samedi 3 mai 2014

Confiance aveugle

Dans ce petit village de Quintal, situé à quelques kilomètres d’Annecy en haute Savoie, les habitants n’ignoraient absolument rien les uns des autres. D’une certaine manière, ils étaient un peu comme une grande famille : on prenait soin de la veuve Huguette qui ne s’était jamais remise de la mort de son mari, on épaulait la jeune postière qui venait d’arriver et on jugeait ce pauvre Paul au chômage, titubant sous l’effet de l’alcool et vagabondant dans le village les yeux rouges et hagards. Des rumeurs circulaient régulièrement et se répandaient comme une trainée de poudre. Assez curieusement, la majeure partie du temps, elles se révélaient vraies. Peut être parce que les habitants ne se laissaient pas aller à des déformations, résultant plus d’une mauvaise écoute que d’une intention de nuire. Non ils enregistraient les conversations, l’oreille attentive et en alerte. Lorsqu’ils entendaient quelque chose, ils sentaient une certaine force leur parcourir l’échine. Pareils à des journalistes venant d’enregistrer un scoop, ils se savaient porteurs d’une nouvelle qui allait animer tout le village.
Alors lorsque ce premier samedi du mois de juillet, le barman du bar le plus populaire de Quintal annonça à Simon que Pauline était une femme aux mœurs légères qui le trompait sans vergogne, il s’attendait à ce que ce dernier se mette en colère  et l’insulte ; mais à sa grande surprise, il n’en fut rien.  Cette rumeur ne l’inquiétait pas. Il avait toujours eu confiance en sa femme  et l’idée qu’il y ait ne serait-ce qu’un fond de vérité dans ses racontars lui semblait complètement aberrant. Froissé par les paroles du barman, il reposa brutalement son verre de bière dont il était en train d’apprécier les saveurs rafraîchissantes et se mit en colère.
-              - Arrête Jean-Claude ! Tu as toujours été mauvaise langue ! Tu es jaloux ! C’est sûr que ta Susanne n’arrive pas à la cheville de Pauline !
Interloqué, Jean-Claude écarquilla les yeux. Simon était son ami depuis plus de quinze ans et n’avait jamais manifesté la moindre animosité à son égard. Ce qui était étrange c’est que c’était plutôt quelqu’un de nature suspicieuse à tel point que les habitants l’avaient surnommé «  le père parano ». S’il avait par exemple perdu sa tondeuse, il venait immédiatement accuser ses voisins qui lui rappelaient avec humour qu’il la leur avait prêtée la veille. Visiblement, l’amour avait eu un effet miraculeux sur le quinquagénaire, au point de ne jamais mêler sa femme à ses accusations. C’était plutôt une bonne chose sauf en de pareilles circonstances. Jean-Claude aurait mis sa main à couper que la rumeur était vraie. Le fait que Simon dévalorise sa compagne l’avait profondément blessé. Alors le ressentiment l’emporta sur l’affection  qu’il ressentait à son égard et il éclata d’un rire mauvais, en le foudroyant du regard.
-             - Non mais attends mon petit gars ! Tu es sérieux là ? Comment peux tu croire que je puisse que je puisse être jaloux de ton anorexique ! Elle trouve avec les hommes le plaisir qu’elle n’a pas dans la nourriture !
Il s’en voulut immédiatement d’avoir tenu des propos aussi virulents. À Quintal, on décrivait Jean-Claude comme un type gentil mais soupe au lait. Il était vrai qu’il se laissait souvent dépasser par ses émotions mais n’aurait jamais fait de mal à une mouche. Incrédule, il dévisagea pendant plusieurs secondes son ami qui semblait lutter pour ne pas lui mettre son poing dans la figure.
-             - Tu me donnes la nausée Jean-Claude ! Je te jure tu me donnes la nausée ! Tu ferais mieux t’occuper de ta famille au lieu de médire sur la vie des autres !
Sans lui laisser le temps de répondre, il partit en claquant la porte. Il jugea que dans de pareilles circonstances, le silence était la meilleure des défenses.
Le soir venu, il ne désira même pas en parler à sa femme. Il savait ce qu’il en était. Il avait confiance en son ressenti. C’était un homme intuitif auquel aucun détail n’échappait. Néanmoins, il ne résista pas à l’envie de fouiller dans son téléphone portable, juste pour être sûr qu’il ne se trompait pas. Et il ne se trompait pas.
-             - Chéri, tu as passé une bonne journée ?
La voix de Pauline était jeune et légère. Ses yeux semblaient sourire lorsqu’ elle parlait. C’est peut être cela qui faisait qu’elle avait un charme presque irrésistible.
-             - Une journée sans surprises ; lança-t-il avec une pointe d’ironie.
-            -  Sans surprises ? La mienne en fut remplie ; s’extasia-t-elle.
-             - Oh mais je n’en doute pas ! Une aussi jolie serveuse doit recevoir de très généreux pourboires…
-            -  Il est vrai que je n’ai pas trop à me plaindre ; sourit-elle.
Elle roula des yeux et regarda son mari avec embarras.
-            -  J’ai complètement oublié que je travaillais ce soir. Je vais devoir t’abandonner. Je suis vraiment désolée. Je sais qu’on avait prévu de passer la soirée en amoureux…
-             - Ce n’est pas ta faute. A quelle heure rentres-tu ?
-             - Oh je ne sais pas trop. Ne m’attends pas !

