mardi 28 mai 2013

Le Blues

 Une photo dans le journal attire mon attention. Non ? Ce n’est pas lui, il paraît plus jeune. L’article lève toute ambiguïté. Hélas, on a perdu notre mécène. Assassiné. Un bar en banlieue sud face à un hôpital, derrière, une salle de bal séparé dans un jardin isolé, isolant les sons.  Elle ne « tourne » que le week end.

En discutant, à la sympathie mais peut être avec une arrière pensée, le patron accepte de nous la prêter un soir par semaine, pour répéter. Nous débutons dans la carrière de musiciens de jazz style « Nouvelle Orléans ». Enorme motivation. Peu de technique. Nous trouvons sur place piano, contrebasse et batterie. La scène c’est important d’y monter sous les « sun lights », même si tu balbuties. Tu as l’illusion d’occuper déjà le vedettariat qui te sera destiné, demain. C’est certain. Ça nous stimule pour ne pas se la jouer à l’usurpateur sans ambition. Notre pianiste est le plus solide, éduqué musicalement et intransigeant.

Les copains des copains s’y succèdent tentant de participer à l’aventure selon leur talent ou leurs possibilités. Le bruit … que l’on fait ? Non de notre tentative se répand. Un soir dans l’ombre du fond de salle, pendant l’interprétation d’un « classique », un son timide de trompette se fait entendre en contre chant. C’est qui ?

L’artiste « en devenir », apostrophé, s’avance dans le halo des projecteurs. Un grand costaud, son instrument en main. Il débute. Nous aussi. Invité à grimper sur les planches on trouve un morceau connu à tenter de mettre en place, en commun. Ça marche ! L’orchestre sera bientôt complet, un clarinettiste doué, un harmoniciste reconnu qui se met au trombone à coulisse. Plus tard, mon frère à 13 / 14 ans, grattera guitare et banjo.

L’avantage de ce style de musique tient uniquement en le fait de faire identifier le morceau par les amateurs. En début. Et en conclusion. Au milieu, celui qui est inspiré sort de son instrument toutes les idées, les fantaisies qu’il sent lui venir. Ou qu’il a répété chez lui, des heures, pour nous étonner et épater notre public qui devient le sien s’il réussit à galvaniser « son » auditoire. A bout de souffle ou d’inspiration, il se tourne alors vers un partenaire, avancé, qui prend le relais et ainsi de suite jusqu’au moment ou le leader fait un signe et invite l’ensemble à reprendre l’exposé commun du thème pour conclure. Ça peut durer une longue période, d’autant plus si le répertoire connu est restreint et qu’il « faut jouer la montre » aussi.

Un soir, notre bienfaiteur entre accompagné d’un homme « bien mis ». Il porte 2 coupes et un seau à champagne garni. Prennent place en silence, à l’écart pour ne pas nous intimider. Volutes de cigarettes, échanges à voix basse. Nous jouons, alors, avec sérieux et attention car cette présence est exceptionnelle, non prévue.
L’ami est un « collègue » de province et un ami d’enfance, jadis, là bas au pays. Il dirige un établissement de nuit cabaret – dancing – streap tease en province, ville de garnison des forces américaines et se trouve en quête de talents à bon marché pour animer ses nuits d’ivresse, de tendresse ou l’on ne se quitte qu’au levé du jour, chante le poète.

C’est notre cas.

Notre tarif plus que notre talent réel lui convient. Des dates sont retenues. En début de chaque mois. Pourquoi ?. Parce que le soldat qui a touché sa solde la lapide en deux temps, trois mouvements. Son club est plutôt réservé à des sous – officiers, des habitués qui ont le pourboire généreux et des exigences plus portées sur le physique des entraîneuses et des danseuses nues que sur la musique. Nous dînons tous ensemble, musiciens, employés, « les filles » et parfois des invités, pilotes US qui apportent de la Tequila, partis de Mexico en même temps que nous de Paris.
Connaissez vous la « drinking party » ?. Non ?. A droite de la scène, basse, se trouve le bar avec sept ou huit hauts tabourets.

Le « leader » du joyeux groupe incite le barman à vérifier que chacun possède bien un rouleau de billets de dollars dans sa poche supérieure extérieure. Les tournées se succèdent. Le premier terrassé par l’émotion qui bascule vers le sol, paie l’addition totale, arrondie au cent supérieur, note jointe à la monnaie. Quand il en reste. Les contestataires sont calmés au « maillet de tonnelier » par les videurs. Au petit matin, les inconscients sont alignés en rang d’oignon, côte à côte, ranger les pieds en bordure du trottoir.

Un concours avec le club d’en face qui exécute la même corvée. Jeep avec MP (military police) suivie d’un camion GMC pour charger les inconscients direction la caserne. Parfois, un coup de leur longue matraque pour calmer un velléitaire qui voudrait poursuivre la fête. Ramassage des « encombrants », traditionnel comme des herbes de tonte. Très souvent, clients financièrement « tondus » aussi.
Les streap-teaseuses ont vite appris à accrocher leurs sous vêtements suggestifs sur le manche de ma contrebasse, derrière. Laissés à terre, ils font l’objet d’une lutte acharnée comme pour la convoitise d’ un maillot de footballeur balancé dans les tribunes, en souvenir. Une fortune ! Non remboursée par la direction. Perte sèche malgré l’ambiance torride qui fait transpirer.

La coutume veut qu’un billet soit posé sous le cendrier du pianiste pour demander un morceau précis. On rencontre d’ex-jazzmen noirs qui ont changer de métier pour la garantie de la solde. Une émotion, un plaisir rare de connexion. Aucun problème, le succès du moment est « Milord » d’Edith Piaf. On introduit le thème. On prolonge, on relance, on reprend, on dilue. Les gars en transe, parfois torse nu, font alors avec les entraîneuses et les mannequins nus, des rondes enfantines à n’en plus finir.

A minuit, visite discrète de la police française. A une heure du matin de l’américaine. Portes ensuite verrouillées pour se livrer à ces bacchanales. Restées dans mes anales … Il nous faut absolument trouver le « boy friend » d’une de nos amies qui œuvre, suffisamment fiable pour nous rapporter des cartons de cigarettes et de whisky, de la base, qu’on lui règle sans rechigner. C’est sur ce troc que se fera le gros de nos bénéfices. L’alcool est toujours du « Philadelphia » jamais vu avant, ni retrouvé depuis.

Début du jour.

Le patron dans son boudoir, en robe de chambre chamarrée, fume cigarette en main, nous offre le verre de l’amitié. Change nos pourboires en billets français, à son avantage, et nous remet l’enveloppe largement méritée. Nous logeons dans une espèce de pension, deux ou trois par chambre. Tout le confort sur le pallier. La route prise au réveil pour un retour hâtif.  Le lundi matin c’est boulot ou études pour les membres du « jazz band ».

Notre protecteur s’est fait « descendre » par deux types en scooter, armés de pistolets 11,43 mm. Aucune chance, pour lui, coincé derrière son bar. Rien vu, ni entendu. C’est la police, arme au poing, qui vient nous surprendre en pleine « jame session ».

Faut se retrouver un lieu pour travailler nos morceaux. Un copain se fait forcer la main, l’autre aussi et les poignets de surcroît afin de s’initier à la batterie, baguettes et balais. Le notre étant en partance pour son devoir national. Coup de chance notre recrue est patron d’une société qui « donne » dans le funéraire, en face d’un cimetière. Il y a des possibilités d’aménager une cave sous le magasin, au milieu des pierres tombales en exposition. Quelques dimanches à gâcher du ciment. Récupération de bois divers. Et nous retrouvons un super club. Club ?.Pas question, aucune concession, ce sera un lieu de répétition, un point c’est tout.

Des années après, en fleurissant une tombe un cimetière plus loin, des spécialistes oeuvrent à préparer une dernière demeure. Sur la camionnette le nom de mon ancien collègue. Les deux jeunes apostrophés sont un fils et un beau fils qui ont même couché dans « notre » cave. Le père, notre « drummer » est décédé depuis fort longtemps. A croire que « ça » s’attrape.

J’ai doublement le « blues » en m’éloignant.

LEGER Michel (Breuillet)

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