samedi 3 mai 2014

Le Cadeau idéal

Ted se rendit d'urgence au restaurant « Le Bout du Monde » pour parler d'un sujet d'une importance capitale : le choix du cadeau d'anniversaire de Claude. Tous les plans qu'il avait échafaudés avec ses amis Yolande et Zacharie pour lui organiser une fête-surprise, s'écroulèrent par l'affectation inattendue à l’autre bout de la France et à effet quasi-immédiat de leur ami, manager pour une des plus grosses multinationales de la planète. Claude ne serait donc plus là avec eux le jour J. « Convocation - réunion de crise pour annif – Bout du Monde 19h00 », lui avait envoyé Yolande par mini-message. Ted trouva non sans mal une place de stationnement, décida de braver la loi et de ne pas mettre d'argent dans l'horodateur - il avait de temps en temps son côté Mister Hyde qui se réveillait - et se dirigea vers le restaurant. Il entra et chercha du regard ses amis. Zacharie lui fit de grands signes car ils y étaient attablés tout au fond de la salle.
            - Ted, on est là ! s'écria Yolande
            - Salut, je ne vous avais pas vus !
- On a remarqué, dit Zacharie en riant.
- J'ai cru que tu ne viendrais plus.
- Entre les travaux sur l'autoroute et trouver une place de parking, j'ai perdu beaucoup de temps.
- Pas grave. L'essentiel, c'est que tu sois là.
- On t'a commandé une bière, dit Zacharie.
- Merci, c'est gentil.
Etienne le serveur du restaurant lui apporta la boisson et Ted régla immédiatement cherchant à se débarrasser au plus vite de la petite ferraille qui encombrait son porte-monnaie.
- Vous avez trouvé une idée en attendant ? demanda Ted.
- Pas vraiment !                                                                                                           
Ted ouvrit son sac à dos pour en sortir plusieurs magazines féminins. 
Zacharie le taquina lui demandant s'il ne s'était pas trompé de revues; il le voyait plutôt dans le style voitures, sport, et jeunes filles en bikini.
- Je lis tout ce que j'ai sous la main. Tu ne sais jamais d'où peut venir l'inspiration ou la bonne trouvaille.
- Bien dit ! répondit fièrement Yolande.
Ils commencèrent à feuilleter les magazines.
- Une eau de toilette ?
- C'est délicat. Il y a des personnes qui sont plus ou moins sensibles aux
 parfums.
            - Sais-tu s'il préfère les fragrances boisées ou plutôt fruitées ?
- Tu as raison ! dit Zacharie. On pourrait se tromper.
Yolande posa le doigt sur une page : « Regardez ici ! ».
Il y avait tout un article sur le mari d'une star de la chanson américaine qui
avait loué un parc d'attraction une journée entière pour l'anniversaire de sa dulcinée. Ted souligna qu'effectivement ce cadeau-là semblait très original mais qu'aucun d'entre eux n'avait les moyens d'offrir une telle folie même s'ils aimaient beaucoup Claude et mettaient toutes leurs économies en commun.
            - Il est énervant Claude ! Il peut tout s’offrir avec son salaire. Qu'est-ce qui pourrait bien lui faire plaisir ?
- Parfois, je l’envie, avoua Ted. J'aimerais bien être comme lui juste pour voir ce que ça fait que d'être un sybarite.
- Un quoi ?, demanda Zacharie.
Ted le regarda avec des yeux remplis de malice.
- D’accord, soupira Zacharie. Je sais ce que tu vas me dire. Regarde dans un dictionnaire.
Yolande vint à la rescousse de son chéri : «  Laisse, je te prête mon Iphone ».
Alors que Zacharie pianotait sur l'écran tactile pour découvrir la signification du mot Yolande et Ted continuèrent à feuilleter les magazines et cornèrent plusieurs pages.
- Super ! s'écria Zacharie. J'ai appris quelque chose aujourd'hui. Je le placerai ce mot, à la prochaine occasion.
- Et si on lui offrait un massage bien-être ?
- Sympathique mais très pratique. Pour un cadeau pareil, il faudrait être sur place.
- Bien, on oublie.
- Il nous reste les grands classiques : livre, CD, DVD ou bouteille.
- Oui, mais c'est vraiment pas original !
- J'ai rien de mieux à proposer.
- Qu'est-ce qu'on fait ?
Ted feuilleta sans trouver. De guerre lasse, il ferma le magazine.
- Peut-être un bon d'achat, annonça Zacharie.
- Pas de risque de se tromper, ajouta Yolande.
- D'accord, je me charge de tout, répondit Ted. Je vais voir avec la billetterie de ma boîte et je vous tiens au courant.
Ils finirent leurs verres et quittèrent le restaurant. Ils se séparèrent devant la voiture de Ted dont le pare-brise ne portait pas de papillon.
Malgré le demi-échec de cette réunion, Ted n'aimait pas s'avouer vaincu. Son imagination trouverait quelque chose de mieux qui puisse marquer le coup ; c'était quand même l'anniversaire de leur ami, bon sang. Ça s'agitait en tous sens dans sa tête, il en jaillirait bien une étincelle. Il gara sa voiture, passa prendre le courrier et commença à en faire le tri. Entre les factures, une carte postale du pays basque de Bastien et des prospectus publicitaires, il eut le plaisir d’apprendre qu'il avait gagné un bon d'achat dans une bijouterie. Et si...
