mardi 28 mai 2013

Musique de chambre

Chambre 405. Bienvenue au Saint-Exupéry, monsieur Almeida, m’annonça la réceptionniste qui répondait au doux nom de Julia.
            Je la remerciai d’un hochement de tête, pris ma clé et rejoignis l’ascenseur. Un coup d’œil à ma montre m’informa qu’il était déjà vingt-trois heures. La nuit allait être courte et j’avais tant besoin de repos. Le trajet en voiture avait été rude de Paris à Vénissieux, banlieue sud de Lyon. De plus, nous avions eu un week-end agité avec, notamment, la venue de mon beau-frère et de sa femme. J’avais encore à l’esprit les parties de poker interminables qui avaient jalonné ces deux jours. Inutile de préciser que cette semaine de formation sur les marchés financiers – de plus, aussi loin de Paris – ne m’enchantait guère.
            Je trainais les pieds, ainsi que mon sac de voyage, en direction de ma chambre. Le couloir, sombre, dégageait une sorte d’aura mystérieuse. A moins que ce ne fût la fatigue qui me jouait des tours. Je repérai rapidement la chambre n°405 et entrai.
            La pièce était cossue. « C’est bien mieux que la dernière fois », soupirai-je. La BG&Co – la banque dans laquelle je travaille – avait retenu les petites erreurs du passé et nous avait offert cette fois-ci de splendides appartements. La formation résidentielle est tellement contraignante qu’il est préférable d’avoir une chambre agréable dans laquelle on peut se détendre, non ?
            Je m’empressai de fermer la fenêtre restée ouverte et posai mon sac sur un grand divan noir recouvert d’un reps beige. La chambre devait bien faire trente-cinq mètres carré, au bas mot. De larges bandes diaprées ornaient le papier peint et de multiples tableaux – la plupart des camaïeux – recouvraient les murs. D’accord, il fallait aimer vivre dans un arc-en-ciel, mais le tout apportait chaleur et confort et, après tout, cela était bien le principal. L’épaisse moquette, donnait l’impression de marcher sur un nuage, ce qui me prouvait que je n’étais pas loin d’être au paradis. Je me sentais comme un petit prince au Saint-Exupéry…
            Je m’allongeai de tout mon long sur le lit et fermai les yeux. Je crois bien que j’aurais pu m’endormir tout habillé si une sonnerie n’avait pas soudainement retenti.
            Déjà debout, je courrai de toutes mes forces à la recherche de l’appareil qui se trouvait près de la porte. Au moment d’arriver devant celle-ci, mes pieds butèrent sur un morceau de papier que je n’avais pas remarqué jusqu’ici. C’était une enveloppe blanche, vierge. Abandonnée sur la moquette. Que faisait-elle ici ? L’avait-on glissé sous ma porte sans que je ne m’en rende compte ? Tout à mes réflexions, je décrochais néanmoins le combiné. C’était Julia, la réceptionniste.
‒ Il y a un problème avec votre chambre, monsieur Almeida.
‒ Comment ça ? Expliquez-vous.
‒ Je suis confuse. La 405 est déjà réservée, je n’y ai pas pris attention…
‒ Bien. Trouvez m’en une autre, dans ce cas, répondis-je tout en scrutant l’enveloppe.
‒ Je m’en occupe.
            Cela était bien ma veine. Pour une fois que j’obtenais une chambre spacieuse, celle-ci appartenait déjà à un autre. Je décachetai le pli avec dextérité et restai sans voix. « Non ! Qu’est-ce que cette photo fait là ? » m’exclamais-je.
            L’enveloppe ne contenait qu’une photographie représentant un homme souriant à une table, visiblement ignorant l’objectif. Au dos du cliché, quelques inscriptions griffonnées à la hâte :
            Eliminez-le. Faîtes comme d’habitude. 10 000 après le job.

