—
Souriez commissaire !!! On va l’coincer c’braqueur ! Maint’nant qu’on
sait qui c’est c’fils de pute !
—
Aziz, serait-ce trop de demander de surveiller ton langage ?
—
Mes excuses, commissaire… C’est l’habitude.
—
L’habitude est un mauvais prétexte. Sais-tu qu’il est judicieux de tourner sept
fois sa langue dans sa bouche avant de parler ?
—
Bah pourquoi ?
—
A ton avis.
Aziz
leva les yeux vers le plafond, sans doute pour mieux se concentrer tandis que
le commissaire Morel l’observait patiemment.
—
Je m’imagine pas tourner sept fois ma langue avant de dire quelque chose, vous
vous rendez compte un peu si tout l’monde faisait pareil !
—
C’est une expression, Aziz, dit Morel en soupirant. Qui implique que chaque mot
à son importance. Par exemple, pour en revenir à ce que tu disais quand tu es
entré dans mon bureau sans frapper, comment peux-tu affirmer, sans la connaître,
que la mère du braqueur est une… péripatéticienne.
—
C’est quoi ? demanda Aziz.
—
Cherche dans ton télé-smart-iphone… je ne sais plus comment on doit les appeler
à présent. Il faut bien qu’il te serve utilement à quelque chose.
Aziz
dégaina son portable et se mit à pianoter dessus.
—
Ça s’écrit comment vot’ truc ?
—
Comme ça se prononce.
—
Vous êtes pas cool commissaire…
—
Je ne suis pas là pour ça. Et de un, je te rappelle, comme tu as eu la
malencontreuse idée de te faire prendre en flagrant délit de tags sur nos
voitures, que la juge t’a condamné à venir
nettoyer tes œuvres. Pas à te balader dans les couloirs. Et de deux, comment es-tu
au courant que le braqueur a été identifié ?
Aziz
haussa les épaules.
—
Je suis passé devant le bureau de Michaux, il discutait avec d’autres types. Hey ! C’est pas d’ma faute, la porte
était ouverte. J’en sais pas plus ! Parole d’Aziz !
—
Pour toi, ce sera « le lieutenant » Michaux, pas Michaux. La
politesse commence par le respect, Aziz.
—
Ah ! j’ai trouvé ! s’exclama Aziz toujours penché sur son portable. Il releva
la tête, surpris. Qu’est-ce qu’y vient faire là-d’dans, Aristote ? C’est
pas un philosophe ?
—
Si, confirma Morel. Mais tu n’es sans doute pas sur la bonne définition. J’ai
dit « péripatéticienne » pas « péripatéticien ».
—
N’empêche commissaire, continua Aziz en se tapotant la tête du doigt, y’en a quand
même là-dedans…
—
Je ne pense pas le contraire, Aziz.
—
Vous peut-êt’pas…reconnut celui-ci. Vous semblez pas comme les aut’ keufs. Dès
fois, j’me dis que j’devrais dev’nir flic. Rien qu’pour remettre de l’ordre
dans tout ça.
—
Ça te plairait ?
—
Dev’nir un keuf ? Ben ouais… pourquoi pas ?
—
« Et bien oui, pourquoi pas », le reprit le commissaire Morel. Il faudra
commencer par revoir ta façon de t’exprimer. Au fait, pourquoi es-tu là ? demanda-t-il.
—
C’est Michaux… pardon ! le lieutenant Michaux qui m’envoie vous dire que
c’est prêt. Par contre, je sais pas d’quoi il s’agit. Il parait que vous, si.
La
nuit était tombée depuis un bon moment déjà. Morel, assis face à son ordinateur,
scrutait avec la plus grande attention les vidéos des braquages sur lesquels le
commissariat travaillait depuis plusieurs mois maintenant. Michaux les avait
réunies, sur sa demande, et une bonne partie de l’après-midi jusqu’au soir, il avait
cliqué sur l’une, sur l’autre, revenant sur la première puis reprenant la
seconde et ainsi de suite. A chaque fois, le scénario se répétait, identique.
