mardi 28 mai 2013

Frida

Ville de province, estivale et cossue. Bientôt le début de sa saison d’été qui va l’éveiller.
Une équipe de prospecteurs destinés à « ratisser » toute la région afin de charger à ses marques les stocks de la clientèle alimentaire, boulangère, confiseuses, stands ou stations services, pour les trois mois à suivre, arrive à l’hôtel réservé.
Un commando. Des jeunes à éprouver. Des farouches.
Là ou l’on passe, la concurrence trépasse. Ou s’épuise en vain. Ou renonce …
En principe.
L’animateur du groupe, le dîner du premier soir, autour de la grande tablée commune, nous fait une proposition pour tester notre capacité à convaincre. « Demain dimanche, départ à 10 h. pour pique niquer dans les dunes. Attention ! seuls les gars accompagnés d’une fille seront de la fête ».
Je suis en train de vérifier mes stocks avant d’aller me coucher, crevé par le trajet et la chaleur. Et les enjeux à venir.
Le mien aussi, oui … d’avenir.
« On dirait que c’est bien bon ce que vous vendez ! ». Je me retourne. Une tête de blondinette dans l’entrebâillement de ma porte coulissante. « Vous voulez en goûter ? » j’ose proposer avec le sourire convainquant du représentant plus que convaincu. Fanatisé. Dopé. En concurrence avec sa propre équipe, pire que dans un jeu exotique télévisé ou une équipe gouvernementale.
« Oui, mais juste un tout petit bout, je fais un régime ».
Terrasse de café, un demi de bière pour moi et un quart d’eau minéral pour ma très récente rencontre qu’il me faudrait tenter de convertir en compagne. Même momentanée.
« Je viens juste d’arriver pour travailler. Oui, faire la saison » minaude t’elle. Tout comme moi. « Je commence la semaine prochaine ». Je créée un climat de confiance, technique apprise à l’école des ventes, dite du « oui, préalable ».
Sans avoir à utiliser ma pièce maîtresse « réponse aux objections ». Imparable, mon lapin !.
Mon lutin volontiers lutineur qui me guide la conscience, parfois l’inconscience, m’aiguillonne fortement les flancs de la pensée vers mon objectif, à court terme. La cible prioritaire du lendemain qui pourrait éventuellement me faire déchanter avec un handicape de côte d’amour pénalisant une promotion éventuelle .
« Je ne voudrais pas vous paraître trop entreprenant, mais me permettriez vous de vous convier à un pique nique demain matin du côté des plages ? ».
Bon chic, bon genre, sympa, élégante est mon allure, jaugée. La blondinette ne se fait pas trop prier pour accepter.
Demain est éloigné du « dernier verre » insistant du soir même de la part d’un goujat qui veut conclure dans l’urgence.
Dimanche matin, moment de flottement, nous sommes seulement quatre couples au rendez vous. Les présentations se font. Répartition dans les voitures, direction vers un coin isolé dans hauteurs des bords de mer, désert, encore pour l’instant. Suffisamment pour notre instinct.
« Ma » compagne nous « électrochoque » alors : « Vous m’excuserez mais je suis streap teaseuse et ne peux me permettre de « marquer » alors je me déshabille complètement ». Le tout avec un joli sourire pour répondre aux grimaces de certaines autres rencontres récentes, à qui elle fait brûler involontairement les étapes.
Nous les hommes, une totale compréhension nous anime, un accord franc et dénué d’arrières pensées, un consensus, une complicité de bon aboie. Comme les loups. J’oserais : un plébiscite unanime, pour « redonder ».
Tout se passe bien.
« Sea and sun », bains, casse croûte, rigolades, musique sur transistor, danses et soleil bienfaiteur.
On réussit à voler quelques photos.
Ma caméra 8 mm enregistre quelques furtifs instants sur bobine.
Retour en soirée avec promesses, joyeux, heureux de vivre.
Les accompagnatrices ne donnant pas nécessairement suite ou rendez vous aux mêmes.
Pour meubler nos soirées, un collègue et moi décidons en fin de semaine d’aller se régaler du spectacle de notre copine du week end dernier, afin de l’admirer nue, une seconde fois, en payant.