            Je restai interloqué. Le message ne laissait aucune place à l’ambigüité. Tuez cet homme et vous serez rémunéré en conséquence. Qui m’avait glissé cette lettre sous la porte ? Mon regard s’attarda sur le téléphone que je venais de reposer sur le socle. Je devais changer de chambre. Elle était réservée. Mon Dieu !... Ce message ne m’était pas destiné !...
            J’empochai l’enveloppe – et la photo – et redescendis en hâte à la réception. Julia semblait embarrassée.
‒ Je suis désolée, s’exclama-t-elle, c’est une regrettable erreur.
            Je lui fis comprendre que ce n’était rien et me fit attribuer une nouvelle chambre. La 408. Juste en face de l’ancienne. Elle m’assura qu’il s’agissait de la même, mais à cette heure avancée, seule l’envie de dormir m’importait. J’empruntais donc à nouveau le chemin jusqu’au quatrième étage. La chambre était effectivement la même que la précédente, à ceci près que le lit se trouvait à gauche et non à droite. Je m’effondrai sur celui-ci et m’endormis rapidement. Tout habillé.


            Le lendemain, je rejoignai la salle de réunion de l’hôtel tout en ressassant cette histoire de photo. Que devais-je en penser ? La tête d’un pensionnaire de l’établissement était à prix ? Quelqu’un avait embauché un tueur à gages pour commettre un meurtre ? Je regarde trop la télévision, me disai-je. Mais, pendant un bref instant, je me mis à regretter d’avoir pris cette enveloppe. Après tout, cela ne me regardait pas.
            J’oubliai rapidement toute cette histoire en m’investissant à fond dans la formation. Pour un vieux banquier comme moi – vingt ans de métier ! – aborder le marché financier relevait plutôt de la révision. Mais une piqûre de rappel ne fait jamais de mal.
            La journée touchait à sa fin et nous allions laisser de côté les OPCVM pour la soirée. J’avais retrouvé un vieux collègue bordelais, Michel, que je croisais régulièrement lors des formations nationales de la BG&Co. Nous nous installâmes sur une banquette dans le salon de l’hôtel et nous échangeâmes sur nos vies respectives tout en sirotant une bière. Je profitais pleinement de l’instant – la première vraie accalmie depuis mon arrivée – lorsque je perçus une légère agitation à la réception. Un homme semblait s’énerver contre la réceptionniste et j’eus le sentiment d’avoir affaire à l’occupant de la chambre 405.
            La tempête passée, je m’extirpai à toute hâte de mon siège en direction de Julia.
‒ Mais, Florent, où est-ce que tu vas ? s’exclama Michel.
‒ Je reviens ! lui assurai-je.
            Julia avait l’air exténuée. Usant de mes charmes, je tentai de connaitre l’identité de l’homme qui venait de partir. Elle avoua qu’il s’agissait de l’occupant de la 405. Bingo ! m’écriai-je en mon for intérieur.
‒ Il dit qu’il aurait dû avoir un message et qu’il ne l’a pas reçu, me confia-t-elle. Il était très en colère…
            Elle me demanda, l’air de rien, si je n’avais pas trouvé un message la veille lors de ma visite dans la chambre. Je réfléchis un instant et décidai qu’il valait mieux garder pour moi ce que j’y avais trouvé. Je lui répondis que non. Ce faisant, je lui expliquai que je pourrai aller voir cet homme et lui dire qu’aucun message n’était présent dans la pièce. Ainsi, il serait rassuré. Et elle aussi.
‒ Allez, insistai-je voyant sa mine réprobatrice, donnez-moi au moins son nom.
‒ Il s’appelle Maurice Schwob, lâcha-t-elle finalement. Mais vous perdez votre temps.
            Je la rassurai en lui disant qu’il n’y avait aucun problème, que je savais ce que je faisais.
            Même si je l’ignorais totalement. Mais au moins, j’avais un nom.


            Plus tard dans la soirée, j’abandonnai Michel et regagnai ma chambre pour aller me coucher. Il me prit l’envie d’aller frapper à la porte de la 405 et interroger directement ce Maurice Schwob pour en avoir le cœur net. Mais tout bien réfléchi, s’il était vraiment celui qu’il devait être, n’était-il pas dangereux de me jeter dans la gueule du loup ? Ne fallait-il pas plutôt appeler la police ? Mais qu’aurais-je dit ? Mis à part cette photo, je n’avais pas l’ombre d’une preuve…
            Convaincu, je m’enfermai dans ma chambre à double tour et me déshabillai. Un bruit de porte – assez proche – m’interpella et je glissai un œil dans le judas. J’aperçus aussitôt Schwob sortir dans le couloir et s’arrêter juste devant ma chambre. Je vis ses yeux noirs et sa bouche tordue, surmontée d’une épaisse moustache et je sentis à cet instant un frisson parcourir mon échine.
            Il ne quittait pas ma porte du regard. S’était-il rendu compte que je l’espionnais à travers la porte ? Il ne bougeait pas. Qu’attendait-il à la fin ? Je n’en menais pas large. Depuis le début, je n’aurai pas dû me mêler de cette histoire, pensais-je. Je me mis à maudire la réceptionniste. Si cette garce ne s’était pas trompée, je ne serais pas là en train de trembler à moitié nu contre ma porte à surveiller un tueur à gages – ou que sais-je – un serial killer ! Jouer les héros ne sert à rien si je finis dans un fossé avec une balle dans la tête…
            Mais, déjà, Schwob faisait demi-tour. Visiblement, il ne devait pas être certain de mon implication dans l’histoire. Dès qu’il disparut, je me jetai sur mon pantalon et me saisit de l’enveloppe et de la photo que je décidai de brûler. Je ne voulais pas que ces « preuves » me desservent et me coûtent la vie. Je m’enfermai dans la salle de bains et mit le feu au tout en me débrouillant pour ne pas déclencher l’alarme incendie. Ce qui aurait été un comble.
            Ce travail effectué, je me mis rapidement au lit. Inutile de dire qu’il fut difficile pour moi de fermer l’œil de la nuit, troublé par la peur de voir apparaitre Schwob en personne avec une sulfateuse et par le bruit lancinant que j’entendis une bonne partie de la nuit dans le couloir.


‒ Tu en as une tête, Florent ! Tu as révisé toute la nuit ou quoi ? s’exclama Michel en rigolant alors que nous nous dirigions vers le buffet du petit-déjeuner.
            Et pour cause. Je n’étais pas parvenu à dormir plus de dix minutes d’affilée, la peur au ventre. Je faisais peine à voir avec mes valises sous les yeux. La crainte de me faire assassiner en pleine nuit avait été plus forte que le sommeil. Je bredouillai rapidement une excuse tout en mordant dans un pain au chocolat. Michel, lui, avait bien dormi. Il était déjà opérationnel et surveillait d’un œil distrait les valeurs du CAC40 sur son i-phone.
            Je saluai d’autres collègues de formation dont certains avaient le même visage blême que le mien. Certainement pas pour les mêmes raisons mais au moins passerais-je inaperçu parmi eux. Une autre tête retint mon attention. Et je faillis m’étouffer.
‒ Hey, ça va ? me demanda Michel qui relava les yeux de son portable.
            Je lui fis signe que oui. J’avais juste avalé une bouchée de travers. Ce qui n’était pas complètement faux. Le visage que j’avais aperçu était celui de la photo. La « victime » était assise quelques mètres plus loin, seule. C’était un homme aux tempes grises, habillé d’un costume sombre, qui lisait le journal tout en buvant son café. Je l’observai à la dérobée. Oui, j’étais certain qu’il s’agissait de l’homme de la photo. Que venait-il faire là ? Se faire tuer ?...
            Michel me demanda ce qu’il m’arrivait. Je lui paraissais très préoccupé.
‒ C’est la petite réceptionniste d’hier, hein ? C’est pour ça que tu es fatigué ? me demanda-t-il accompagné d’un clin d’œil.
            Je repris mes esprits.
‒ Non, je suis juste très fatigué, Michel, rien de bien méchant.
            Il accueillit ma réponse sans broncher et se concentra à nouveau sur ses valeurs boursières. Que devais-je faire à présent ? Je savais que l’homme au journal était sûrement en danger. La moindre des choses était peut-être de l’en avertir ? Schwob ne semblait pas pointer le bout de son nez. Il fallait le faire maintenant.
            Je portai mon plateau vide à ranger et, prétextant le fait que je venais d’apercevoir une vieille connaissance, j’abandonnai Michel en lui donnant rendez-vous en salle de réunion.


