Profil parfait.
Février 2012.
Dans la belle ville de Breuillet, Daisy se lève en souriant. Ses magnifiques yeux verts-marron illuminent sa chambre. Ses longs cheveux châtains tombent négligemment sur ses épaules. Celle qui descend de son lit vit ses derniers instants de célibat.
Aujourd’hui, elle va se marier. Ce que certains nomment : le plus beau jour d’une vie se concrétise enfin. Son amoureux, Franck, a dormi à l’hôtel pour respecter la tradition ; pourtant des nuits agitées ont fait trembler les draps qui la couvrent en cette belle matinée. Tant pis ! Elle portera du blanc et jouera le jeu jusqu’au bout.
Le futur marié est un bel homme : la trentaine bien avancé, un mètre quatre-vingt-dix, les cheveux blonds rasés très courts. L’homme sort de chez lui. Il va rejoindre sa promise…
Il arrive à la mairie et voit le père de la mariée immobile devant l’entrée. Le visage est fermé ; c’est une habitude. La première fois que Franck l’a vu, il avait le même regard sévère. En entrant chez lui, il vit le fusil de chasse placé en hauteur sur une étagère du salon : « Le fusil ostentatoire, c’est peut-être une tradition festive et accueillante chez eux » préféra se dire Franck pour se rassurer.
Les huit fils de la maison que Daisy a présenté comme de joyeux lurons ne lui ont toujours pas adressé le moindre mot. Il lui semblait qu’il y avait une erreur de casting.
À présent, il va devenir le beau-frère de huit hommes bien bâtis et séduisants en dépit du côté rustre. Franck se dit qu’il ne devrait pas se faire cette réflexion et pourtant…
De son côté, Daisy exulte. Elle va enfin se marier à presque quarante ans ! Elle attend ce moment avec impatience. Elle y songe depuis la plus tendre enfance, comme on rêve du prince charmant. Franck est une sorte de Ken en chair et en os.
Dans la voiture qui la conduit à la mairie, la sœur de Daisy, Sylvie, lui déclare :
— Je ne sais pas ce que je fais là ! C’est aujourd’hui que je découvre ton Franck. Il te propose en janvier de l’épouser et en février tu acceptes…
— Arrête, ce n’est pas le moment !
— Tu as raison ; je ne devrais pas ; je veux juste ton bonheur…
— Je sais.
— Il est beau, mais je ne sais pas pourquoi ; je sens qu’il y a un truc qui cloche... Il est bien physiquement, mais je ne te vois pas avec lui.
— Les autres avec qui tu me vois ne se bousculent pas au portillon !
— Mariage à tout prix, alors…
— Non. Disons que j’en ai assez d’attendre et qu’il a réussi le test d’oncle Lee. Avant de partir, il m’a dit que si mon futur époux ne pose aucune question en lui présentant la famille Deroni, j’aurai la paix royale ! Tu connais les membres de cette famille ; s’il peut les supporter, il pourra en faire autant avec moi…
— Ce que je vois surtout, c’est qu’ils sont corses et que nous sommes eurasiennes ! Il a gobé ça ?
— On dirait bien. Papa posait trop de questions à maman sur ses sorties et ses voyages. Franck a le profil parfait !
— Si tu le dis… Reconnais que maman exagérait.
— En effet, même si je pense être comme elle.
— Le mariage c’est aussi la confiance. Comment vas-tu lui expliquer tout ça ?
— T’inquiète, il comprendra.
— Bon, ben espérons que tu profiteras bien de ton union ! Nous sommes arrivées ; plus le temps de discuter.
Sylvie lui fait un bisou sur la joue en sortant de la voiture. Le patriarche corse conduit Daisy à l’intérieur du bâtiment. Elle a réussi à le convaincre ; un beau fusil en cadeau a pesé en sa faveur dans la négociation.
Sa sœur ne peut s’empêcher de rire en les regardant s’éloigner même si elle n’approuve pas son comportement.
Au même moment, près du pupitre, Hugo, le meilleur ami de Franck, glisse au futur marié :
— Eh bien, bravo, petit cachotier ! Je te laisse une journée sortir du Marais et je te retrouve quelque temps plus tard dans la peau d’un fiancé hétérosexuel !
— Eh oui ! La vie c’est comme une boite de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber !
— J’aime beaucoup le film, d’où tu sors la réplique. Par contre, dis-moi comment tu as fait pour qu’elle ne se rende pas compte que tu n’es pas vraiment un courtisan, mais plutôt un éphèbe grec.
— J’ai joué le jeu. Elle me présente des Corses et me prend pour le pigeon parfait ; ça l’empêche d’aller chercher plus loin.
— D’accord... mais pourquoi faire cela ?
— J’ai écouté le conseil de Boutin ; j’aime devancer les lois. Ce n’est pas idiot ce qu’elle nous a sorti : « Si les homosexuels veulent se marier, c’est possible, à condition qu’ils épousent une personne de leur sexe. »
Hugo éclate de rire.
— Calme-toi, elle arrive, chuchote Franck.
— Excuse-moi.
— Je suis désolé que ça tombe sur elle et sa famille tellement intègre, mais bon, elle a le profil parfait ; que veux-tu !
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