samedi 3 mai 2014

Amour, puissance et truculence

Ressentant un grand inconfort sur son cheval, Élisabeth-Charlotte de Bavière, duchesse d’Orléans dite Liselotte voulait rajuster sa jupe. Elle s’arrêta un moment pour y remédier et c’est à cet instant précis qu’un lièvre détala à toute vitesse créant un mouvement dans toute la compagnie. Alors qu’elle n’était pas remise correctement en selle, le cheval de Liselotte voulut suivre ses compagnons. Lorsqu’un cavalier tenta de s’approcher pour lui apporter son aide, cela ne fit qu’effrayer l’animal. Sa cavalière penchée sur un des côtés de la selle ne tenait plus que par la force de ses bras accrochés au pommeau et par un pied sur l’étrier. Quand son cheval se retrouva un peu à l’écart, la duchesse se laissa choir sur la pelouse. A peine fut elle tombée à terre que la violence de la chute fit perdre ses moyens à Sa Majesté. Devenu tout à coup livide, l’astre céleste avait sérieusement pâli perdant alors de sa splendeur. Son visage maculé par la peur laissait entrevoir un tout autre aspect de sa personne. Le Roi-Soleil se précipita auprès d’elle pour s’assurer qu’elle n’était pas blessée gravement. Il l’accompagna lui-même jusqu’à sa chambre et veilla sur elle jusqu’à ce qu’il soit pleinement rassuré sur son état.

Depuis que Liselotte était à la Cour, après son mariage avec Monsieur, duc d’Orléans, frère de Louis XIV, elle manquait rarement une partie de chasse avec le Roi, ce dernier ayant d’ailleurs redoublé d’assiduité en la matière depuis qu’elle était là. Ces moments privilégiés entre beau-frère et belle-sœur ne manquaient pas d’alimenter des rumeurs grandissantes sur une éventuelle liaison. La froideur de ses rapports avec son époux n’encourageait pas la Palatine à faire des compromis pour tenter de plaire à Monsieur. Elle préférait à n’en pas douter la compagnie du Roi.

Bien peu de femmes avaient pu résister au charme de Louis XIV, pas même la robuste et solide Liselotte qui lui vouait une admiration sans failles. Jamais la duchesse d’Orléans ne s’était permis d’engager une quelconque entreprise de séduction auprès de Louis le Grand. Elle avait trop de considération pour la reine Marie-Thérèse et trop de respect pour les valeurs morales telles que l’honnêteté et la droiture.

Si les sentiments de la Palatine pour son illustre beau-frère faisaient peu de doute, il n’en était pas de même pour ceux du Roi. Cet accident de chasse en apparence anodin, bien qu’ayant provoqué une grande frayeur chez beaucoup de courtisans, semble pouvoir dissiper les dernières incertitudes qui subsistaient sur l’existence ou non d’une affection de Louis-Dieudonné pour Élisabeth-Charlotte de Bavière allant au-delà des conventions. Son indulgence dont il faisait preuve envers sa belle-sœur était également suffisamment éloquente. Après tout, l’abondante correspondance de cette dernière ne passait-elle pas entre les mains du Roi ? Quand on connait la liberté d’expression dont elle faisait preuve, il était bien étonnant que Louis le Grand ne lui en tienne pas rigueur.

Cette rumeur ne l’inquiétait pas outre mesure, la Palatine n’en avait que faire de l’hypocrisie ambiante et du pullulement de tous les racontars possibles et inimaginables à la Cour. Ce sport mondain était de loin celui que Liselotte exécrait le plus et rien de tel ne pouvait l’affecter, il n’en était pas de même pour le Roi. Aussi gardait-il les distances convenables au plus grand malheur de sa belle-sœur, même s’il appréciait son franc-parler et son humour. Certes elle se contentait largement de ces retrouvailles tant à la messe qu’à la chasse, mais la présence de Madame de Maintenon, la « vieille » comme aimait à la surnommer Liselotte, lui était insupportable. Elle avait un profond respect pour la reine et la liaison entretenue par Louis XIV avec cette parvenue lui donnait de l’eczéma. De son côté Madame de Maintenon ne pouvait souffrir Liselotte à cause de sa complicité privilégiée qu’elle entretenait avec le Roi. Elle fit tout son possible pour détruire cette relation à maintes reprises et par bien des manières mais sans jamais vraiment y parvenir. Son arme favorite : la délation.

Quel ne fut pas le désarroi de la princesse Palatine quand peu de temps après le décès de la reine Marie-Thérèse, la « vieille » parvint à se faire épouser du Roi-Soleil, secret de polichinelle que le Roi essayait vainement de garder. Le doute planait toujours aux yeux de la duchesse d’Orléans. Il n’a été question que d’administrer des saignées à la reine alors que percer l’abcès dont elle souffrait fut plus salutaire et ce contre l’avis du chirurgien. Ce dernier n’exécuta ces saignées qu’à contre cœur sachant pertinemment que cela ne ferait que précipiter la mort de la reine. Liselotte elle-même fut victime d’un tel abcès et refusa les bons conseils insistants du même médecin ayant ordonné les saignées de la reine, Fagon. Une fois l’abcès ouvert, elle s’était parfaitement remise de cette affection. Elle ne manqua pas d’ailleurs de faire part de sa façon de penser à Fagon en présence du Roi, ce dernier ayant eu peur une nouvelle fois pour la santé de sa belle-sœur.


Élisabeth-Charlotte de Bavière, duchesse d’Orléans, belle-sœur de Louis XIV et mère du régent compta parmi les rares femmes qui réussit à toucher véritablement le cœur du Roi-Soleil plus qu’il n’aurait voulu l’avouer. Affection profonde et sincère, relation d’autant plus sincère que platonique, un lien indéfectible qui les a uni de nombreuses années. Les derniers mots de Louis XIV pour sa belle-sœur en témoignent : « On a fait tout ce qu’on a pu pour que je vous haïsse, Madame ; mais ils n’ont pas réussi [ajoutant qu’il] l’avait bien trop connue, pour ajouter foi à ces calomnies. »

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