C’était un mercredi après-midi. J’étais au grenier en train de vider des cartons remplit de vieilles affaires que nous n’utilisions plus depuis des années. Que nous avions complètement oubliées même. Afin d’acheter du matériel pour le bébé qui arriverait d’ici six mois, nous voulions réaliser un vide-grenier. Cela nous permettait de nous faire un peu d’argent et de vider un peu le bazar que nous avions entassé. Une pierre deux coups.
Cela aurait dut me prendre deux heures à tout casser. Mais je passais cinq longues heures dans le grenier. Autant dire toute l’après-midi. Ma grossesse me rendait sentimentale. Je regardais toutes ces vieilleries avec affection comme le plus grand des trésors. Une poupée dont les cheveux avaient été coupés réveillait en moi une multitude de souvenirs et, plutôt que de la mettre immédiatement dans le carton des objets à jeter, je passer dix bonnes minutes à la regarder en me souvenant d’un tas de bons moments avec elle. Au final, elle finissait tout de même à la poubelle. Je faisais ça à chaque objet. Voilà pourquoi ça dura si longtemps.
Je venais d’ouvrir le troisième carton de mes vieux jouets estropiés quand je tombais sur ma boite à bijoux. C’était une jolie boite qui n’aurait aucun mal à trouver un acheteur. Je m’en servais pour mettre dedans un tas de bijoux en plastique, des lettres secrètes de mes copines ou des souvenirs de vacances. Cela faisait longtemps que j’avais retiré toutes les lettres afin de les ranger dans un album que je feuilletais de temps en temps par nostalgie. Je m’attendais donc à ne trouver que des babioles. Je l’ouvris pour voir dans quel état étaient les petits trésors à l’intérieur. Je retrouvais avec bonheur une couronne, des bracelets, colliers, bagues en très bon état et brillants. J’observais le tout pendant encore dix minutes en les faisant tourner dans mes mains, en les étalant sur un carton… bref.
La boite avait un compartiment secret que je soulevais en pensant ne rien trouver. Et c’est là que je l’ai vu. Qu’est-ce que cette photo faisait là ?
C’était un vieux cliché qui avait vingt ans. C’était bien avant les appareils photos numériques. C’était un polaroïd. La photo n’était pas très grande, les couleurs avaient passés et la qualité laissait à désirer. Pourtant, cette photo était bel et bien l’un de mes plus précieux trésors.
On me voyait petite. Je devais avoir cinq ans. Peut-être six. J’étais en maillot de bain rose, assise sur une plage à côté d’un petit garçon vêtu d’un short et d’une casquette bleus. Nous étions dans les bras l’un de l’autre et sourions à mon père qui tenait l’appareil photo.
C’était la première fois de ma vie que je partais en vacances. J’étais une parisienne à l’époque. Je vivais près du centre ville, au milieu du bruit, des immeubles d’un gris triste et de la pollution. Beaucoup de monde aime la ville. Et bien moi, je la déteste. Je la détestais déjà à cette époque. Je gardais dans un petit cahier des tas de photo de campagne, de champ, de forêt et de mer. Je rêvais que mes parents s’établissent en province.
Ces derniers gagnaient bien leur vie. Ce n’était pas ce qu’on pouvait appeler des gens riches. Mais leurs revenus étaient corrects. Seulement, vivre en centre-ville à un coût : loyer, charges etc… Aussi, nous ne partions jamais en vacances.
Quand ils m’avaient annoncé cette année-là que nous allions passer quatre jours au bord de la mer, j’ai sauté de joie jusqu’au plafond. Je n’en croyais pas mes oreilles.
Ils ont loué une caravane et nous sommes partit un dimanche en direction d’un camping placé sur la côte Atlantique, en Vendée. C’était merveilleux de partir enfin découvrir la nature.
A peine sommes-nous arrivé au camping que ma mère m’a fait enfiler mon maillot de bain et que nous sommes partit sur la plage. J’ai couru comme une folle, sentant avec plaisir les grains de sable s’enfoncer entre mes orteils. Ma mère a installé le parasol et les serviettes de bain sur le sable. Pendant ce temps, mon père installait la caravane dans le camping et devait nous rejoindre plus tard.