Un homme entrait dans une banque, après avoir passé sans problème les sas de
sécurité. Et pour cause : son aspect différait à chaque fois. On avait
vite compris qu’il se métamorphosait sous différentes tenues et se grimait d’accessoires :
perruque, moustache, fausses lunettes… se trouvant aisément dans un quelconque
magasin d’articles de fêtes. Impossible de détecter avant coup dans les caméras
contrôlant les sas que le cadre d’affaires, le vieillard, l’étudiant, bref
monsieur tout le monde, se tenant devant, était sur le point de braquer la
banque. L’homme entrait, s’avançait puis
sortait une arme qu’il pointait sur les clients terrorisés, leur intimant
l’ordre de s’allonger et de croiser les mains sur leur nuque. Il se dirigeait alors
vers un guichet pour se faire remettre, sous la menace explicite de son arme,
des liasses de billets qu’il enfouissait dans un sac de sport, une besace, un
attaché case, c’était selon…
Puis
il repartait tranquillement, personne n’osant faire le moindre geste à son
encontre.
On
en était à six braquages quand un élément, infime de prime abord, avait permis de supposer l’identité du braqueur. Un
petit bout de papier, qui s’avérerait être un ticket de caisse, avait glissé de
sa poche lors du dernier braquage, sans qu’il ne s’en aperçoive, et le morceau
de papier aurait pu ne mener à rien si l’endroit d’où il provenait n’était pas lui-même
équipé d’un système de vidéosurveillance. L’endroit en question était une petite
supérette dans laquelle, excédé par les vols récurrents intervenant dans
son magasin, le gérant avait fait installer, au-dessus des rayonnages et des
caisses, des caméras qui enregistraient le va et vient des consommateurs.
Certes, le braqueur opérait déguisé, et le ticket de caisse étant anonyme
puisque non rattaché à un compte fidélité, ce pouvait être n’importe qui, un
client habituel comme un occasionnel, mais l’homme avait oublié que les gestes pouvaient
être aussi révélateurs qu’un visage. Les policiers n’avaient pas été longs à
repérer sur les caméras de la supérette un type dont l’allure et la démarche
semblaient correspondre à celui qui entrait dans les banques et en ressortait
le pas aussi tranquille que s’il venait de remplir son panier de provisions. De
là, on avait donc mis en place une surveillance sur le présumé braqueur, de son
nom Jonathan Vidal, qui semblait par ailleurs avoir une vie des plus
ordinaires. Travaillant dans un cabinet comptable, c’était d’après ses
supérieurs un élément aussi sérieux que compétent. On ne savait pas grand-chose
de lui, il parlait peu de sa vie privée mais après tout, ce n’était pas plus
mal. L’important était que le travail était fait. Et c’était le cas.
Le
compte bancaire de l’homme avait été méticuleusement épluché. Au crédit, seul
son salaire apparaissait, versé tous les 5 du mois. Aucune remise d’espèces
suspecte. Au débit, rien que des achats de première nécessité. L’homme ne
menait pas grand train. Pas de nouvelle voiture, pas de voyages à l’étranger, pas
de dépenses accessoires comme un costume luxueux ou une montre atrocement
onéreuse. A quoi lui servaient ces braquages, alors ? Sans doute l'homme
était-il de connivence avec des relations douteuses qui se chargeaient de
blanchir l’argent… Pourtant, ni appels téléphoniques ou mails anormaux, ni
rencarts louches au coin d’une rue ou dans un tripot égaré au fin fond d’une
cour obscure. On s’était un moment demandé si l’on ne faisait pas fausse route
mais, après avoir comparé les bandes des braquages et celles de la supérette, l’analyste
comportemental avait été formel. Aucun doute là-dessus : les deux
silhouettes étaient une seule et même personne.
Cependant,
pour arrêter et incarcérer, il fallait des preuves ; il s’agissait donc de
coincer le suspect « la main dans le sac », autrement dit lors du
prochain braquage. Il n’y avait pas de raison que le type s’arrête en si bon
chemin. A en juger par leur fréquence à intervalles réguliers de quatre à cinq
semaines, une toute prochaine attaque était plus que probable. On avait donc placé
des effectifs en filature constante partout où le supposé braqueur allait : à
son domicile, sur son lieu de travail, à la supérette du coin, à l’hypermarché
voisin, chez son dentiste, à la maison de retraite où résidait sa mère, aux
portes des différentes associations caritatives dans lesquelles il œuvrait en
tant que bénévole. Cela avait d’ailleurs été une surprise de constater l’implication
sociale de cet homme. Il aurait pu passer pour un saint.