***
Le lendemain, armé de  son GPS, Ted quitta son travail sous un beau soleil de printemps et décida de se rendre dans cet hypermarché de la bijouterie. Il jeta quand même un oeil sur le plan-papier qu'il avait imprimé : il arrivait parfois à son GPS d’être un peu farfelu, lui indiquant des chemins qui n'existaient pas et autres subtilités du genre. Dans ces cas-là, Ted le surnommait Lulu allez savoir pourquoi ?
Pour l'instant, le spectre de Lulu se tenait coi et Ted écoutait aveuglement les directives annoncées : - virage imminent, tournez à droite, au rond point 3ème sortie. Sauf qu'il n'y avait pas de 3ème sortie. Lulu venait de faire un retour fracassant et s'évertuait à répéter en boucle : « vous êtes arrivé, vous êtes arrivé ». Effectivement Ted était bien arrivé, mais devant un restaurant chinois et non la bijouterie demandée. Il tourna une bonne dizaine de minutes dans la zone pour trouver le magasin puis il se gara et entra, tout émoustillé, prêt à faire son achat.
Comme il pouvait s’y attendre, la majorité de la clientèle était constituée du beau sexe et les quelques hommes - on pouvait les compter sur les doigts d’une main – accompagnés de leur femme, semblaient perdus et n’avoir qu’une hâte, celle de s’échapper au plus vite de cet enfer commercial.
            Ted se lança courageusement dans les longues allées à la recherche du cadeau : le must et rien d’autre ! Après être passé au stand montres et bagues, il se trouva au rayon or, le dépassa rapidement, car une dépense ici n’était pas envisageable pour son budget, il fallait l’admettre. Arrivé au rayon argent, il put regarder à loisir les bijoux exposés. Presque tout de suite, une jolie chaîne trouva grâce à ses yeux sans hésitation : couleur, longueur, maillage, tout était parfait.
- C’est à qui ? demanda la conseillère de vente.
Se sentant l’âme galante, Ted s’effaça pour laisser son tour à la dame arrivée bien après lui. Erreur fatale.
Elle commença à essayer une, deux puis dix paires de boucles d’oreilles tandis que le sourire de Ted fondait comme neige au soleil et qu’elle continuait sans vergogne à essayer encore quantités d’autres modèles. Toutes les autres conseillères étaient occupées.
La radio diffusait un vieux tube d’ABBA « Take a chance, take a chance… » et Ted se surprit à penser que lui aussi allait finir par « prendre une chance » comme on dit au Québec, et étrangler la cliente avec ses foutues boucles d’oreilles. Mais il se reprit rapidement. Il faisait beau, il avait trouvé une idée originale comme cadeau, il n’avait pas d’obligation de la soirée, alors pourquoi s’énerver. Il décida de s’improviser cinquième membre du groupe ABBA et chantonna dans son coin la suite de la chanson. Il jeta à nouveau un coup d’œil à la vitrine contenant les chaînes. Il avait peut-être choisi un  peu vite ce modèle sous le coup de l’émotion. Il se prit à observer attentivement les maillages et les différents éclats d’argent quand la dame attaqua l’essai des boucles de la troisième vitrine.
À la radio, on venait de quitter la pop suédoise pour du disco. Ted fredonna « You make me feel miiiiiiiiiiiiiiiighty real… » qu’il s’amusa à traduire en français par “Tu me fais ressentir, un truc à faire rougiiiiiiiiiiiiiiiir”. Il savait pertinemment que c’était faux mais cela lui plaisait et lui passait le temps.
Un couple l’arracha à sa fantaisie et lui demanda son avis sincère sur un collier que le mari désirait offrir à sa femme, à qui il ne plaisait pas vraiment.
- Madame, ce collier est atroce sur vous.
- Merci, jeune homme. Je le savais, voilà dix minutes que j’essaie d’en persuader mon mari.
- L’intuition féminine sans doute, souffla de manière assassine la vendeuse se tournant vers Ted. Elle venait de voir s’envoler une commission des plus juteuse. Le couple s’absorba dans le choix d’autres modèles moins onéreux et bien plus jolis.
            Ted ne s’en préoccupa plus et contempla à nouveau sa vitrine. Le disco laissa place à un des nombreux succès de Madonna. Et Ted ne pouvant rien faire d’autre, partit une nouvelle fois dans l’univers de la chanson. Oh oui ! Comme il voudrait être sur la « Isla Bonita là où le soleil réchauffe le ciel » et pas ici, où l’autre cruche faisait toujours sa valse-hésitation entre les 150 modèles en exposition à son grand désespoir et celui de la pauvre vendeuse prête à lui faire sauter le caisson.
Quand elle partit enfin avec son tout premier choix, la conseillère prit une grande respiration pour se redonner du courage et pria la personne suivante.
- C’est à moi. Bonjour Madame.
- Bonjour Monsieur. Que puis-je pour vous ?
Ted désigna du doigt la chaînette pour homme qu’il avait choisie dans la vitrine et admirée depuis presque une heure.
- Vous auriez dû me dire que vous aviez déjà choisi. J’aurais compris, dit-elle.
Ted sourit et lui demanda son avis bien qu’il fût sûr de son choix.
- Regardez, elle est de la même longueur que le collier que je porte, dit la vendeuse. Comme ça, vous voyez mieux.
- La longueur est parfaite, dit Ted.
- Je suppose que c’est pour un cadeau.
Et là, Ted eut une idée.
- Oui ! Nous sommes à plusieurs. J’offre la chaînette et mes amis ajouteront une montre ou un médaillon. Vous avez des pendentifs astrologiques ?
- Oui, bien sûr je vais vous les montrer, ils sont par ici.
Ted regarda les différents signes du zodiaque.
- Il nous faudra celle du signe du sagittaire.
- Il y a plusieurs modèles. On va les essayer avec la chaîne.
Le premier pendentif était trop petit, le suivant trop clinquant quant au dernier, Ted refusa catégoriquement, le modèle était trop gros.
- Avec ce médaillon, ça ferait « grosse vache ».
Ils partirent dans un éclat de rire.
- Je cherche quelque chose qui fasse plutôt « cabri » si vous voyez ce que je veux dire.
- Je comprends. En tout cas, votre choix pour la chaîne est très classe et discret.
- La personne est très spéciale donc le cadeau doit l’être aussi.  Mes amis viendront pour le complément.
La vendeuse explosa de rire et n’arrivait plus à se contenir. Elle essaya de s’excuser.
- Je suis désolée, c’est la fatigue. Je vous jure que c’est nerveux.
Ted vit bien qu’elle était sincère et joua le jeu en riant de bon cœur lui aussi. Malgré tout, il reprit contenance et sortit le bon de réduction de son portefeuille.
- Ah, vous avez gagné un coupon ?
- Oui, c’est pour cela que je suis venu dans votre magasin. Sinon je n’y aurai pas pensé.
- Quel est le nom de votre société ?
- J2F !
- Comment ?
- J comme la lettre J, 2 comme le chiffre 2 et F comme la lettre F
- Je ne trouve pas, dit-elle en pianotant sur le clavier de l’ordinateur.
- J comme Jean 2 comme 1+1 et F comme François.
- Ted vit les différentes sociétés affiliées à la bijouterie qui défilaient sur l’écran mais la sienne n’apparaissait pas.
- Ce sera encore long ?
La vendeuse continuait à taper encore et encore sur l’écran mais il était arrivé au bout de sa patience.
- Écoutez, on oublie le bon, je paie et c’est réglé.
- Non, vous avez doit à une réduction mais elle n’est acceptée que si la machine trouve le nom de votre société.
- Dites, je ne l’ai pas inventé ce bon. Je l’ai eu dans ma boîte aux lettres, donc j’existe et ma société également.
- Regardez avec moi les noms des sociétés.
Ted vit Jagrège, Jorangebusinessservice, Jalcatel, Jorthoclinical et la liste était encore longue.
- Mais ce n’est pas possible Madame. Ma société est  située à cinq kilomètres d’ici. Nous sommes la seule entreprise du coin ouverte jour et nuit 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Je veux payer et partir. Vous êtes très sympathique mais là, ça fait plus d’une heure que je suis dans le magasin et ça commence à faire long.
- Là, j’ai trouvé ! Ils ont écrit le chiffre 2 en lettres. Voilà pourquoi vous n’apparaissiez pas.
Ted ne put se retenir et entonna le Messie d’Haendel : ALLELUIA, ALLELUIA…
- Il me faut vos coordonnées.
- Elles sont écrites là sur le bon. Vous n’avez plus qu’à les retranscrire.
- C’est fait, et maintenant je passe votre coupon de réduction au scan de la caisse.
Au bout de la troisième tentative, le bip de confirmation de la lecture optique du code-barre ne se fit toujours pas entendre, la vendeuse rouge de confusion se tourna vers Ted et ils partirent d’un éclat de rire qui se fit entendre dans l’immense magasin. Le rire s'élevait, incontrôlable... Le responsable s’approcha. Ted lui fit signe que tout allait bien, la vendeuse n’y pouvait rien.
- Ne vous inquiétez, aucun problème.
- Monsieur est un gentleman, dit la conseillère la voix entrecoupée de rires. On va y arriver.
Elle scanna encore une bonne dizaine de fois avant d’entendre le bip salvateur. Ted pardonna à la machine récalcitrante et put enfin payer.
- Vous voulez un paquet-cadeau et un petit sac pour aller avec, je suppose ?
- Bien sûr. Franchement je le mérite.
Elle ouvrit un tiroir et regarda Ted, désespérée : Je viens de donner le dernier à la dame aux boucles d’oreilles !
Et elle repartit dans un fou-rire nerveux.
- Je vais aller demander à ma collègue s’il lui en reste. Si seulement tous les clients pouvaient être aussi compréhensifs que vous
- Laissez, je m’en vais, dit-il exténué. Je prends le paquet comme ça, juste la petite boîte rouge et c’est tout.
- Merci, Monsieur.
- Je vous en prie.
- Bon, il me faut une pause. Je vous assure qu’en vingt ans de carrière, une situation pareille ne m’était jamais arrivée. Pardon pour le tracas. Revenez quand vous voulez. Je  m’occuperai personnellement de vous.
- J’y compte bien !
Et ils repartirent tous deux dans un fou-rire. Ted sortit enfin du magasin sous les yeux étonnés des clients, des autres vendeuses et du responsable qui ne comprenaient rien à ce joyeux délire.
Ted entra dans sa voiture, mit le contact quand Lulu lui annonça fièrement « vous êtes arrivé, vous êtes arrivé ». Ted, à bout de nerfs, déconnecta le GPS.
***
Arrivé chez lui, il avertit Yolande et Zacharie de sa trouvaille et leur adressa un courriel explicatif.

