«Devine qui j'ai vu...»
souffla-t'il.
Haletant, essayant de rassembler
ses esprits, il tenait son téléphone collé à l'oreille comme une ventouse.
« Je sais pas, il est 3 heures
du mat' ici, ça a intérêt d'être capital », répondit Dan.
Val avait du mal à contenir sa voix
tremblante de fureur.
« Eh ben alors?! Accouche
bordel! Pourquoi tu respires comme un bœuf?!
-
J'ai essayé de courir après sa voiture, mais il
s'est pas arrêté, pour un postier c'est quand-même con. Ça devait être sa fin
de tournée, je sais pas...
-
Attends mec, t'es en train de me réveiller parce-que t'as pas réussi à rattraper un
facteur? »
Faisant les cents pas sur la terrasse d'un café en Nouvelle-Zélande,
essoufflé, il tentait d'expliquer l'inexplicable à un ancien ami resté au pays.
Et Dan n'avait jamais été très malin. Ni très patient non plus.
« Lars. »
Le nom était tombé. Le silence qui
prit place lui sembla alors une éternité. Il imaginait parfaitement toute la
violence des pensées qui traversaient alors l'esprit de Dan en ce moment même.
Non pas qu'il ne la partageait pas, mais lui avait plus besoin d'explication
avant d'envoyer son ami six pieds sous terre, c'est-à-dire là où il était censé
être depuis dix ans.
« J'ai bien entendu?, demanda
la voix grave de Dan.
-
Oui. Pas de doute, c'est bien lui. J'étais à la
terrasse d'un café pour chercher des petites annonces d'appart..
-
Je me fous de ta vie. Viens-en au fait. »
Ignorant ce manque de respect qui
ne le surprenait guère, il continua :
« Bref, je lève les yeux de
mon journal, et là, qui je vois en train de distribuer du courrier à
côté : Lars. Alors le temps de me rendre compte que c'était vraiment lui,
il était en train de partir. Alors je l'ai coursé mais il s'est pas arrêté.
Cette ordure. Et voilà, je t'appelle. Il faut que tu viennes.
Dan garda le silence encore un
moment, puis finit par lâcher un soupir, non de fatigue, mais de tension
contenue.
-
Je prends le premier avion. Je te rappelle pour
te dire. »
Restant un moment assis à se
demander par où commencer, Val but son café d'une traite et rentra à sa chambre
d'hôtel, les yeux dans le vide, essayant d'organiser ses pensées, de rassembler
ses souvenirs. Lars était mort. Lars ne pouvait être que mort. Il était censé
l'être. Il avait brûlé dans l'incendie de sa voiture. On avait pas pu
l'identifier mais ça ne pouvait être que lui, c'était sa voiture. C'était lui. Ça ne pouvait être que lui. Et
pourtant... c'était Lars, son meilleur ami, qu'il avait vu déposer ce courrier,
et monter dans sa voiture. Il avait bien dix années de plus, gravées sur le
visage, mais c'était bel et bien lui. La dernière fois qu'il l'avait vu,
c'était juste avant le casse de la banque du rond-point, à Saint-Alban , ce
mercredi du mois de mai, dix ans plus tôt. Ça avait été un succès. Avec ce
qu'ils avaient raflé, ils étaient tous les trois peinards pour au moins cinq
ans. Ils avaient mis plus de deux mois à monter leur coups, Dan s'était même infiltré dans la banque sous
couvert de faire le ménage, et vu son jeune âge et son parcours officiellement
blanc, ils avaient accepté sa candidature. Alors entre deux coups de balais et
avant de vider les poubelles il observait, écoutait, notait. Tout était réglé
comme du papier à musique. Après avoir coupé l'électricité pour bloquer les
systèmes d'alarmes, Dan leur envoya le signal pour commencer le hold-up. Après
avoir fait passer le maximum d'argent par les guichetières, Val et Lars se
divisèrent. Val emporta avec lui des faux sacs bien plus gros pour partir dans
son «carrosse» comme il aimait l'appeler. Les gendarmes l'ont repéré évidemment
très rapidement, mais Val et ses talents de conducteur eurent tôt fait de les
semer. Le «carrosse» a fini dans le lac à quinze kilomètres, comme prévu. En
attendant, Lars sorti par l'arrière avec les vrais sacs pleins de billets dans
sa petite fourgonnette. Et il put rouler tranquillement étant donné que les
gendarmes étaient occupés dans leur course poursuite avec Val. Quant à Dan, il
continua de venir travailler les jours d'après pour ne pas éveiller les soupçons.