Je me suis jetée à l’eau. J’ai passé un bon moment à m’amuser toute seule avec les vagues, avec mon seau en plastique tout neuf et avec les coquillages que je trouvais.
Après avoir érigé un château de sable ridicule, mais qui me paraissait gigantesque, j’ai voulu le décorer. En cherchant un peu, j’ai trouvé cette espèce de chose gluante et blanche étalée sur le sable. Je ne savais pas ce que c’était, mais je me suis dit que ça ferait sûrement joli au sommet. J’ai tendu la main pour l’attraper. Avant que je ne la touche, une main m’a attrapé le poignet et m’en a empêché.
-Ne fais pas ça ! Tu vas te faire piquer.
-Piquer ? ai-je répété.
-Oui, c’est une méduse. Même morte, elle pique.
Vous l’auriez deviné, c’était le petit garçon de la photo. Il était brun et bronzé parce qu’il passait tout son temps sur la plage. Il avait sept ans et vivait dans une maison au bord de la mer. Il portait tout le temps des vêtements bleus, parce que c’était sa couleur préféré. Ce qui est stupide, c’est que je me souviens de tous ces petits détails, mais que j’ai oublié son nom. J’ai eu beau me creuser la tête, je ne m’en suis jamais rappelé. Pourtant, je n’ai pas oublié qu’il m’a fait passer les plus belles vacances de ma vie.
Nous avons joué ensemble cette après-midi-là. C’est même lui qui m’a appris à nager sur et sous l’eau. Même à ouvrir les yeux. Il connaissait les noms de toutes les plantes qui bordaient les dunes et de tous les coquillages qui parsemaient le sable. Moi qui ne connaissais rien à la nature, j’étais folle d’enthousiasme.
Quand la mer a commencé à se reculer et que le soleil se transformait en boule rouge en descendant derrière l’horizon, mes parents m’ont appelé pour que nous rentrions au camping. J’ai fait promettre au petit garçon de revenir me voir le lendemain. Et il a tenu sa promesse.
Le lendemain, il a débarqué avec un chien. Un énorme labrador couleur sable qui n’avait aucun mal à se cacher au milieu des dunes. Malheureusement, j’ai aussi oublié le nom de ce gros chien. Je crois que c’était quelque chose comme pantoufle ou patapouf. En tout cas, ce dont je me souviens, c’est que ce chien avait la joie de vivre : il pouvait passer des heures à courir, nager, aboyer, creuser etc…
Le garçon et son chien sont venus nous voir directement au camping. Mes parents et moi étions en train de prendre notre petit-déjeuner sur une table de fortune devant la caravane. Le petit garçon a dit bonjour à tout le monde et a demandé la permission à mes parents pour que nous allions jouer. Une fois l’accord donné, nous sommes partit en courant, le chien ne cessant de faire des aller-et-venues entre nous et l’horizon. Nous avons joué au ballon un moment, puis le garçon m’a montré sa cachette secrète. C’était une petite grotte dont l’entrée était cachée par des hautes herbes. On ne pouvait y accéder qu’à quatre pattes et être aussi petit qu’un enfant. Il y avait d’abord un tunnel d’un mètre qui se terminait par une sorte de cylindre creusé dans la roche, mais assez grand pour qu’on puisse se mettre debout.
Il m’a avoué que j’étais la première qu’il amenait ici et qu’aucun de ses copains ne connaissaient l’existence de cette grotte. J’ai été touché qu’il me fasse autant confiance. Du coup, je l’ai pris dans mes bras et je lui ai offert un gros bisou sur la bouche. Mon copain de vacances devenait mon premier amoureux.
Ensemble, nous avons marché longtemps, main dans la main, sur la plage. On parlait mariage et la belle maison que nous aurions au bord de la mer. A la fin de la journée, nous avons trouvé deux coquillages ronds cassés au milieu qui devinrent nos alliances de fiançailles.
Trois ans après, j’ai malheureusement brisé cette alliance et j’en ai pleuré pendant une semaine. J’ai gardé les morceaux quelques temps, mais à douze ans, je me suis décidée à les jeter à la poubelle.