            L’homme lisait un article de sport et ne me vit pas arriver. C’est uniquement lorsque je m’installai en face de lui qu’il leva les yeux vers moi.
‒ Oui ?
            Je n’avais pas prévu ce que j’allais lui dire. L’idée était là, en moi, mais les mots me manquèrent. Au bout d’un moment, et sentant le poids de son regard sur moi, je décidai de parler.
‒ L’équipe de France a gagné hier soir ? Formidable ! m’exclamai-je en simulant un intérêt certain pour l’article qu’il était en train de lire.
            Il fronça les sourcils en signe d’incompréhension. Je me présentai timidement et lui expliquai que j’étais ici pour un séminaire. Il hocha la tête et posa son journal à plat sur la table.
‒ Je vous arrête tout de suite, dit-il. Je préfère les blondes.
            L’homme me lança un regard plein de sous-entendus. Je me sentis soudain très gêné.
‒ Non, ce n’est pas ce que vous croyez, me justifiai-je.
            Et là, je lui expliquai toute l’histoire : l’erreur de chambre, l’enveloppe avec sa photo retrouvée derrière la porte, l’inscription presque illisible derrière le cliché,… Je lui racontai comment j’avais croisé l’homme de la 405 et le danger que je pressentais le concernant.
            Au lieu d’y voir de la peur, je remarquai plutôt de la curiosité dans ses yeux.
‒ Montrez-moi cette photo ! exigea-t-il.
‒ Je … l’ai détruit !
            La déception se lut dans ses yeux. Ainsi que la colère. Il se leva d’un bond en me demandant de le laisser tranquille. Toutes ces bêtises, dit-il, je me les étais mises dans la tête tout seul.
‒ Non, croyez-moi, vous êtes en dang…
‒ Foutez-moi la paix ! hurla-t-il presque.
            Je restai prostré sur ma chaise, impuissant.


            Le formateur alluma le rétroprojecteur et nous montra les principales caractéristiques des fonds communs de placement. Tout un programme. 
‒ Le FCP est une copropriété de valeurs mobilières, énonça-t-il, il émet des parts et chaque…
            Un énorme vacarme l’interrompit dans son monologue. Cela semblait venir de l’extérieur. Plusieurs d’entre nous se dirigèrent vers les fenêtres et aperçurent, tout en bas, immobile, le corps d’un homme en travers de la route. Le cri d’une femme au dehors nous glaça d’effroi.
            Je descendis au rez-de-chaussée, comme tous les autres, et rejoignis la foule de gens agglutinés qui se pressait déjà autour du drame. L’homme, allongé sur le bitume, semblait mort. Je reconnus aussitôt l’homme au journal. Celui de la photo. « Merde, il l’a eu… », murmurai-je.

            Le convoi de policiers ne tarda pas à arriver. Cela causa un tohu-bohu extraordinaire. J’appris d’une femme qu’un conducteur fou était arrivé de nulle part et avait percuté violemment le pauvre homme, ne lui laissant aucune chance. « On aurait dit qu’il cherchait à le renverser exprès » confia-t-elle aux inspecteurs. Le bolide ayant été trop rapide, personne n’avait pu relever la plaque d’immatriculation.
            Je regardais le spectacle sans bouger. Indubitablement, j’avais failli. L’homme était tout de même mort et je ne pouvais pas avoir monté toute cette histoire dans ma tête. Quelqu’un l’avait assassiné et avait maquillé cela en accident. Certainement ce Maurice Schwob. Personnellement, n’étant pas inspecteur, je ne voyais pas comment mener à bien cette affaire. Néanmoins, je pouvais toujours confier ce que je savais à l’un d’entre eux. Je devais bien cela à la victime, pensai-je.
            Ainsi, je me glissai parmi les badauds et accostai l’un des deux policiers qui interrogeaient les témoins. Je commençai à lui expliquer les évènements tels que je les avais vécus ces derniers jours.
‒ Vous connaissiez personnellement monsieur Fortassin ? me demanda-t-il. C’est le nom de la victime. Charles Fortassin.
            Je secouai la tête énergiquement. Non, je ne le connaissais pas avant ce matin et je lui racontais ainsi comment j’avais retrouvé sa photo derrière la porte de la chambre 405. L’inspecteur semblait ne pas me croire. Lorsqu’il me demanda de lui montrer cette photo, je fus bien obligé de lui dire que je l’avais détruit. Il sourit méchamment en lâchant un « bah tiens ! ». Cependant, son collègue, lui, semblait me montrer beaucoup plus d’intérêt.
‒ Vous allez nous conduire à cette chambre, monsieur, répliqua-t-il. La 405, c’est cela ?
            Je hochai la tête, soulagé que quelqu’un m’écoute un peu. Son collègue lui jeta un regard incrédule mais nous suivit malgré tout à l’intérieur de l’hôtel. Nous arrivâmes à l’accueil. Julia était encore plus nerveuse qu’à l’accoutumée.
‒ Le directeur de l’hôtel, monsieur Gas, n’est pas là ? demanda l’inspecteur à Julia.
‒ Il est absent aujourd’hui…
‒ Dans ce cas, mademoiselle, je vous saurais gré de nous conduire à la chambre n° 405.
‒ 405 ? Mais, je…
‒ Immédiatement.
            Ce n’était pas une requête. Mais un ordre. Julia recoiffa une mèche et se saisit d’un passe. Nous nous rendîmes tous les quatre à la chambre en question. Arrivée devant la porte, Julia, décontenancée, se tourna de nouveau vers le policier.
‒ Monsieur, je dois vous dire que…
‒ Ouvrez cette porte, mademoiselle Thiess.
            Elle s’y résigna. La porte grande ouverte, j’assistai ensuite à un spectacle inattendu. La moquette était décollée du sol, ne laissant apparaitre que le béton. Le papier peint avait disparu ainsi que la décoration. Le lit n’avait plus de matelas ni les fenêtres de rideaux. Cela ne ressemblait plus à une chambre mais à un chantier. Je jetai un regard impuissant en direction des deux agents de police qui me regardait désormais d’un drôle d’air. Je n’y comprenais rien.
‒ C’est ce que je tentais de vous dire, reprit Julia, cette chambre est en réfection depuis deux semaines. Nous ne la louons plus.
            Je la regardais, n’osant y croire. Pourquoi racontait-elle tous ces mensonges ? Etait-elle dans le coup ? Je repris contenance.
‒ Qu’est-ce que vous racontez, Julia, m’exclamai-je, vous m’avez attribué cette chambre il y a deux jours ! Quelqu’un l’occupait !
‒ Ce n’est pas possible, monsieur, répondit-elle froidement sans même me regarder.
‒ Mais enfin, je…
            Qu’est-ce que tout cela signifiait ? Etait-ce moi qui perdais la raison ?
‒ Je vous conseille de vous reposer, monsieur Almeida, me dit l’inspecteur en me tapant l’épaule.
            Il devait me prendre pour un fou, certainement. Ils m’abandonnèrent dans le couloir et je n’eus pas la force de les retenir plus longtemps. Etait-ce moi qui… ? Impossible !
            J’accostai une femme de ménage dans le couloir et lui demandait à tout hasard si elle avait eu le temps de nettoyer la chambre n° 405.
‒ Bien sûr que non, monsieur, la 405 est en travaux.
            Je la plantai là en fulminant, sans lui demander plus d’explications. Allons donc, tout le personnel de l’hôtel était dans le coup ? Comment était-ce possible ?... Je repensais alors au vacarme qui m’avait – entre autre – empêcher de dormir la nuit précédente. Tout avait été préparé minutieusement. Et je ne pouvais rien faire…


‒ Arrête de faire cette tête, mon vieux, me demanda Michel, il faut que tu arrêtes les formations, ce n’est pas bon pour toi !
            Je l’envoyais balader d’un revers de la main et me dirigeai vers Julia à toute allure. Derrière son guichet, elle me vit fondre sur elle.
‒ Qu’est-ce que ça veut dire tout ce bordel, Julia ? Vous couvrez un meurtre !
‒ Je ne vois pas de quoi vous…
‒ Arrêtez ! m’emportai-je. Pas avec moi ! Je vois clair dans votre jeu ! Où est votre patron ?
            Je jetai un œil sur la liste des membres du personnel, accrochée à l’accueil.
‒ Où est Richard Gas ? Il est dans le coup lui aussi ? Qu’est-ce que tout cela signifie, Julia ?
            Elle restait là, prostrée, ne disant rien. Cela m’irritait. Elle savait que je savais. Mais elle ne bougeait pas, rentrant instinctivement la tête dans les épaules. Je lui promis alors de tout faire pour découvrir la vérité.