Il n'était pas le seul à avoir accès au boîtier électrique, et son casier était
encore vierge à cette époque. Val et Dan n'ont jamais été inquiétés de cette
affaire. De beaucoup d'autres, plus petites, par la suite, mais celle ci
s'était parfaitement déroulée. Excepté pour Lars. Sa voiture est rentrée dans
un poteau électrique, a pris feu suite à un défaut du moteur, et l'argent
s'envola en fumée, ainsi que Lars. C'était du moins ce qu'ils croyaient. Mais à
présent, il semblait que la tombe de Lars était occupée par quelqu'un d'autre.
L'affaire avait été résolue très vite, la police avait identifié la
fourgonnette de location, avait retrouvé le nom du locataire. Il n'y avait
aucune raison d'ouvrir une enquête. Moteur défectueux, point.
Tout ces souvenirs remontaient à la
surface comme de vieilles photos jaunies. Val posa son journal sur la table de
chevet, s'alluma une cigarette, tira une bouffée comme si la dernière remontait
à des années, comme si le goudron était en fait de l'air plus frais et plus
vital que l'oxygène. Il était parti à l'autre bout du monde pour fuir son
passé, ses années de prison, pour tenter de prendre un nouveau départ. Il ne pouvait pas avoir été floué comme ça.
Pas par Lars.Venant de Dan, à l'époque, ça n'aurait pas été étonnant. C'était
un petit nerveux qui voulait se prouver que c'était un dur. Il ne connaissait
pas grand chose à la vie de « gangster ».Mais pas Lars, non. Lui
faisait ça parce qu'il avait grandi comme ça. Son père était comme un héros
pour lui, parce-qu'il ne s'était jamais fait avoir, parce-qu'il avait arrêté à
temps. Val et Lars se connaissaient depuis toujours. Ils avaient grandi dans la même rue. Lars
régnait en maître dans le quartier, dès son plus jeune âge,en vendant des
bonbons piqués dans une épicerie du coin. Il se baladait dans la rue, à faire
des aller-retour devant les maisons du lotissement, comme un vrai petit caïd,
plein d'assurance. C'était limite s'il n'avait pas la clope au bec à dix ans.
Il ne commença qu'à douze. Il les tenait comme des cigares. Il mettait les
billets que les autres gosses lui amenaient discrètement dans une poche, et
ressortait les places de concert, paquets de clopes ou autre de l'autre. Sa vie
était déjà toute tracée. Le doute n'avait pas l'air de lui causer trop de nuits
blanches. Val, lui, était fasciné. Bien que ses parents lui interdirent
rapidement de le côtoyer, il ne lui en fallut pas plus pour oser aller lui
parler.
Et c'est comme ça que commença une
amitié qui dura plus de quinze ans. Au début, vers leur treizième année, Val
suivait Lars et observait ses manières de faire. Jusqu'à ce qu'il vole lui-même
un jour. Une revue porno, sa grande fierté quand il raconte sa «première». Lars
n'en était pas spécialement content, il essaya même pendant un moment de le dissuader
de faire comme lui. Mais Val était aussi une tête de mule, et son ami comprit
très vite que ses conseils ne serviraient à rien. Alors il lui apprit comment
ne pas se faire coincer. Et ils continuèrent à voler par-ci par-là, de plus en
plus gros, de plus en plus souvent, jusqu'à ce qu'ils veuillent quitter le
pays. Mais pour ça, il fallait faire plus gros. Et le plus gros qu'ils
pouvaient trouver sur leur terrain si familier, c'était cette fameuse banque du
rond point. Sauf que pour celle-ci ils avaient besoin de quelqu'un d'autre. Et
ce fut Dan. Avec sa cicatrice sur la joue, faite par son père avec un tesson de
bouteille un soir de beuverie supplémentaire, il se faisait passer pour un
gangster auprès des filles et il paraîtrait même que ça marchait quelques fois.
Et à force de faire parler de lui comme d'un caïd, on a fini par lui proposer
un vrai boulot de caïd. Et il le fit bien. Et tout allait bien dans le meilleur
des mondes, jusqu'à ce poteau électrique sur la D23.
