Les particules de poussière dansaient dans le rayon de soleil qui traversait les persiennes. Elle les repoussa et la lumière entra à flots dans la pièce. Ses yeux en firent le tour. Tout était impeccable et bien rangé dans l’appartement de sa mère. Il fallait s’y attendre car sa maman, encore jeune, était une femme très active et organisée, et rien ne laissait présager cette fin subite. Un soupir, un haussement d’épaules, elle devait mettre à profit les quelques jours de congé accordés par son patron pour trier les affaires de sa mère, car elle était enfant unique, et personne ne pouvait le faire à sa place. Elle se donna un répit, se cala dans un fauteuil, ferma les yeux et ses pensées se mirent à vagabonder.
Elle visualisait sa mère, la sentait toute proche. De tous temps elles avaient étaient fusionnelles. Maintenant elle n’était plus là, elle devait s’y habituer. Elle la voyait penchée sur sa table de travail, faisant ses croquis d’un geste sûr, tout à son métier de styliste qui les faisait vivre confortablement. Il n’y avait pas d’homme à ses côtés. Elles se promenaient ensemble, jouaient ensemble. Sa maman la berçait quand elle était toute petite, puis l’accompagnait au bac à sable avec pelle et seau. Plus grande, elle surveillait ses devoirs, lui faisait réciter ses leçons. Jeune fille, elle lui faisait avouer des petits secrets. Mais toujours pas d’homme pour partager cette intimité. Quant à son tour, elle interrogeait sa mère sur son papa – toutes ses copines avaient un père, elle aussi aurait dû en avoir un quelque part – elle n’obtenait que de vagues allusions à des voyages dans des pays lointains et à un retour probable ou improbable. Donc, elle restait sur sa faim de ce désir de père. Maintenant elle était adulte, avait fini ses études d’architecte d’intérieur, travaillait dans un cabinet d’architectes, mais sa vie sentimentale était en souffrance. Elle enchaînait les petits amis sans pouvoir se fixer, car il lui manquait le modèle de référence. Elle revit aussi la cérémonie à l’église, le cimetière, les amis présents et d’un coup, quelqu’un qu’elle n’arrivait pas à reconnaître, déposant une gerbe de roses blanches, et se tenant debout tête penchée. Comme elle le fixait, il releva la tête, puis se détourna et s’en alla rapidement.
Elle chassa ses pensées en se relevant. Elle était venue pour faire l’inventaire de ce qu’elle allait garder ou vendre. Elle ouvrit méthodiquement tous les tiroirs pour faire le tri. Il y avait une liasse de lettres attachées par un ruban. Les lirait-elle ou les brûlerait-elle sans les lire ? Puis il y avait une boîte contenant des photos. Elle les éparpilla sur le canapé. Elle se vit bébé puis à tous les stades, avec des amis, des copains et des copines. Elle vit aussi sa mère, jeune fille probablement, incroyablement séduisante. Puis elle tomba en arrêt devant une photo. Non ! Qu’est-ce que cette photo faisait-là ? Un jeune homme, des yeux bleus rieurs et une mèche rebelle qui lui barrait le front. Non ! Mais ça lui rappelait quelque chose…
A ce moment, on frappa à la porte. Elle lâcha la photo et alla ouvrir. Ses yeux s’écarquillèrent d’étonnement. Devant elle se tenait l’inconnu du cimetière. Elle eût l’impression de voir son propre reflet dans un miroir. Ses yeux bleus plongèrent dans d’autres yeux bleus embués de larmes et un cri jaillit de sa poitrine. Papa ?
Hermy Zelinski (Breuillet)
Hermy Zelinski (Breuillet)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire