Aïe ! encore lui !
Sourire cordial de commande pour l’accueil du visiteur inattendu. Pour la cinquième fois en deux mois. Son regard éperdu d’espoir et de reconnaissance anticipée ne te lâche pas en prenant place de l’autre côté du bureau.
Gagner du temps en sortant le dossier, connu par cœur pour tenter de trouver une nouvelle amorce de solution.
S’occuper d’aider les chômeurs n’est pas du cinéma. Ni une sinécure. Bénévole t’oblige à encore plus de conscience. De responsabilité aussi.
Son passage, ce jour, prouve que sa dernière tentative d’embauche s’est soldée par un refus, plus grave un échec. Sinon, certains t’apportent triomphants, une plante en pot ou des chocolats pour t’associer à leur engagement prochain dont ils t’attribuent une responsabilité trop importante, bien minime le plus souvent.
Sinon nulle.
En feuilletant le dossier pour gagner du temps, tu t’insurges en aparté. « Mais bon sang ! ça fait au moins trois offres d’emploi qui collaient parfaitement à son profil ». Age encore dans la « fourchette » admise, le diplôme professionnel requis, les jobs occupés suffisamment longtemps pour prouver sa compétence, sa disponibilité, son expertise. Alors, pourquoi ?
Pour ne pas passer du vinaigre sur la plaie de la dernière déconvenue qui risquerait d’enfoncer le demandeur dans un état de complexe anesthésiant, il faut consoler et laisser flotter, insinuer le manque de discernement du dernier recruteur. C’est l’autre qui a loupé un bon élément pour enrichir son entreprise. Pas la faute de notre visiteur qui lui s’angoisse de plus en plus.
Et qu’il faut remonter du stade de « desesperado » à celui de « conquistador ».
« Qu’est ce que vous lui avez dit à ce directeur de ressources humaines après lui avoir montré « notre » dossier ? ».
Partager la faute éventuelle pour la diluer. Il bredouille, hésite, se trouble … Vite ! un café pour couper l’effet démoralisateur.
« Faites comme si c’était moi qui voulait vous embaucher … « Vendez » vous comme on l’avait préparé la dernière fois ».
« Non, non je ne rigole pas, allez y pour de vrai, pour voir comment vous vous débrouillez … ».
Il recroqueville ses jambes sous sa chaise. S’affaisse des épaules. Se tasse. Se penche en avant comme pour montrer sa nuque au bourreau. Fixe le plancher.
« Voilà, m’sieur comme vous m’avez convoqué suite à ma lettre et mon C.V. J’ai été licencié de l’entreprise … ». NON !
Je bondis, le fais sursauter : « Non vous n’avez pas été licencié car votre arrêt est économique et non pas dû à votre propre personne ». Licencié est un mot « noir » qui donne une image négative proche de l’incompétence sur laquelle le recruteur bloque, se fixe, coagule et se ferme.
« Allongez vos jambes pour montrer que vous êtes à l’aise ». « Allez y ! Oui, comme ça ». « Arrêtez de tortiller vos mains ». Il ne peut pas c’est automatique, on dirait qu’il se les lave sous le robinet. Angoissé. « Bon, prenez une feuille de papier. Un stylo. Notez des renseignements communiqués ou même les questions, sur le coin du bureau, si vous êtes à court d’idées, ça vous occupera les « pognes ». « L’autre » aura l’impression que ce qu’il dit vous intéresse ». Il sourit et finit par s’appliquer à son rôle pour éviter le drame.
PAS LICENCIE, surtout pas : votre entreprise s’est réorientée sur une autre activité. Répétez … encore une fois. Encore … Encore, oui … C’est ça, pile – poil ! Impec’.
La dernière fois que je l’ai aperçu, il descendait du train, veste de cuir sur un bleu de travail, musette en bandoulière, sourire cachant la fatigue d’une nouvelle journée de travail. J’ai fait « profil bas » pour l’éviter … Ce soir là, il y avait au moins 2 heureux.
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