Le
commissaire Morel allongea sous le bureau ses jambes douloureuses. Se dégourdir
un peu ne serait pas du luxe. Il se leva, s’étira, sortit pour se diriger vers la
salle de repos munie de l’unique machine à café de tout le commissariat. Les
lieux silencieux témoignaient d’une nuit plutôt calme. Ce n’était pas pour
déplaire au commissaire Morel qui réfléchissait mieux ainsi. Il poussa la
porte, éclaira la pièce, se dirigea vers la machine devant laquelle il resta
planté un moment, hésitant entre un café court, un long, un thé ou pourquoi pas
un potage, pendant que son esprit, lui, était encore plongé dans les bandes
vidéo. Quelque chose d’abscons l’obsédait, sans doute un détail, qu’il ne
parvenait pas à déchiffrer. Cela le titillait. Cela l’agaçait.
C’est
alors qu’un bruit lui parvint, en provenance d’une petite pièce toute proche faisant
office de placard où l’on amassait tout un tas de choses aussi utiles
qu’inutiles : des fournitures de bureau, des provisions de café, de sucre,
de thé, des boîtes de biscuits, quelques bières pour les soirs exceptionnels de
grands matchs quand on avait la malchance d’être pris en otage pour une garde
obligatoire, un seau, une serpillière, un balai, des torchons, et des objets
retrouvés çà et là dans le commissariat, en attente improbable de leur
propriétaire, pulls, bonnets, paires de gants…
Morel
s’approcha de la porte fermée et tendit l’oreille. Un soupir se fit entendre.
Cette fois, plus de doute. Quelqu’un se trouvait bien à l’intérieur. Il tourna
la poignée, entra et éclaira la pièce.
— Aziz,
dit-il. Puis-je savoir ce que tu fais dans ce placard ?
—
Mes excuses, commissaire, s’éleva une voix à demi étouffée d’un sac de couchage
posé à terre en travers de la petite pièce
— Lève-toi et viens. Je t’offre un café, dit
Morel en retournant devant la machine.
A
la vitesse d’un paresseux, le jeune homme sortit du cagibi, les yeux encore
embués d’un début de nuit à laquelle on venait brutalement de l’arracher. Morel
posa sur la table deux gobelets brûlants, prit une chaise, invitant Aziz à
faire de même.
—
Ça fait combien de temps que tu dors là ? demanda-t-il.
—
Ben… cinq jours, avoua Aziz.
—
Depuis que tu es là, donc. Et chez toi ?
—
C’est compliqué, commissaire. Mon père, il a pas digéré.
—
Que tu te sois fait prendre ?
—
Pas que… aussi les tags… tout ça quoi… Pour êt’franc, commissaire, il m’a foutu
à la porte… « reviens qu’une fois que t’auras compris » qu’il m’a
dit.
Aziz
baissa pudiquement les yeux, taisant la fierté bafouée de son père, l’amour blessé
de sa mère.
Un
silence s’installa. Aziz absorba une gorgée de café. Il avait beaucoup plus l’air
d’un oisillon tombé de son nid que d’un chat roublard prêt à bondir dessus. Morel
détailla le jeune garçon, son visage encore lisse, les yeux noirs qui
regardaient sans détour. Il n’avait sans doute pas eu beaucoup de chance dans
la vie mais il était loin d’être un de ces petits caïds de quartier. Au
contraire, depuis qu’il avait été « condamné » à lessiver ses tags
sur les voitures du commissariat, les quelques fois où il l’avait croisé, Morel
l’avait vu toujours un grand sourire aux lèvres. Etant de ces personnes
intuitives dont on disait qu’elles avaient du flair, Morel avait pressenti chez
le jeune Aziz, au-delà de sa façon de se tenir et de son langage incertain, qu’il
avait peut-être des talents encore ignorés.
Comme
mû soudain par une décision, Morel se leva.
—
Suis-moi, dit-il au jeune homme.
—
Observe, dit Morel quand tous deux furent assis devant son ordinateur. Et
dis-moi si tu remarques quelque chose de… singulier.
Aziz
se concentra scrupuleusement sur les vidéos que Morel mit en action, sur les
images qui défilèrent, toutes identiques, selon le même rituel. Le braqueur
entrait, faisait s’allonger les clients présents, se dirigeait vers un des
guichets, raflait l’argent qu’on lui donnait, puis après quelques secondes,
tournait les talons et ressortait.
Aziz
se tourna vers le commissaire Morel qui riva ses yeux aux siens.
—
Alors ?
—
Ouais, j’crois savoir c’que vous avez vu… le type, juste avant d’se casser….
—
Il prononce quelques mots à la personne derrière le guichet, poursuivit Morel sur
la même longueur d’onde… Et je voudrais bien savoir ce qu’il dit… poursuivit-il
songeur.
—
Moi, je sais… dit Aziz en souriant. Ouais, je sais lire sur les lèvres, expliqua-t-il
devant l’air intéressé de Morel.
*
Quand
Jonathan Vidal rentra du travail, il ouvrit sa boîte aux lettres, comme il le faisait tous les soirs avant de monter
chez lui. En règle générale, il n’y avait que des prospectus. Parfois un
courrier des services des eaux ou du gaz, ou de sa banque. Cette fois-ci, il y
avait aussi une enveloppe cachetée. Jonathan la retourna. Rien n’indiquait sa
provenance. Elle n’avait pas été expédiée par la poste car aucun timbre n’était
collé dessus. Non, c’était quelqu’un qui l’avait déposée dans sa boîte.
Quelqu’un qui le connaissait puisque son nom était écrit dessus.
Jonathan
monta les marches jusqu’au deuxième étage, entra dans son appartement, ferma la
porte du pied, ses mains étant occupées à décacheter l’enveloppe. A
l’intérieur, un papier était plié en deux. Jonathan resta un instant interdit
devant la teneur du message :
« Rendez-vous au KFC de la zone commerciale du
Moulin à Vent, à 19 h précises. Entrez, faîtes semblant de faire la queue puis
dirigez-vous vers les toilettes. PS : Brûlez ce papier et évitez le
téléphone et les mails, vous êtes surveillé.».
La
première impulsion de Jonathan fut de se précipiter vers la fenêtre mais il s’arrêta
à quelques mètres. « Vous êtes surveillé » disait le message. Il
n’était donc pas question de soulever le rideau pour voir si une voiture
suspecte était garée dans le coin. « Faire comme si de rien n’était »
pensa-t-il. Puis aussitôt : « Et si c’était un traquenard ? »
Mais qui aurait voulu le piéger ? Personne ne pouvait savoir pour les
braquages. Pourtant quelqu’un voulait le rencontrer. Quelqu’un qui savait. Les
flics n’avaient encore pas débarqué. C’était donc une histoire de chantage.
Jonathan
resta un long moment, méditant le pour et le contre. Ne pas y aller risquerait
de l’exposer à une dénonciation. Il n’avait aucune envie de moisir dans les
cellules d’une prison. Accepter le deal que l’individu allait lui imposer ne
l’enchantait pas plus. Il avait une certaine idée de la justice et se faire
manipuler ainsi le révoltait.
Il
jeta un œil à sa montre. 18 h 15. Juste le temps d’aller tranquillement au centre
commercial. Histoire de voir déjà si cette pseudo surveillance était bien
réelle. Il attrapa ses clés de voiture, claqua la porte et descendit
l’escalier. Une fois dehors, il se maîtrisa pour avoir l’air aussi neutre que
possible. Surtout ne pas avoir l’air de vérifier. Il mit le moteur en marche,
actionna son clignotant, s’engagea sur l’avenue. A cette heure, la circulation
était dense. Avant de se diriger vers la zone commerciale, il prit quelques
rues au hasard, jetant de brefs coups d’œil dans son rétroviseur. Il remarqua vite
qu’une Renault Laguna foncée se tenait régulièrement à deux voitures derrière
lui. Il enclencha son clignotant, comme pour tourner sur la prochaine à droite.
La Laguna fit de même. Il poursuivit tout droit. La Laguna était toujours là.
Il dut se rendre à l’évidence : on le suivait.
Tout
en conduisant, Jonathan réfléchissait. Son prochain casse était prévu pour le
surlendemain. La banque avait été
choisie, tout avait été planifié. Il lui fallait tout annuler.
Ce
qui l’embêtait le plus, ce n’était pas d’arrêter les braquages. Même s’il avait
fini par prendre goût à ces actions qu’il se justifiait. Lui, habitué jusqu’à
présent à l’ordre soporifique des chiffres, voilà qu’il goûtait désormais au
frisson de l’inconnu, qu’il tenait à même sa main, via une arme factice aussi
vraie que nature, comme on savait si bien faire les choses à présent. Non, ce qui l’embêtait vraiment, c’était qu’il n’y aurait plus l’argent. Tout du moins
pour un petit moment. Il lui fallait donc réfléchir, trouver une autre
solution. Mais en attendant, surtout, il lui fallait faire le mort. Lever les
soupçons qui pesaient sur lui. Car Jonathan en était convaincu, pour le moment,
les flics n’avaient que des soupçons. Ils n’attendaient qu’un faux-pas.
Jonathan
sentit d’un coup son cœur s’emballer. Et si c’était les flics eux-mêmes qui
avaient monté le coup, déposé le message dans sa boîte aux lettres ?
Histoire qu’il se découvre en se pointant au rendez-vous… Mais non, impossible.
Les flics n’auraient pas tenté de le confondre de cette manière. Ils avaient
besoin de preuves plus concrètes.
Après
s’être garé sur le parking du KFC, Jonathan descendit de voiture, pénétra dans
le restaurant, se plaça dans la queue déjà longue d’adeptes incorrigibles de nourritures
addictives. Feignant l’impatience en regardant sa montre, il déboita soudain, se
dirigea vers les toilettes dans lesquelles il entra. Il était seul.
A
ce moment, la porte au fond des sanitaires, donnant sur la cour réservée aux
poubelles de l’établissement, s’ouvrit. Un homme d’âge mur, sombrement vêtu, derrière
lequel se tenait un tout jeune garçon dans un jogging mou et un sweat à la
capuche remontée cachant en partie son visage, leva la main pour l’inviter à
venir les rejoindre. Jonathan hésita un instant. L’homme n’avait pas l’air
menaçant, le jeune, lui par contre, ne lui inspirait pas confiance. Mais, après
tout, quitte à vivre dangereusement, autant aller jusqu’au bout.
La
lourde porte se referma lentement derrière lui.
*
—
Aziz, je compte sur ta discrétion, dit Morel quand tous deux regagnèrent la
voiture personnelle du commissaire, garée derrière le KFC.
—
Parole d’Aziz ! répondit le jeune homme en crachant par terre.
—
De toute façon, tu n’as pas le choix. A la moindre confidence de ta part, je
dirais que c’est toi qui as prévenu le braqueur, après avoir appris son
identité en écoutant aux portes des bureaux du commissariat.
—
Pas d’lézard, commissaire. Je s’rai muet comme une tombe.
Puis,
de continuer les yeux brillants :
—
Parole d’Aziz, commissaire ! Vous êtes trop cool ! Jamais j’aurais
pensé qu’un flic fasse ça !
Morel
s’installa au volant de son véhicule, rejoint par Aziz qui s’asseyait sur le
siège passager.
—
Prévenir un suspect et le laisser volontairement filer, tu veux dire ?
Le
commissaire Morel se carra contre le dossier du siège, le regard au loin.
—
Vois-tu Aziz… Il y a tellement de choses
moches dans ce monde, des meurtres dont certains sont, certes, élucidés, des
violences dont certaines sont, certes, endiguées, mais aussi tant de
concupiscence, de convoitise, de malhonnêteté qui, elles, flottent au-dessus de
toutes les lois, savamment maquillées qu’elles sont sous les couleurs de la notoriété,
de la respectabilité, du prestige, du pouvoir… Aussi, lorsque tu m’as traduit les
mots que Jonathan Vidal prononçait, juste avant de sortir des banques…
— « Merci
pour eux… », rappela Aziz.
—
… j’ai compris, en un éclair, ce que cet « Arsène Lupin » vient de
nous confirmer, qu’il reversait intégralement, et dans le plus grand secret, tout
l’argent à des associations qui se chargeaient ensuite « discrètement »
de le répartir pour la bonne cause, que c’était sa façon à lui de rétablir les
injustices de notre belle société, et je me suis dit que l’espèce humaine
n’était pas encore totalement perdue. Alors, j’ai fait moi aussi mon travail de
« justicier », celui pour lequel je suis entré dans la police il y a de
longues années maintenant. Et qui m’a au fil du temps mené vers des chemins
bien trop obscurs. J’ai laissé aller ce jeune homme pour qu’il puisse, comme il
nous l’a promis, et de façon légale désormais, continuer d’œuvrer pour les plus démunis. J’y veillerai.
—
Et s’il vous avait raconté des bobards, commissaire ? Vous avez pensé à
ça ?
—
Bien sûr, mon petit Aziz. Et sois rassuré. Le policier que je suis ne manquera
pas de vérifier tout cela, tout aussi « discrètement ». Mais je me trompe rarement sur les personnes
qui croisent ma route.
Morel tourna la tête, posa les yeux sur le
jeune garçon au regard brillant.
—
Tu es un bon gars, Aziz, conclut-il, un sourire au coin des lèvres. Et tu seras
un excellent policier. J’irai parler à ton père.
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