Objet : eureka

Salut,

J’ai trouvé une super idée de cadeau. J’ai acheté une chaînette en argent. L’un de vous pourrait ajouter un médaillon astrologique (Claude est du signe du sagittaire) et l’autre une gourmette ou une montre. Je vous mets en pièce jointe la photo de la petite chaîne afin que vous puissiez assortir le tout.

A +
Ted


Il regarda le calendrier : s’il envoyait la petite boîte rouge demain, elle arriverait mardi, donc deux jours avant la date exacte. Il ne voulut pas prendre de risque et mit un petit mot pour accompagner le colis « Tu as le choix - soit tu es un enfant et tu craques – soit, mais alors vraiment par hasard, tu l’ouvres jeudi. Prends soin de toi en ce jour. Ted ».
Il essayait d’imaginer la tête que ferait Claude quand il ouvrirait le paquet. Il aurait payé cher pour vivre cet instant. Ni Yolande, ni Zacharie ne répondirent à son courriel ce qui le surprit.
***
Le jour J, Ted reçut un mini-message sur son cellulaire : « Ai attendu jusqu’à aujourd’hui pour ouvrir la boîte rouge. Suis au bord des larmes. Merci ».
Il ne pensait pas avoir frappé si fort et il en était plus que satisfait. Il se connecta à sa boîte électronique. Claude avait envoyé un courriel dont l’objet attisa sa curiosité : Il s’intitulait « Cadeaux de mes amis ».  Ted se demanda ce que Yolande et Zacharie avaient bien pu choisir et offrir comme compléments de cadeau ; un médaillon, une gourmette…
Quand Ted vit apparaître l’image, il resta sans voix. Ils avaient frappés très forts dans l’originalité. Il voyait sur l’écran…une bouteille de vin et un livre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire