Espagne, début 1937 en Aragon, un petit village à proximité du front. La chaleur incite à la sieste, la faim aussi, pour l’oublier. Pas grand chose à manger car, après conciliabule la décision est prise : « on ne peut pas prendre le cochon du paysan, il n’en n’a qu’un ! ». Noblesse, éthique sinon idéalisme de cette bande internationale qui arbore l’insigne et le drapeau de la CNT.
Robert possède en plus de son béret paré de ce sigle, une photo de Buenaventura Durruti montée en insigne, ancêtre du pin’s, sur son col de blouson de velours. Un jeune ado traîne depuis peu dans les ruelles, et entre leurs rangs. Seul. Personne du coin ne le salue et lui ne le fait que rarement, timidement. Au loin tonnent les canons franquistes. La grange qui leur servait de cantonnement plus loin, en arrière, sur la route, il y a peu, est paraît-il défoncée, effondrée par une bombe. Ils sont montés « en ligne » à temps après avoir repoussé un groupe de « Moros » moins combatifs, une fois leurs plus anciens, ceux de la guerre du Rif, tombés au combat lors des affrontements de rues, immeubles contre immeubles, bombes artisanales allumées au cordon « Bickford » pour les mineurs ayant créées des pertes lourdes aux indigènes recrutés dans leurs douars.
L’ennui et l’attente sont à tromper avant les ordres d’attaquer ou de se replier. Un milicien interpelle le môme qui repasse à l’ombre, furtivement, sans les regarder. « Eh toi, nino, vien aqui ! » avec le geste répété de la main en forme de spatule qui ramène, pour imager l’ordre. Le jeune presse le pas. L’homme arme son fusil, la culasse claque. « Stop ! keep quiet » tonne une autre voix. Celui qui s’était manifesté le premier s’étant redressé pour tenter de le bloquer. D’un mouvement d’humeur pour tuer le temps et effaroucher d’une simple peur cette victime potentielle, une distraction facile, la chose prend une autre tournure. Mauvaise. Celui qui voulait seulement rigoler un brin éveille les soupçons d’un compagnon plus méfiant. Un vindicatif. Plus méfiant que méchant mais certainement pas attendri par les enfants. Les autres regardent curieux ou indifférents, le béret sur l’oeil. Un torchon noué aux quatre coins sur la tête pour éponger la transpiration. Deux ou trois casques posés à terre, « a la sombra ». Un jette son mégot de cigarette et dégaine un revolver. Un pacifiste se penche pour profiter de l’occasion d’allumer la sienne au bout encore incandescent. Les briquets à mèche se font rares. Les gauloises aussi. Un approvisionnement de source inconnue à apporté un lot de boîtes de cigares desséchés, à la place.
L’interpellé se fige. Figure blême, trop peut être pour un teint halé de paysan du coin. Tiré par la tignasse, il est traîné vers le groupe. « Vide tes poches sur la table, vite ! ». En tremblant, il dispose quelques piécettes, un mouchoir, une clé, un canif et … un jeu de cartes. Palpé rapidement. C’est tout son bien. Un instant, un court instant, il est libre. Presque …
Un intéressé par le jeu ou un soupçonneux plus affûté, étale les cartes. Disséminées quelques feuilles de papier de la même tailles sont écartées. Des gribouillages ? Une règle pour jouer ? Un courrier du cœur ? Non … Sa condamnation.
Les emplacements des 2 mitrailleuses, la maison qui abrite les réserves et les munitions, l’avant poste ou se tient l’observateur, les bâtiments ou couche la troupe, les espaces aménagés en tranchées défensives. Tout est noté. Un espion. Quelques vigoureuses taloches pour le « secouer ». Un « coup de pied au cul » qu’il esquive. Il pleure. C’est un jeune phalangiste récemment embrigadé, volontaire. Fils d’un marchand de vin. Il avoue tout, en reniflant, tête basse.
Le responsable du groupe ordonne « mettez le sous la tente là bas … On le fusillera ce soir … Robert, tu le gardes ». Le désigné est plus qu’ennuyé par cette mission de confiance. Contrarié, le mot est faible. Accroupi, devant l’ouverture de la toile, il tente de consoler le gamin qui hoquette de sanglots. Avec ses quelques mots d’espagnol, plus sa maigre brochure de traductions qu’il avait songé à acquérir avant son départ gare d’Austerlitz, il essaie de communiquer. D’expliquer la république trahie, le front populaire, les ouvriers et paysans exploités, les volontaires venus de plus de cinquante pays. La guerre aux moyens disproportionnés, le camp de la liberté, défavorisé, oublié par la « Société des Nations ».
Le prisonnier reste en boule, en pleures. Prostré. Des pauses silencieuses succèdent à des tentatives de reprises de leçons moralisatrices. Les questions restent sans réponse. La crainte irraisonnée de la mort prochaine annihile tout rapprochement. Tétanisé le jeune espion. Abattu. Son gardien rumine lui aussi de sombres pensées. Ce n’est pas du tout, du tout « son truc » d’être complice d’un assassinat d’enfant. Il n’est pas venu jusqu’ ici pour « ça ».
Le temps passe. Des tirs de fusils se font entendre. Proches ou portés par le vent ?. Les hommes vaquent à leurs occupations, disséminés un peu plus loin, un moteur se met à tourner.
Une décision instinctive : « Nino, vamos ! ». Il le secoue avec force par sa chemise. « Mais bon sang, tire toi … tire toi, vite » en lui montrant la campagne au bout de la ruelle opposée, entre deux murs aveugles. Plus dans le masque du visage tragique, dans l’intonation, dans la voix qui le stimule, le bras qui le tire, le fusil posé à l’écart, décident le prisonnier à se redresser et prendre la fuite, poudre d’escampette ou d’escopette, à la place n’aurait fait rire personne. Déplacé.
Le fugitif va bientôt atteindre les oliviers. Le gardien improvisé crie alors « Alerte ! le prisonnier s’échappe ! ». Des hommes arrivent, le premier hurle en armant son fusil
- Nom d’un chien, mais tire donc, Robert !, mais tire …
- Tirer, tirer … ? vous en avez de bonnes, vous, j’suis pas soldat, je suis cuisinier !
Pacifiste, syndiqué, chroniqueur au journal professionnel, venu exercer son métier par conviction politique, un homme embarqué dans ces remous mais certainement pas égaré dans sa conscience par ces circonstances imprévisibles. Peut être, hier encore, un vieil homme racontait à ses petits enfants comment un « rojo » Français (ou Belge … Suisse ?) lui avait sauvé la vie, il y a plus de 70 ans, en sirotant un verre de « tinto » de son commerce :
« Et pourtant j’avais été désigné par mon chef pour faire mes preuves, j’avais le profil parfait… »
LEGER Michel (Breuillet)
LEGER Michel (Breuillet)
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