mardi 2 juillet 2019

Nouvelle Junior : D'une terre à l'autre de Anatole Cimbault



            le 8 février 2016, en Syrie
            Je m’appelle Ryadth et je suis avec mes trois sœurs et mes parents sous un débris de maison explosée par les bombes et les coups de fusil. Les bâtiments s’écroulent minute après minute. Les personnes meurent seconde après seconde. Ça fait huit ans qu’il y a la guerre : alors il faut fuir maintenant. 
           
            le 3 mars 2019, en France
            Nous sommes en France, en Creuse, à Lavaveix- les- mines ; nous occupons un petit logement. Je ne parle pas un mot français, ni mes sœurs, ni mes parents.
            Mes grands-parents me manquent, ma maison me manque, mes copains aussi. Dans une semaine, je vais aller dans un collège, à Chénérailles. Je suis soucieux de savoir comment les professeurs vont s’y prendre pour nous apprendre leur langue. Plus tard, je veux devenir docteur, mais j’ai 16 ans alors, est-ce que je vais avoir le temps d’atteindre mon objectif, de réaliser mon rêve, un rêve que j’ai depuis que je suis tout petit ? Et surtout, est-ce que j’en suis capable ?

            le 10 mars 2019
            C’est mon premier jour d’école, je n’ai pas du tout hâte d’y aller parce que soudain, j’ai peur de l’inconnu, j’ai peur de ne pas pouvoir m’intégrer. Moi, je voulais rester en Syrie, dans mon ancienne école : mais de toute façon, les bombes ne m’ont pas laissé le choix. A la récréation, je ne parle avec personne ou alors, personne ne veut me parler.
            Il est 17 heures. Le car est devant moi. Une fois dedans, le chauffeur me pose des questions mais je ne comprends rien. Une fois rentré à la maison, je monte dans ma chambre désespéré ; j’ai l’impression que je n’y arriverai jamais. C’était comme si j’étais en bas d’une montagne et qu’il fallait que j’atteigne le sommet en une journée. Moi qui voulais devenir docteur, non seulement je ne parle pas un mot français, et en plus, je n’ai plus rien : je suis déraciné…
           
            le 8 mai 2019
            Je commence à dire quelques mots, à comprendre le fonctionnement des Français. Mais aujourd’hui, alors que je commence à avoir quelques repères au collège, mes parents m’apprennent une mauvaise nouvelle : ma grand-mère syrienne vient d’être tuée par un coup de fusil. De toute façon, je m’en doutais. Le malheur me poursuit. Je suis triste, c’est un pilier de mon corps qui se casse.   

            le 9 mai 2019
            Je ne vais pas au collège ; je suis abattu par la nouvelle d’hier. Cet après-midi, je ne fais rien, je reste sur une chaise à penser à la Syrie et à ma famille. Mes sœurs jouent dehors, et mes parents écrivent des lettres à mon grand-père pour le soutenir. Je n’ai pas faim, je ne vais pas bien.   
                                                                      
            le 7 juin 2019
            C’est mon anniversaire. J’ai 17 ans. Je communique avec des personnes mais j’ai encore du mal. Les gens qui m’entourent sont attentionnés, et m’aident à m’intégrer en France. Pourtant, je ne suis pas heureux. Il y a trop de questions que je n’arrive pas à résoudre. Et ces questions entrent et sortent constamment dans ma tête. Je ne comprends toujours pas pourquoi la guerre sévit dans mon vrai pays. Je suis perdu.        
                                                                                                                                     
            le 20 juin 2019
            Comme à chaque récréation, je suis assis sur un banc à regarder mes camarades parler et rire. Ce jour-là, un garçon de ma classe vient me voir. Il me parle de lui et de sa famille ; il me demande où je suis né. Je lui réponds, timidement :
            « Je suis né en Syrie.
            - Parle-moi de ton pays Ryadth, me demande Rémi.                                              
            - Mon pays est en guerre depuis onze ans… »
            Et je me mets à lui raconter que des milliers de personnes perdent la vie jour après jour. Que ma grand-mère est morte à cause des bombes. Mais que dans tout ça, il y a aussi des belles choses en Syrie qui me manquent : les champs verdoyants, les collines douces avec des cours d’eau qui serpentent dans la vallée. Que jamais je n’ai eu froid. Et que je vivais dans un village avec toute ma famille. 
            Une fois rentré à la maison, je me remémore le moment où j’ai parlé à Rémi. Ça m’a fait du bien. Quand j’ai évoqué mon pays avec lui, j’ai eu des larmes aux yeux, j’ai frissonné et j’ai éprouvé une envie subite d’aller en Syrie. Mais je sais qu’il faut attendre la fin de la guerre pour y retourner. Je dois être patient.           

            le 20 juin 2021
            Dans une semaine, je vais passer le BAC. Je travaille beaucoup pour essayer de l’obtenir. Les deux dernières années m’ont permis de m’intégrer dans la vie française, et de l’apprécier.

            le 26 juin 2021
            Aujourd’hui, je passe le BAC, je suis très stressé. J’espère réussir. Je sais que ça ne va pas être simple, mais je vais essayer.                          

            le 18 juillet 2021
            Cet après-midi, c’est un des plus beaux jours de ma vie : j’ai eu le BAC avec une mention « bien ». Je suis très content. Mon rêve d’être docteur est en bonne voie. Quand je me retourne, je vois tout le chemin que j’ai parcouru. J’ai finalement appris à planter mes racines dans une autre terre, la terre française. Je me sens enraciné dans deux pays à présent, et c’est toute la richesse de ma vie.                                                                                                    


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