L’ancienne photocopieuse, unique, est souvent sollicitée à outrance, en panne aussi. Nous sommes plusieurs à potasser, fiévreux comme des chercheurs d’or, les micro-films pour étayer nos travaux. Les documenter, les certifier, les enrichir, l’exploit (secret) de contrecarrer des affirmations erronées étant le fin du fin. La faim du documentaliste avide, aussi.
Je donne la priorité aux étudiants parfois venus de loin pour leurs thèses, des travaux de chercheur ou des écrivains en jeune pousse qui deviendront des historiens par l’effort et le temps. Et la force des choses, apprises sinon bien interprétées. Je note donc sur mes papiers, reviens en arrière pour voir si j’ai bien tout compris ou faire une relation avec des événements découverts quelques mètres de bobine plus tard. Ou sur l’une des autres, bijoux, empruntées. Quand ta tête commence à tourner, tes yeux fatiguer, lire trouble sans retenir le fait essentiel recherché ou l’anecdote qui cimentera deux passages isolés, faut rendre tes reliques à la préposée du musée et retourner mettre à l’abri les trésors retrouvés.
Après quelques heures à les recopier, les replacer dans leur contexte, comme pour une composition culinaire variée, les parfums vont se marier, et le tout prendre forme dans une saveur en bouche sinon en mémoire. En tête c’est du pareil au même, à un moment les pointillés vont se remplir et les interrogations s’effacer pour se compléter de déductions qui te semblent irréfutables. Pour toi. Nous n’avons pas tous les mêmes certitudes. Ni les mots de la faim du savoir.
Attention ! au départ. Gare aux novices, aux ignorants ou à ceux qui partent sur une fausse piste, mal armés. Le petit Poucet avait quelques cailloux blancs pour retrouver son chemin et une méfiance naturelle en l’ogre. Pour commencer à coudre, il faut avoir du fil, un minimum, à passer par le trou du chas. L’idéal pour tricoter les exploits d’un Ulysse est d’avoir suffisamment de pelotes en réserve. En finalité d’en conserver des restes, au cas où ... Chercher de même des documents dans les archives d’un journal « historique » n’est pas donné à tout le monde. Faut montrer patte rouge.
La photocopieuse de la visionneuse de bobines d’archives date d’une autre époque, elle aussi, en pire. Oui, on pense à cet instant à une malédiction. Les articles défilent de côté. Faut incliner la tête à 45 ° pour les compulser. La passion dévorante qui t’anime n’annihile pas le torticolis même si la souffrance contre laquelle tu luttes est pour la bonne juste cause.
Et le « devoir de mémoire ». Sacré.
L’impression reste hasardeuse. Un coup trop blanche, un coup trop noire, illisible. A un moment donné je le confesse, tu sabotes un peu le boulot par lassitude. Et prends ce qui veut bien sortir « d’exploitable ». Dans ces deux démarches documentalistes, les lieux sont carrément à l’opposé de ton domicile. Tes trésors collationnés, il faut avant de les trier, les rapatrier en ta lointaine campagne ou ta compagne t’attends pour tremper la soupe. En trompant le temps.
Oui, jadis c’était l’expression consacrée avant la soupe en boîte carton à micro-onder ou celle à verser en poudre dans une casserole d’eau chaude. Dans certaines régions, la table massive avait des creux taillés à même le bois comme récipient. La soupe avec des produits de base du terroir, du lard de ton cochon ou de celui du voisin, légumes et herbes parfumées du potager familial, ou du jardin « ouvrier », était agrémentée de lichettes de miche de pain un tantinet sec « à tremper », des variantes avec bouillon de poule et vermicelle sans compter la célèbre soupe aux choux avec De Funès et Jean Carmet, immortalisée dans ce film avec l’extra terrestre Jacques Villeret. Qui la vénérait. Elixir de jouvence. Sir !
Mais de la « soupe » en guise d’information (nommée souvent « marronnier »), il faut que son contenu soit consistant. Tu peux y faire « chabrot » pour en dissimiler le caractère insipide.
Au cours d’une conférence récente un ancien, « partisan » d’une fraction, d’une certaine faction, défendait son point de vue, sa raison de survivre, sa soif d’exister. Un jeune historien affichait la richesse de ses résumés de faits, rapportés par d’autres et des recherches dont il n’avait hélas pas eu la primeur.
Se souvenir de l’allégorie des « peintres Ripolin » qui se calligraphient le dos de leurs blouses à la queue leu leu.
Une étudiante osait timidement exposer les réflexions qui l’avaient fait vibrer lors de sa vision d’un film d’auteur contesté par des puristes. C’est souvent le petit bout sucé que tu insères dans le chas de l’histoire.
Des documents d’époque, filmés, étaient et sont parfois « rejoués » pour les besoins de la cause quand les balles ne sifflent plus aux oreilles du preneur d’images. Le son ajouté et même « corsé » pour le dramatiser.
Chez un cousin, une photo ancienne d’un soldat, un coussin avec des médailles et le diplôme qui va avec. « Mais qu’est que cette photo fait là ? ». Il en a hérité en parent – voisin attentif et laisse le tout, comme à l’origine, sur le buffet qui vieillit dans le grenier avec les restes démodés.
« Il tombe des bombes comme les flèches à Gravelotte. L’ordre est donné de progresser « à tout prix » sous les obus et sous la mitraille ennemis. Des sanctions stimulent les peureux, ceux qui ont eu la chance de revenir de la dernière percée vite refoulée. Mon grand oncle a la chance de ne pas être fauché, comme les premières vagues qui jonchent le parcours. Il saute dans un trou. Deux autres soldats s’y abritent déjà. Atteint de dysenterie ou de trouille bleue, il se défait de son pantalon pour se « libérer », des gargouillis annoncent l’imminence du rejet. Les autres s’insurgent, appréhendant le résultat qui fera concurrence au sinistre gaz « moutarde » qui stagne aux alentours. Des costauds intraitables. « Vas donc dans l’autre trou juste devant pour tes besoins ! ». Un ordre des plus incitatifs. Le poing dressé pour concrétiser la menace. L’urgence se faisant de plus en plus présente, reculotté à la hâte, casqué, fusil en main, un bref regard devant. Une légère pause dans les rafales adverses le décide à franchir les cinq à six mètres d’un bond désespéré en avant. Tout se déroule comme il faut.
L’offensive suivante les rattrape, les dépasse et prend la tranchée adverse. Convoqué au commandement. Il faut des héros à mettre à l’honneur afin de compenser les fusillés qui refusent « d’y aller pour rien, sinon mourir ». Sa chance ? Avoir été observé aux jumelles, par le général et son état major, lors de sa recherche d’assouvissement. Sa citation ? « Malgré la puissance des tirs ennemis n’a pas hésité, seul, à progresser ».
« Fermez le ban et les guillemets ! ». Médailles et roulement de tambour. Héros du bataillon.
Une autre histoire de guerre qui me hante chaque fois que je regarde la photo de l’homme à cheval, encadrée. Il revient de l’arrière, avec du réapprovisionnement en tout, à sa position. Deux mitrailleuses récupérées et quelques maigres renforts insuffisants quoi qu’indispensables pour la relève. Ses hommes déboulent à l’instant même de la colline, en déroute. « Maurice, on pouvait plus tenir, faute de munitions et fautes d’hommes : trop de pertes … » explique un soldat épuisé, meurtri et vexé. Plus vexé que …
L’officier rassemble les fuyards, regroupe les hommes éparpillés, les derniers arrivés n’en mènent « pas large ». Fait mettre en position tir croisé les deux précieuses pièces rapportées. Il les harangue, les stimule, joue l’honneur et la fierté et évoque d’autres charges du temps du « Front Popu’ ». La camaraderie face à la « camarde ». Tout en ramassant un fusil abandonné. Il met la baïonnette au canon, vérifie la culasse et le nombre de cartouches. « Hé ! les gars, on n’est pas des fillettes … Non ? On va leur montrer qui nous sommes nous les gars de Paname, les prolos, les Républicains. Suivez moi … En avant …». Il s’élance en chantant « La jeune garde » reprise à pleins poumons par ceux qui étaient épuisés deux minutes auparavant.
Les vainqueurs qui venaient d’arracher la position au prix de nombreux tués, voient avec effarement ceux qui se débandaient il y a peu remonter à l’assaut et … en chantant !. Ils sortent des « trous d’hommes », des faibles tranchées pour se replier, pris de panique devant ces « fous » y voyant des démons de leurs croyances anciennes et se font hacher par les balles des mitrailleuses en contrebas.
Un village en position avancée, domine la route qui mène à Madrid. Plusieurs fois pris et repris. Au loin des colonnes ennemies motorisées, des affûts de canons tractés se multiplient. En face. Il faut un volontaire pour traverser le pont jusqu’au Q.G. et se réapprovisionner pour y tenir « coûte que coûte » suivant l’ordre. Sébastien est volontaire. Conducteur et mécano’ avéré.
Des hommes lui barrent la route. S’inquiètent qu’il soit « devant » eux et le pourquoi de sa présence. « On a l’ordre de faire sauter le pont pour freiner l’offensive adverse ». Lui c’est surtout de ne pas laisser tomber les copains, ses impératifs. « Bon, on attend un peu mais on fait tout péter après ton passage … à toi de voir, vous ne pourrez plus repasser quand les autres vont débouler … ». Chargement avec tout ce qu’il trouve. Retour. Appréhension. Il accélère et voit des chapeaux, des bérets s’agiter pour saluer son courage. Courage ? Non, sacrifice. Des adieux.
Dans son seul rétroviseur il voit le feu d’artifices derrière qui ébranle sa carlingue. Deux jours plus tard, une maigre poignée de copains survivants par miracle, l’accompagneront, seuls rescapés, passés par la montagne pour regagner et compléter une autre brigade. Après quelques jours de soins et de repos.
Les motivations et l’explication des hauts faits d’armes sont parfois loin du récit rapporté et interprété.
LEGER Michel (Breuillet)
LEGER Michel (Breuillet)
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