Le troisième jour de nos vacances, mon amoureux est de nouveau venu me chercher directement au camping. Nous nous sommes embrassés devant mes parents. Ils ont bien rit à cet instant. Ils ont rigolé encore plus fort quand nous avons déclaré que nous comptions nous marier l’hiver suivant. On voulait se marier sur la plage et sous la neige en même temps.
Nous avons passé une nouvelle journée ensemble. Mon amoureux m’a fait découvrir encore pleins d’autres choses sur la mer et la nature. L’après-midi, son gros chien nous a rejoints et nous avons joué ensemble.
Le soir, ses parents ont invités les miens à un barbecue. Eh oui ! Nous avons passé tellement de temps ensemble que nos parents s’étaient rencontrés et étaient devenus amis. Ses parents aussi avaient ri quand mon amoureux leur a annoncé notre mariage. Peu importe leurs moqueries, nous, nous savions que nous allons nous marier plus tard.
La quatrième journée, nous l’avons passé tous ensemble, mon amoureux, ses parents, leur chien, mes parents et moi. Nous sommes restés toute la journée sur la plage et avons pique-niqué le midi sur une couverture étalée sur le sable.
A la fin de la journée, quand mes parents déclarèrent qu’il était temps de reprendre la route, mon amoureux et moi nous nous sommes embrassé une dernière fois et nous nous sommes promit de nous revoir aux prochaines vacances. A cet instant, mon père a sorti son appareil photo et nous a photographiés.
Voilà l’histoire de cette photo et de mon premier amoureux. Nous ne nous sommes pas revus les vacances suivantes. J’ai supplié mes parents qu’on retourne au camping, mais nous n’y sommes jamais allés. Je les ai supplié chaque vacance pendant deux ans. Malheureusement, nous n’avions pas les moyens de repartir.
Adolescente et adulte, j’aurais pu y retourner. Mais, soyons réaliste : ce gamin m’avait sûrement oublié depuis longtemps. Peut-être même avait-il déménagé. Imaginons que je l’ai retrouvé, qui me dit que nous nous serions entendus. Les gens change en cinq, dix ou vingt ans. Et puis, je préférais me souvenir de lui comme étant mon premier petit amoureux. Bien sûr, je n’ai jamais vraiment oublié ces vacances ni ce petit garçon. Quand j’ai eu mon diplôme, j’ai cherché du travail en Vendée. J’étais tombée amoureuse de cette région et de ces lieux. A l’âge adulte, j’ai enfin put quitter Paris et sa tristesse pour gagner la province. J’ai construit ma vie d’adulte ici et je me suis fait tout un tas d’amis. C’est ici que j’ai rencontré l’amour de ma vie. Comme quoi, la Vendée est vraiment une région où je tombe amoureuse.
J’ai tenu cette photo pendant un bon moment. Assise sur une caisse, j’ai passé un bon moment à observer cette photo. J’ai même versé quelques larmes. Fichues hormones de grossesses qui ne cessait de me faire pleurer comme une gamine. J’étais dans cet état quand mon mari est arrivé en gravissant l’échelle.
-Bonjour chérie, m’a-t-il salué.
-Bonjour Lucas, ai-je répondu.
-Oh là ! Qu’est-ce qu’il t’arrive encore ? Tu pleures encore à cause de l’émission sur les bébés tigres ?
La veille, nous avions regardé un documentaire sur des tigres qui apprenaient à se débrouiller tous seuls en pleine nature. J’ai tellement pleuré que j’ai mouillé trois mouchoirs en papier.
J’ai hoché la tête pour lui dire non et je lui ai tendu la photo. Il l’a regardé et s’est exclamé joyeusement :
-Oh, je ne me souvenais plus de cette photo.
Je l’ai regardé, étonnée. Je ne me souvenais pas lui avoir déjà montré, je ne me souvenais pas moi-même que je l’avais. Il m’a rendu la photo et a déclaré en me faisant un clin d’œil :
-Ne sois pas jalouse ma chérie, mais sur cette photo on me voit avec ma première petite amoureuse. J’avais sept ans à l’époque.
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