Tous les ans, Valentin va sur la
tombe de Lars, y dépose une couronne de fleurs, glisse une revue pour adulte
dessous, et reste un moment à se souvenir. A parler parfois. Parce-qu'un ami
comme ça, même de l'autre côté il continue à vous écouter. Mais ce jour-là, à
cette terrasse de café, il s'avéra que cet ami n'était pas mort, et qu'il
l'avait trahi de la pire manière qui soit. Se faire passer pour. Et en plus
partir avec l'argent. Parce-qu'il n'avait pas pu faire un coup pareil si ce
n'était pour récupérer l'argent pour lui seul. Mais comment avait il fait? Qui
était ce cadavre dans la voiture? Pour répondre à ces questions, il fallait de
toute manière le retrouver. Rien de plus simple, attendre le lendemain au même
endroit, il finirait par passer. Le téléphone sonna:
«J'arrive Lundi à 18h, tu m'attends
avant d'y aller».
C'était Dan. Toujours aussi froid
et sûrement toujours plein de rage difficilement contenue.
Le lendemain, Val retourna à la
terrasse du même café, à 14h30, se gara à quelques mètres pour ne pas perdre de
temps quand il devrait regagner sa voiture, s'assit à la table la plus discrète
de la terrasse, dans un coin à moitié caché par les plantes qui délimitaient la
terrasse, ouvrit un journal, et attendit. Une quinzaine de cigarettes et trois cafés plus tard, son sang bouillonnait
d'impatience, il n'avait pas osé aller aux toilettes pour soulager sa vessie,
il finit par demander au serveur si le postier n'était pas censé passer à cette
heure. Il lui apprit alors que le dimanche était le seul jour où les postiers
ne travaillaient pas. Après avoir foncé aux toilettes en se sentant légèrement
bête, il décida donc d'aller marcher pour évacuer toute la tension accumulée
par cette attente infructueuse et surtout frustrante. Dan, en escale en Chine
et attendant son prochain vol, l'appela:
«Alors, t'as du nouveau?
-
Non, à part que les postiers bossent pas le
dimanche.
-
Bon. Donc demain normalement il sera là?
-
Normalement.
-
Ok. Tu m'attends, hein?! Tu le suis, tu le lâche
pas d'une semelle, mais tu m'attends! Je veux aussi lui faire la peau à cet
enfoiré de voleur.
-
Plutôt cocasse pour un..
-
Pour un quoi?
-
Rien, laisse tomber, t'inquiète pas je le suis,
je t'enverrai un message quand j'aurai son adresse. Je t'attendrai devant.»
Sur ses mots, ils raccrochèrent.
Les paquets de cigarettes s'épuisaient à une vitesse considérable. Dan était
fou de rage pour l'argent. Val l'était pour les promesses. Ce n'était même pas
de la rage qu'il ressentait, mais une tristesse si violente qu'elle devrait
s'exprimer, et par-dessus tout il voulait des explications.
Il ne dormit pas de la nuit. Il
marcha dans les rues sans trop savoir où il allait, mais il ne pouvait pas
rester immobile avec toutes ses pensées. Le matin, épuisé mais les nerfs à vif
et toujours incapable de fermer les yeux, il décida d'aller directement au
café. Il attendrait là, sûrement pendant des heures puisque Lars n'arriverait
normalement qu'à 15h, mais au moins il était sûr de ne pas le louper. Il
choisit de nouveau la même table, la plus discrète, au cas où Lars passe dans
le coin avant son travail. Ce qui n'arriva pas.
Ce furent les sept heures le plus
longues de sa vie. Il ne voulait pas rentrer en salle de peur de le louper,
alors il resta dehors, au soleil, sa peau supportant minute après minute les
attaques violentes du soleil sur son visage. Il n'avait pas pensé à prendre de
chapeau, et pour rien au monde il ne quitterait sa terrasse, hormis pour vider
les litres de café qu'il avait bu. Il était quinze heures, Lars n'était
toujours pas là. Pensant qu'il allait finir par tomber dans les pommes, Val
appela un serveur pour lui demander si le facteur était bien censé passer ce
jour-là. Et c'est là qu'il le vit arriver. Au volant de sa fourgonnette, qu'il
remarqua être du même genre que celle du vol de la banque dix ans plus tôt.