Club enjolivé de néons qui clignotent. Portier en uniforme, en forme aussi car à l’occasion il refoule. Personne. Trop tôt dans la soirée et dans la période qui balbutie encore.
Une barmaid - gérante qui s’ennuie. Un pianiste qui minimise. Des tables vides avec lampes intimes individuelles.
Une entraîneuse qui attend le « pigeon ». 
Nous demandons Frida, le sujet de notre visite.
Elle nous présente aux autres travailleurs, nous installe devant la scène en précisant « ici c’est champagne obligatoire si vous voulez que je vous accompagne ».
L’argent est le cadet de nos soucis. Nous venons de toucher une avance de trois mois de frais de route pour régler : hôtels, restaurants et carburant . Crésus à côté de nous, nous apparaît comme un mendigot à se restaurer du coeur.
Au bout d’un moment, un premier numéro s’exécute sur scène. Belle fille brune.
Un peu fine à mon goût mais sinueuse, onduleuse, présentant ses appâts au mieux des rythmes. Elle nous rejoint à table. Bouteille à bulles supplémentaire. Mon copain l’entraîne dans un slow langoureux et adhésif. Frida sans me regarder, en pouffe.
Au bout de la séquence « put your head on my shoulder ». Mon amie s’excuse. Ça va être son tour de paraître dans le show.
Le chaud étant déjà établi dans nos relations.
Numéros, avec notamment celui d’ un squelette en bois, fluorescant, du plus mauvais goût.
Elle « me » revient. Nouvelle bouteille et … confidences.
Secrétaires dans une administration, sa collègue et amie, est un « canon », une « sexy girl » une beauté à se pâmer. 
Elle a répondu à une petite annonce recrutant des mannequins qui danseraient et feraient (éventuellement) des photos de charme. L’appréhension d’y aller seule. Sa copine moins « lovely » mais non déplaisante l’accompagne. Salle d’attente bondée. Impatience. La candidate craque et s’enfuit retrouver sa réputation vierge et ses photocopies.
Frida qui sature de la paperasse reste et se fait … engager.
La nuit l’est bien … aussi.
Mon collègue, un sanguin qui n’a plus beaucoup d’argent (mais c’est une autre histoire) verrouille et concrétise ses attouchements, frôlements et baisers furtifs. Chaud comme une centrale nucléaire japonaise en partie dévastée.
Ce qui m’inquiète c’est la voix de plus en plus rauque de sa partenaire et l’arrivée sous le maquillage des prémices d’une légère moustache qui renaît.
Deuxième show de cette dernière qui a pour thème « soir de carnaval ». A un moment, un mirliton fatigué ou déserteur refuse de se dérouler en faisant « Pfuitte ». La danseuse nue, à sa troisième tentative, énervée, se laisse aller à maudire l’accessoire en terme grossier, insinuant même qu’il va lui endommager des attributs alloués, normalement, aux mâles.
Je m’interloque.
Frida éclate d’un fou rire. Sa collègue en est « un ».
Retour à la table, son prétendant qui a compris lui aussi, chauffé à blanc, lui confesse « que rien n’est changé ». Point de fusion après effusions, atteint. « Merci » lui cligne des cils « sa » conquête reconnaissante. La moue pulpeuse des lèvres en un baiser ardent d’accord. Communion d’esprit avant union éventuel.
Un groupe, fêtards avinés, entre en conquérants. Ils y viennent depuis trois jours chaque soir. Des notables, un ou deux du corps médical et réclament à grands gestes d’intimes sinon de prioritaires notre « amie » qui, alors, nous quitte. Ondulant.
Ma rencontre me prend les mains : « laissez tomber vous ne faites pas le poids. Ils sont archi bourrés de fric et s’excitent sur « ma » collègue. Ce sont eux qui vont faire la recette de la soirée ».
Je fais un chèque sans trop en regarder le montant.
Il va falloir faire du « chiffre » pour rattraper cette débauche.
Mon complice est le plus frustré … « elle avait pourtant le profil parfait ». J’ai fait « carrière ». Mon pote fut mon témoin de mariage. Une autre voie lui était destinée. 
Aznavour n’avait pas encore créée « sa » chanson.

LEGER Michel (Breuillet)

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