Lentement et par intervalles,
je prends conscience d’exister. J’entends les battements réguliers de mon cœur,
je les entends résonner dans tout mon corps. Je suis rassuré : je suis
vivant. Je m’endors un instant, et à mon réveil, je décide d’explorer mon environnement ;
doucement, je remue mon index puis les autres doigts, je ferme le poing. Je ne
ressens ni douleur ni résistance. Je m’enhardis et je bouge mon bras droit,
j’allonge mes jambes. J’éprouve à
m’étirer un bonheur intense. La sensation de flottement est délicieuse, tout ce
qui m’entoure est doux et tiède. Je prends confiance et j’ouvre les yeux :
rien, je ne vois absolument rien. Plus exactement, je ne vois que du noir, et
pourtant je ne ressens aucune angoisse, je suis merveilleusement bien.
Je pense que je me suis
endormi, ce bruit de clapotis a dû me réveiller. Des fluides circulent tout au
long de mon corps, puis le courant s’intensifie : il me submerge,
pourquoi ? J’étais si bien, je veux retrouver cette paix mais je n’ai pas
le choix, une pression s’exerce sur mes tempes, la pression est si forte
qu’elle me pousse en avant. Inexorablement j’avance, je n’ose plus ouvrir les
yeux. Le haut de ma tête heurte une paroi, je me sens aspiré, j’entends les
battements de mon cœur qui s’amplifient. Je pénètre cette matière contre
laquelle je butais, j’ai peur. Le contact est étrange, ma tête s’engage un peu plus dans cette substance
qui pourtant semble résister. Une poussée plus forte me propulse dans un
tunnel, mon cœur s’affole, je sens un air plus frais sur le sommet de mon
crâne ; agrippé, secoué, j’ai peur, j’étouffe, je hurle…
Plus tard elle me parlera de
cet été, de cette journée du mois d’août où elle avait eu si chaud. En quête de
fraîcheur, elle avait marché longtemps sur un chemin ombragé. C’est sans
l’avoir vraiment cherché qu’elle avait découvert cette clairière dans les
bois : deux constructions enjambaient un étang. Un vol de libellules
au-dessus de l’eau, la fraîcheur bienfaisante du sous-bois, le silence
entrecoupé par le chant d’un oiseau, l’ont incité à s’asseoir sur l’herbe rase
de la berge. Elle a dénoué ses longs cheveux qui ont chatouillé ses épaules et
le bas de son dos. Et ce fut l’évidence, ce bébé, cet enfant qu’elle avait tant
souhaité, c’est ici qu’il viendrait au monde. Elle a retiré la robe d’été
légère qu’elle portait et lentement elle est entrée dans l’eau, les bras
écartés, touchant la surface du bout de ses doigts. Progressivement elle a
avancé jusqu’aux épaules, ses pieds ont quitté le sol sableux, elle nageait.
Mais elle avait plutôt la sensation de voler tant
son corps lui semblait soudain léger. Alors pour éprouver encore plus de
bien-être, elle s’est couchée sur l’eau, les jambes et les bras écartés, ses
cheveux, flottant autour de sa tête, se
confondaient avec les algues caressantes de l’étang.
C’est là qu’elle a compris
que le moment était arrivé. Elle est sortie de l’eau entourant de ses bras son
ventre qui se contractait, elle avait peur mais elle savait, depuis la nuit des
temps, elle savait. Sur la berge, éclairée par un soleil doux filtré par les
feuillages, elle s’est allongée sur une banquette de mousse. Sur la branche
d’un chêne, un merle égrenait à l’infini
une variation de notes douces et flûtées.
Oui, c’est à ce moment précis
que je suis né.
Aujourd’hui, j’ai vingt ans,
c’est le mois d’août. Je lui ai dit : tu m’as tout raconté, j’ai pu tout
imaginer mais j’ai cru longtemps que tu avais inventé ce conte, comme les
histoires que tu chuchotais à mon oreille, le soir, pour m’endormir.
Aujourd’hui je veux découvrir la réalité. Alors, elle m’a pris par la main, et ensemble nous avons suivi le
chemin qui conduit à la clairière de l’étang.
Je respire cet air frais comme
au premier jour de mon existence, rien
n’a changé. A travers les arbres, on aperçoit une grande bâtisse, une libellule
survole la surface de l’étang, j’entends au loin le chant d’un oiseau. Toute
cette quiétude m’inonde de bonheur. Je prends ma mère dans mes bras, elle me
semble soudain si fragile. Je réalise à cet instant que c’est ici que je
reviendrai à chaque épreuve de ma vie pour retrouver la sérénité, la force
d’exister.
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