Lars descendit avec une liasse de courrier dans les mains, les déposa dans la
boîte aux lettres juste à côté du café, et retourna à son véhicule. Dès qu'il
eut tourné l'angle de la rue, Val se rua sur le trottoir pour démarrer en
trombe dans sa voiture de location et suivre la fourgonnette de Lars, qui, pour
le coup, était bien reconnaissable, et de loin, avec ses couleurs jaunes et
rouges. S'ensuivit alors deux heures d'arrêts réguliers, où Val eut beaucoup de
mal à se camoufler. Mais bien heureusement, il avait eu un bon maître dans
l'art de ne pas se faire coincer. Au bout de ces deux heures, il vit Lars
arriver au bureau des postes, puis ressortir quelques minutes plus tard au
volant d'une petite Nissan. Étrange pour quelqu'un qui était censé pouvoir
rouler en Ferrari. Tout comme le fait d'avoir un travail d'ailleurs. Mais Val
n'en était plus à une interrogation près. Il le suivit en dehors de la ville,
en restant toujours à deux ou trois voitures derrière, sur une route qui
s'enfonçait dans les bois. Puis, d'un coup, il tourna sur la droite, dans une
petite allée visiblement privée. Val se gara quelques mètres plus loin sur le
bas côté, et décida d'y aller à pied. Il suivit alors l'allée bordée de bambou
jusqu'à un petit renfoncement sur la droite qui ouvrait la vue sur une petite
maison de bois, très modeste, et visiblement ancienne. Tout ça n'avait encore
une fois aucun sens. Mais la Nissan était bel et bien garée devant. Après
s'être caché parmi les bambous, Val envoya un message à Dan pour lui indiquer
l'adresse. Et il se prépara à attendre et observer un bon moment encore. Mais
l'attente de Dan était bien plus dure. Il sentait l'effet de ses nombreux cafés
accélérer son cœur, couplé à l'impatience, le manque de sommeil, et sa
nervosité accumulée depuis deux jours, il était à deux doigts d'exploser. Mais
Dan arriverait dans moins d'une heure, il suffisait de s'allonger et d'attendre
encore un peu. Ce qu'il fit. Malgré la nuit qui commençait à tomber, son corps
était en train de bouillir, il sentit alors les coups de soleil lui brûler le
visage. Ses veines dilatées, son sang pulsant comme un damné, lui martelant les
tempes pour augmenter sa migraine, il croyait abandonner pour revenir le
lendemain, quand soudain, la porte de la vieille maison s'ouvrit. Il se redressa
doucement pour voir la silhouette de Lars dans l'encadrure de la porte. Il
avait un gros sac poubelle dans les mains. Il ferma la porte derrière lui et
s'apprêta à traverser l'allée jusqu'à la route principale. Son air guilleret,
insouciant, comme si son passé n'existait pas, sa démarche légère en passant le
portail, tout ne faisait qu'attiser la haine de Val qui ne put se retenir. Il
lui sauta au cou, comme un chien en furie, il lui écrasa le crâne violemment
contre le béton, lui maintint la tête contre le sol et fit glisser entre ses
dents :
« Alors comme ça, on se la
coule douce à l'autre bout du monde ?»
Lars, qui peinait à retrouver ses
esprits suite au choc, montra des yeux immenses et effrayés quand il reconnut
le visage de son ancien meilleur ami. Après quelques secondes de balbutiements,
il le supplia de l'épargner, hurlant qu'il avait une femme et deux enfants,
qu'il ne voulait pas mourir comme ça. Demandant des explications, Val le
maintenait en le tenant par les cheveux, et écoutait avidement :
« Je regrette. Je regrette
tellement si tu savais. J'ai pas touché à ce fric de merde. J'te le jure. J'ai
déconné. Je sais. J'ai fais la pire connerie de toute ma vie avec toi.
-
Tu peux le dire, fumier. Tu m'expliques comment
t'as pu laisser tes amis derrière toi et te faire passer pour mort?
-
Ecoute, c'était pas prémédité. Je te jure au
début je voulais faire comme on avait dit, on se retrouvait à la gare, on se
divisait tout ça en trois et on se quittait un petit moment pour brouiller les
pistes et profiter du magot. Je sais. Tu me fais mal ..
-
Evidemment que je te fais mal enflure! Je te
lâcherais pas tant que t'auras pas fini ton histoire de pourri! »
Continuant son histoire à toute
vitesse, il ne se laissait plus une seule seconde pour respirer :
« Ok ok ok. Bon, je voulais
suivre le plan, je te jure, et puis je me suis rendu compte que j'avais 400 000
balles dans le coffre, enfin je veux dire, j'en ai vraiment pris conscience tu
vois? On avait jamais mis la main sur un tel magot, alors j'ai eu comme une
absence, comme un moment de blanc et puis quand j'ai repris conscience j'ai vu
ce mec au bord de la route, et je l'ai percuté. Alors là tu me connais, je suis
un voleur, pas un assassin, alors j'ai paniqué. Comme un gamin j'ai paniqué.
J'ai transporté le mec dans la voiture, côté conducteur, j'ai bidouillé un peu
le moteur, j'ai vidé le bidon d'essence de secours sous la voiture, tout
partout, j'ai sorti le fric, j'ai craqué une allumette et je l'ai balancé dans
le feu avant de courir aussi loin que je pouvais. Je me suis dit qu'avec un peu
de chance on pourrait pas trouver l'identité du gars. Et puis j'ai été pris en
stop. J'ai dit que je partais en voyage pour justifier les sacs. Du coup le mec
m'a emmené à la gare la plus proche. Et j'ai été lâche, je suis parti à Paris,
prendre un avion pour le pays le plus loin possible de mon double crime. Celui
d'avoir tué un homme, et celui d'avoir trahi mon ami. Je suis désolé pour Dan
aussi. Je sais je suis un crétin, une ordure, tout ce que tu veux, mais le fric
tu peux le reprendre, j'ai pris que ce dont j'avais besoin pour l'avion, sinon
il reste tout.
-
Tu vas me faire croire qu'il reste tout ce
pognon quelque part après dix ans ?
-
Il est sous mon parquet. Dans le salon. J'ai
pensé à vous le ramener au début, mais j'avais trop honte ; et j'avais
aussi trop honte pour m'en servir. Alors tout est là. Et ça me pourrit la vie
depuis dix ans. Je pensais à trouver un moyen pour le laisser à mes gosses mais
je ne savais pas comment le faire sans qu'ils ne me suspectent. Parce-qu'ils ne
savent rien. Tu t'en doutes.
-
Ça serait plutôt une bonne vengeance je trouve,
plutôt que de te trouer la peau, je fais en sorte que ta femme se barre avec
les gamins!
-
Je t'en supplie, non,Val! N'importe quoi mais
pas ça! C'est grâce à eux que je suis pas devenu dingue, et ils méritent pas de
plus avoir de père! Mes deux garçons, je t'en supplie, ils méritent pas de
savoir que leur père est un lâche. Tout mais pas ça, je t'en supplie. »
Ils entendirent alors le clic de la
sécurité d'un automatique. Et c'est là le dernier son que leurs oreilles
perçurent.
Dan remit la sécurité, enjamba les
deux corps, et s'approcha de la maison qu'il savait maintenant valoir une
fortune. Il ouvrit la porte, regarda de tout côté pour être sûr qu'il était seul.
C'était visiblement le cas. Il se mit alors à découper le plancher du salon à
l'aide d'une hache trouvée dans le jardin. Il se dirigea vers la voiture de Val
dont les clefs étaient restées sur le contact, l'avança doucement dans l'allée,
déposa un à un les sacs remplis de billets dans le coffre, démarra, et disparut
dans la nuit.
15 ans plus tard .
«Je suis tellement heureuse qu'on
ait décidé de prendre ces vacances ensemble, et surtout ici!»
Linda portait ces boucles
d'oreilles qu'il lui avait offert pour leur six mois, une main tenant son
cocktail et l'autre caressant la joue de son compagnon. Il la regardait comme
si plus rien ne comptait, comme si la fin de ses études et le voyage offert par
sa mère et son frère comme récompense n'était que prétexte à ce moment de grâce
et de volupté complice qu'il partageait avec la femme qu'il espérait garder
toute sa vie.
« Regarde les enfants là-bas,
ils font un château de sable. C'est bien que cette coutume ne se soit pas
arrêtée, j'en faisais de semblables quand j'étais petite avec ma sœur...»
Le reste de sa phrase s'évanouit
dans les airs, car l'attention de Thomas n'était pas sur le château de sable. A
quelques mètres des enfants, se trouvait un homme. Un homme qu'il avait vu
quinze ans auparavant, par la fenêtre de sa chambre, et qui avait une cicatrice
sur la joue droite. Il empoigna son téléphone et composa un numéro. Son frère
décroche, demande ce qui se passe, attend, n'entend rien, redemande, puis, au
bout de quelques secondes de silence :
« Devine qui j'ai vu ».
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