où la tisserande, égayée par cette prémonition, dessinait des motifs comme d’habitude,
quelqu’un frappa à la porte. Sur le
coup, LallaLakbira posa son ouvrage, ouvrit la porte et resta étonnée,
figée et interdite : c’était Sidi Mohammed !
A tous ceux qui ont perdu l’espoir dans la
vie, LallaLakbira vous parle ! Venez apprendre une leçon de patience dans
sa vie ! Elle qui dormait en se disant toujours : « demain sera plus
beau qu’aujourd’hui ». Entendez
par là la sagesse du proverbe : « Tout vient à point à qui sait
attendre ! ».
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