            Ma patience porta ses fruits le soir même lorsque Julia quitta l’établissement. Je m’étais résolu à la suivre. Je savais que tôt ou tard, elle finirait par se trahir. Les heures passées dans le noir à l’observer, attendant qu’elle commette la moindre petite erreur, m’avait déjà épuisé. Mais je tenais à aller jusqu’au bout. Elle se retourna à plusieurs reprises, se croyant être suivie – ce qui n’était pas faux – et deux fois, je faillis me faire surprendre.
            Je pensais l’avoir perdu, mais je perçus soudain le son de sa voix derrière un arbre.
‒ Non, Richard, ce n’est pas une bonne idée, murmura-t-elle dans un sanglot, mais assez fort pour que je l’entende.
‒ Nous n’avons pas le choix, répondit l’homme, nous devons nous débarrasser de lui ! Il est trop dangereux.
‒ Mais nous ne sommes pas des assassins, Richard ! Fortassin a payé et c’est ce que nous voulions…
            Caché derrière un muret, je risquai un regard. Richard Gas, le directeur de l’hôtel, n’était autre que Maurice Schwob… sans moustache. Je le reconnus aisément. Il prit doucement Julia dans ses bras.
‒ Je t’aime Julia. Plus personne ne se mettra sur notre route désormais, je te le promets.
            C’est cet instant que je choisis pour sortir de ma cachette et me planter devant eux. Richard eut un mouvement de recul en me voyant. Julia, elle, se mit à pleurer.
‒ Je savais que quelque chose ne tournait pas rond ici, m’exclamais-je. Maintenant, j’ai tout compris !...
            Julia s’essuya les yeux et fit un pas vers moi.
‒ Non. Vous n’avez rien compris du tout…
            Et elle m’expliqua. Son enfance passée d’une nounou à l’autre du fait que ses parents, propriétaires d’un restaurant, ne pouvaient pas toujours être à la maison et s’occuper d’elle. Elle m’expliqua comment Charles Fortassin, l’homme de la photo, le mari de sa nounou, abusa d’elle alors qu’elle n’était qu’une enfant. Elle me raconta comment elle grandit en cachant ce secret en elle, comme un mal qui la ronge. Comment elle rencontra Richard, qu’elle aima dès le premier instant. Elle m’expliqua également son envie de se marier, mais qu’elle en était incapable tant que certains « problèmes » n’avaient pas été réglés. Tant qu’elle n’avait pas oublié.
            Ils avaient décidé d’éliminer Fortassin ensemble. Pour que justice soit faite. C’est Richard qui eut l’idée de déposer l’enveloppe avec la photo dans la chambre afin de faire croire qu’un assassin avait été engagé dans le but de tuer Fortassin. Pour brouiller les pistes afin que celui qu’ils enverraient – par erreur – dans la chambre pense à un règlement de compte. C’était tombé sur moi et j’avais effectivement cru récupérer par accident la chambre d’un tueur. Tout cela était formidablement orchestré. Ils n’avaient pas prévu que je tenterai de prévenir la victime. Ce qui n’a au final rien changé. De toute façon, la chambre n° 405 avait déjà été nettoyé la veille pour me décrédibiliser. Juste au cas où. Qu’il s’agisse d’un tueur à gages exécutant un contrat ou d’un fou qui raconte n’importe quoi, au moins cela détournerait les soupçons. Aujourd’hui, Fortassin était mort et elle vivait le plus beau jour de sa vie, m’avoua-t-elle.
            Pendant tout ce temps, Richard n’avait rien dit, se contentant de hocher la tête par moment et de m’observer.
‒ Que comptez-vous faire maintenant ? me demanda Julia, les yeux plein de larmes.
            J’étais partagé entre mon désir de justice et celui de me taire. Encore aujourd’hui, deux ans après les faits, je pense avoir fait le bon choix.
            Officiellement, la police a décrété que la mort de Charles Fortassin était due à un accident. Il se murmura qu’il s’agissait d’un règlement de compte, Fortassin, avocat véreux, ayant eut pas mal d’ennemis. Quant à Julia, elle épousa finalement Richard. Ils vendirent peu de temps après le Saint-Exupéry et je n’entendis plus jamais parler d’eux.

            Le silence a un prix. Mais le mien, je l’ai fait au nom de l’amour.

LAURENT Vincent (CHARLEVILLE-MEZIERES)

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