Mais débordant d’amour pour la jeune femme, il désobéit et se forçat à rester éveillé. Le tic tac du réveil rompait avec le silence pesant de la pièce. Il avait le temps à penser à son mariage, à sa confiance aveugle envers sa femme. Etait-ce un cadeau du ciel de n’avoir aucun doute ou un mensonge autant envers lui-même qu’envers les autres ? Le fonctionnement de la pensée humaine est un processus très complexe, dont même Freud ne devait pas maîtriser toutes les ficelles. Il était déjà quatre heures du matin et Pauline n’était toujours pas rentrée. Il commençait à s’inquiétait. La fermeture du restaurant ne s’était jamais faite après une heure du matin étant donné le peu d’influence au village. À huit heures du matin, elle n’avait toujours pas donné signe de vie. Il lui était forcément arrivé  quelque chose. Du moins c’est la version qu’il donnerait à la police. Ils finiraient très certainement par retrouver le corps aux alentours du lac d’Annecy. En effet, il avait lu sur un des textos «  Retrouve moi au bord du lac à Annecy  mon amour ». Et il avait pris soin de répondre «  Ce sera un adieu car on ne peut pas continuer comme ça. J’aime mon mari mais j’ai envie de te revoir une dernière fois ». La piste retenue serait l’amant fou de jalousie et il serait blanchi. Il avait tout prévu. De la mise en scène face à son ami barman à son alibi : il était dans son lit en train d’attendre sa femme. Le film Limitless était passé à la télé sur NT1. Il pourrait sans problème raconter le film qu’il avait vu à maintes reprises. Personne ne se douterait qu’il avait étranglée sa femme et transporté le corps jusqu’au lac d’Annecy. En plus une voisine qui rentrait de vacances était venue le remercier d’avoir arrosé les plantes ; à vingt et une heure précisément, heure à laquelle sa femme avait rendez-vous avec son amant au bord du lac. Mais il ignorait un détail. Des SMS que Pauline avaient pris soin de supprimer mais qui étaient soigneusement enregistrés dans le téléphone de Julien Duval : «  Je crois qu’il se doute de quelque chose, j’ai peur  de mon mari. Un jour il m’a dit que s’il découvrait que je le trompais, il me tuerait. J’étais terrifiée Julien. Il m’a alors précisé qu’il plaisantait mais je te jure qu’il m’a fait froid dans le dos ». De plus Simon Durand, ignorait un autre élément. Annecy était un code, jamais Pauline et son amant ne s’étaient jamais retrouvés à cet endroit et le barman du Cardinal de Chambéry pourrait témoignait avoir vu les deux amants à plusieurs reprises .Simon serait finalement inculpé de meurtre et finirait le restant de ses jours en prison. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire